B CORPS ET SANG DU CHRIST - Un Sacrement, toi et moi

 


Aujourd'hui c’est la fête du Corpus Christi - la solennité du Corps et du Sang du Christ. Ça fait beaucoup de fêtes, n’est-ce pas, depuis Pâques : Ascension, Pentecôte, Sainte-Trinité… "Était-ce vraiment nécessaire d’en rajouter encore ?" - pourrions-nous nous demander.

Sans entrer dans le débat des apparitions que peuvent avoir eues des voyantes telles que sainte Julienne de Cornillon qui est à l’origine de la fête, je me dis qu’il est peut-être intéressant de se rappeler que depuis le Moyen-Âge et pratiquement jusqu’à l’époque moderne, la liturgie chrétienne rythmait la vie des gens.

Dans une société encore majoritairement agricole, le calendrier avec ses fêtes religieuses participait à la vie communautaire et individuelle des gens en faisant sens avec le quotidien. Par exemple, le début du mois de juin marque un changement de saison qui est propice aux processions. Qu’est-ce qu’on a de plus précieux et qu’on peut promener dans les rues et les campagnes pour montrer la foi ? - Dieu ! Et où est-ce qu’il est, Dieu ? - Dans l’Hostie ! … Donc, on va mettre l’Hostie consacrée sur un machin en or appelé ostensoir (du latin ostendere, montrer) et les prêtres iront le promener en grande pompe avec de l’encens et des acolytes en surplis, suivis de la foule des fidèles chantant des « hosanna ». C’est la « fête-Dieu ».

Bon, ça c’était le passé – encore qu’à Liège, la procession du Saint-Sacrement reprend du poil de la bête ; un nombre chaque année croissant de braves cathos un peu tradis et de prêtres en soutane et col romain se pressent pour raviver la flamme – non pas celle des jeux olympiques, mais la flamme du Sacré. Hé oui, depuis qu’on a évacué le sacré et que la messe n’est plus en latin, on dit que c’est à cause de cela que les églises se sont vidées… Ça reste à prouver !

Ne croyez pas que je me moque ; je respecte les dévotions des gens qui ont cette sensibilité et qui ont besoin de ces formes extérieures d’appartenance à la foi. D’ailleurs je garde moi-même d’excellents souvenirs de processions diverses lorsque j’étais curé dans mes hauteurs de Waimes… c’était bucolique et chaleureux, fraternel, priant aussi - avec les moutons et les vaches qui de loin participaient aux ave Maria par leurs beuglements ou bêlements.



Quel sens peut avoir aujourd’hui une fête du Sacrement du Corps et du Sang du Christ – pour nos communautés, nos familles spirituelles et humaines ?

Et qu'est-ce que cette Fête peut nous apprendre sur notre façon de vivre en tant que chrétien ?

Je pense que les réponses à ces questions peuvent être trouvées dans le cours de la liturgie eucharistique elle-même - à la fois dans ce qui y est dit et dans ce qui y est fait.

 

Voyons d’abord ce qui est dit au cœur de nos messes : "Ceci est mon Corps, livré pour vous." 

Ces paroles, prononcées la première fois par Jésus lors du Jeudi-Saint et de l'institution de l'Eucharistie, sont répétées par le prêtre au moment central de la consécration. Or ces paroles peuvent devenir notre programme pour vivre notre vie en Christ. 

De fait, pour vivre pleinement la vie chrétienne, nous sommes appelés à devenir de plus en plus un peuple eucharistique - à devenir tous et ensemble, un Sacrement. Qu’est-ce que c’est un Sacrement ? C’est un signe qui exprime une action de Dieu, et qui réalise ce qu’il dit. Par exemple, le geste de verser de l’eau sur la tête en disant « je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » fait réellement de la personne qui reçoit ce signe, un enfant de Dieu.

