A PAQ 01 - Speranza !

 Homélie de la Veillée Pascale

Frères et soeurs, 

Comment faire entendre aujourd’hui l’espérance de Pâques ? Et quelle est cette espérance ?

Vous savez dans quel climat évolue aujourd’hui notre société et le monde.

Les fins de mois sont difficiles pour de plus en plus de foyers. Cela fait plusieurs semaines maintenant que les chocolats de Pâques sont arrivés dans les supermarchés. Une profusion de lapins, de poules, de petits et de gros œufs, qui contraste avec les différentes pénuries qu’on connaît un peu partout dans le monde et l’inflation galopante.

La situation est difficile et les gens sont inquiets, souvent démoralisés... Comment dans ces conditions parler de la bonne nouvelle de l’Evangile ? Comment faire entendre qu’après l’horreur de la Croix il y a quelque chose de radicalement nouveau qui a pu faire courir les disciples pour aller évangéliser nos Galilées, celles d’hier et celles d’aujourd’hui ?

Comme disait une journaliste de RCF, on n’a pas tous la foi chevillée au corps. Parfois, nos certitudes vacillent, et on a du mal à discerner les lumières du matin de Pâques dans la nuit obscure qui nous environne… Et quand on est par terre soi-même, blessé, ravagé, endeuillé, peut-il y avoir encore une espérance qui ne soit pas de la poudre aux yeux ?

Nos réponses de catéchisme sont souvent insuffisantes.

Nous avons besoin de Témoins.

Des personnes ordinaires, des gens comme nous, qui sont passées par l’abîme, le trou noir, et qui ont pu se relever, ou qui ont été relevées, re-suscitées par une rencontre, une main tendue au nom de Celui qui est revenu de la mort… Par cette rencontre, ils ont pu retrouver dans leur histoire et leur vie personnelle des points d’accrochage, par où l’Espérance chrétienne peut entrer et devenir moteur de leur existence.

L’Espérance ! Speranza.  Quel beau mot ! 

…Je pense que les témoignages des Evangiles sont là pour nous aider à vivre ce mystère que nous célébrons aujourd’hui, celui de la Résurrection, non pas comme une injonction à croire, mais bien et surtout comme une invitation à espérer.

Toute l’Histoire humaine avec Dieu est faite d’alternance entre des moments d’espérance où se construisait peu à peu la Communauté fraternelle, et des moments de non-espérance, d’oubli des promesses et donc de solitude – comme nous l’ont rappelé les beaux textes et les photos extraordinaires qui les accompagnaient (hier à la veillée pascale).

Ce qui a fait avancer l’humanité au cours des siècles, c’est cette espérance. Ce qui l’a fait parfois et même souvent reculer, c’est la perte de l’espérance : cette tentation récurrente venant de nos profondeurs, où chaque fois l’homme cesse de regarder vers Dieu pour se regarder soi et ses limites, son incapacité, sa pauvreté… et finir par capituler et faire la fortune des marchands de pilules de bonheur.  

Mes chers frères et sœurs, en quoi, en qui espérez-vous ?

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin, à part le fait de devoir gagner sa croûte ou celle de sa famille, ou bien simplement par le fait de l’habitude, parce qu’il faut bien… ? Et on remplit le rôle que les autres, la société, attendent de nous… « comme d’habitude » chantait Claude François.

On se bouge en général parce qu’on a, on fait des projets. C’est bien. Est-ce que ces projets ajoutent de la vie à la vie, ou bien c’est simplement de la distraction, de la consommation, de l’accumulation ? Ce n’est pas encore ça l’espérance.

Si je me lève en pensant : « Aujourd’hui, je vais aimer les gens que je vais rencontrer ; je vais essayer de leur apporter du sourire, du réconfort, de la joie », eh bien cela commence à ressembler à l’espérance. Ce n’est pas réservé aux chrétiens, ça appartient à tous.

Et si maintenant, si, parce que je me suis déjà cassé la figure, et que tous mes rêves les plus beaux sont cassés, enfermés au tombeau de mes illusions, de mes aspirations, de mes amours… parce que je vois le monde tel qu’il est, où il va ou risque d’aller avec les fractures sociales, la violence qui augmente, la menace de plus en plus évidente de choc climatique, etc., et que pourtant je tiens debout, parce que la Résurrection elle est en moi depuis mon Baptême, c’est cette Force qui m’anime tous les jours et me fait recommencer sans cesse même quand je tombe, repartir de l’avant, aller trouver les autres, pour voir avec eux les signes de la Résurrection…  c’est alors que je vis vraiment l’Espérance.

L’Espérance chrétienne c’est quand j’entre dans le projet de Dieu qui est de faire passer cette Force, cette puissance de vie et d’amour que Jésus a libérée par sa Résurrection, de la faire passer en tout homme, toute femme, pour le relever, la remettre debout. L’Espérance nous empêche de nous résigner, de baisser les bras, de dire « à quoi bon ? », pour empoigner les réalités d’aujourd’hui, changer les choses que je peux changer, apporter ma contribution à un monde plus juste selon le cœur de Jésus. Ce cœur dont nous avons essayé de nous rapprocher durant le carême en nous rapprochant des autres…

Voilà, frères et sœurs, ce que signifie Pâques pour moi : c’est la fête de l’Espérance. Les femmes de l’Evangile, les deux Marie, cherchent un mort. Pour elles, tout était fini. Mais la rencontre avec le vide d’abord, celui de leurs vies puis du tombeau, puis la rencontre avec le Ressuscité « Je vous salue », a ranimé en elles l’Espérance : plus rien, aucune pierre si lourde soit-elle ne les retiendra. Jésus leur commande d’aller vers les frères, c-à-d vers la Communauté : Sans la Communauté, l’Espérance, mais aussi la Foi et même la Charité s’étiolent et meurent ; comme disait quelqu’un : « On sèche sur pattes si on n’est pas de temps en temps en communauté ! »

C’est pour ça que c’est si important que les catéchumènes, les nouveaux convertis, les recommençants ou les jeunes qui viennent frapper à la porte des églises pour demander le baptême, qu’ils soient accueillis et accompagnés dans une vraie Communauté, et pas dans un agrégat, un amas d’individus chrétiens qui ne se voient pratiquement jamais pour vivre et célébrer leur foi ou qui se contentent de leur petit cercle d’amis. La Vigile pascale est extrêmement importante parce qu’elle rassemble tous les croyants. Elle fait se déplacer les gens, comme dans l’Evangile. La Foi, c’est un déplacement - comme l’Espérance. Et les catéchumènes, les recommençants sont une grâce pour notre vielle Eglise !

Et quand Dieu dit au peuple de Jérusalem, dans Isaïe : « élargis l’espace de ta tente », ça me parle !  ça devrait nous parler. « Renforce tes piquets, ajuste la toile, tu vas avoir beaucoup d’enfants !! »

Dans une période comme celle que nous traversons, où on dit que l’Eglise est en train de mourir à force de voir les gens la quitter et les rangs s’éclaircir, c’est une fameuse parole d’Espérance ! Bon, on n’est pas idiots, on sait bien que ça ne va pas se faire d’un coup ni sans efforts ; mais si d’entrée de jeu on dit « bof, j’y crois pas », alors c’est sûr que c’est foutu.

Où est notre espérance ?

Moi je dis merci à nos jeunes futurs baptisés, c’est eux qui vont réinventer l’Eglise. Mais il faut que nous élargissions d’abord l’espace de nos tentes.

Qu’est-ce que ça veut dire ? Je vois quatre points :

1.    Oser s’ouvrir quand tout se ferme. Il n’y a pas que les portes de nos églises qui sont toujours fermées. Plein de fermetures se vivent sur le plan familial, scolaire, social, politique, économique, etc. On regarde l’autre comme un adversaire, un danger potentiel. Or, vivre l’Espérance, c’est accepter de risquer la rencontre, le dialogue. Croire en un avenir à construire en commun.

2.    Accueillir le vécu des autres, tous les autres. Et d’abord, s’ouvrir à la souffrance et au découragement qui touchent tant de contemporains et les jeunes en particulier. Le suicide des jeunes, tellement répandu aujourd’hui. Qu’est-ce qui est à réparer ? Où sont les manques ? C’est surtout l’écoute qui compte.

3.    Partager ce qui me fait vivre. Et pour cela, il s’agit d’opérer d’abord des changements sur soi, de préférence en ayant le regard fixé sur le Seigneur et sur ce qu’il me dit. Alors je pourrai parler de ce qu’il a fait et continue de réaliser dans ma vie. Je pourrai montrer que, même du fond de la nuit, peut encore naître « l’humble joie » (Ringlet).

4.    Vivre un Evangile de plein vent. Comme je l’ai dit, élargir l’espace de sa tente, n’est-ce pas aussi pour des chrétiens, élargir le champ de la Bonne Nouvelle en sortant de nos cercles pour aller à la rencontre d’autres convictions, d’autres cultures, pour que puissent croître de nouvelles plantes peut-être surprenantes sur le terreau de notre Tradition ? Plutôt que le repli frileux dans des structures et des pratiques figées, accueillir le dynamisme créateur de l’Esprit qui souffle où il veut et n’est point enfermé dans nos Eglises. Cela demande une conversion de nos institutions, et de chaque membre.

Voilà ce que représente, à mon avis, l’élargissement de notre tente, personnelle et communautaire. C’est dans le sens d’élargir, agrandir, accroître et étendre les limites. Comme une résurrection, l’élargissement vient lorsque l’espace devient trop restreint pour contenir les choses à venir.

Pour prendre une autre image, si vous me permettez, la résurrection c’est, pour moi, comme le champagne. Il y a dans une bouteille de champagne toute une vie contenue, empêchée de se déployer grâce à un solide bouchon … et lorsque celui-ci saute, c’est une explosion de bulles et de goût …

Jésus a été exécuté, mis au tombeau, et tous ont cru que c’en était fini … la pierre s’était refermée sur le vivant… mais la tombe n’était pas scellée … et la pierre a éclaté avec la force inouïe d’une vie inconnue jusque-là … une chiquenaude du Dieu de vie !

Jésus qui ressuscite, c’est la vie qui surgit, libre, imprévisible, c’est un jaillissement de joie, de nouveauté, c’est imprévisible, inédit, hors normes …

Et donc, aujourd’hui, la résurrection c’est chaque fois que la vie prend le dessus … chaque fois que l’espace de notre tente s’élargit.


En cette belle fête de Pâques, de la Résurrection et de la Vie, frères et sœurs, je vous souhaite à chacun.e de vous élargir !



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