Mais le baptême ne suffit pas. Je dirais même : on n’est pas chrétien juste parce qu’on est baptisé. Le baptême, c’est l’action de Dieu. Il faut encore la part de l’homme. On devient chrétiens « christianoï » en grec, en vivant de sa vie, en se nourrissant de lui, en étant de plus en plus assimilés en lui pour être d’autres « christs » dans le monde.  Être ensemble, en Eglise, Sacrement – présence réelle du Christ pour nos sœurs et nos frères humains. Rien que cela ! Mais c’est notre vocation.

Nous sommes appelés à vivre par nos paroles, nos actions, nos regards et même notre silence parfois, cette parole du Christ : "Ceci est mon corps, mon sang livré versé pour vous".


Oh oui, ce sont bien des choses qui nous dépassent ! Et cela me fait penser que si légitimement, nous adorons dans l’Hostie le Corps du Christ, et nous le vénérons dans nos processions et dans nos liturgies, ne devons-nous pas honorer aussi et peut-être avant tout ce Corps du Christ dans celui qui est notre frère ou notre sœur, dans le migrant, le chômeur, le sans-abri, le jeune paumé ou le vieillard abandonné ?

Je ne peux pas résister à vous citer ce passage bien connu (mais peu appliqué) de saint Jean Chrysostome (IVè siècle) :

« Quel avantage y a-t-il à ce que la table du Christ soit chargée de vases d’or, tandis que lui-même meurt de misère ? Commence par rassasier l’affamé et, avec ce qui te restera, tu orneras son autel. Tu fais une coupe en or, et tu ne donnes pas un verre d’eau fraîche ? Et à quoi bon revêtir la table du Christ de voiles d’or, si tu ne lui donnes pas la couverture qui lui est nécessaire ? Qu’y gagnes-tu ? Dis-moi donc : Si tu vois le Christ manquer de la nourriture indispensable, et que tu l’abandonnes pour recouvrir l’autel d’un revêtement précieux, est-ce qu’il va t’en savoir gré ? Est-ce qu’il ne va pas plutôt s’en indigner ? Ou encore, tu vois le Christ couvert de haillons, gelant de froid, tu négliges de lui donner un manteau, mais tu lui élèves des colonnes d’or dans l’église en disant que tu fais cela pour l’honorer. Ne va-t-il pas dire que tu te moques de lui, estimer que tu lui fais injure, et la pire des injures ?

Pense qu’il s’agit aussi du Christ, lorsqu’il s’en va, errant, étranger, sans abri ; et toi, qui as omis de l’accueillir, tu embellis le pavé, les murs et les chapiteaux des colonnes, tu attaches les lampes par des chaînes d’argent ; mais lui, tu ne veux même pas voir qu’il est enchaîné dans une prison. […]

Lorsque tu ornes l’église, n’oublie pas ton frère en détresse, car ce temple-là a plus de valeur que l’autre. 

(St Jean Chrysostome, homélie sur saint Matthieu)


Voilà ce qui est dit au cours de l’Eucharistie, mais il y a aussi ce qui y est fait.

Avant d’être partagé puis consommé, le pain est rompu, Cet acte de la messe n’est pas une banalité. Il peut être vu comme une promesse : nos vies souvent fracturées, dispersées, données, de fait, peuvent être sources de vie pour nous-mêmes et pour les autres.


J’ai parfois entendu dire : « Je me suis cassé le bas du dos pour toi » (c’est une métaphore !). Dans le geste de briser, de rompre le pain pour le donner comme Jésus l’a fait la veille d’être lui-même brisé sur la croix, eh bien donc je vois que c’est accepter de donner de son intégrité, de sa capacité, corps et esprit, de ne plus s’appartenir à soi seul mais à d’autres, aux autres, ces innombrables autres qui m’entourent…

Alors vous voyez, rompre le pain en disant « ceci est mon corps livré pour vous », cela devient agir envers mon prochain, mon frère, ma sœur de cette manière : “Me voici, avec mes yeux, donnés pour toi, pour te regarder avec bienveillance, mes oreilles, pour t’écouter dans la peine ; mes bras, pour te soutenir à l’heure de l’épreuve ; en somme, ceci est mon cœur, livré pour toi- pour t'aimer inconditionnellement tel que tu es ».

 

Oui, mes amis, nous ne nous doutons pas de tout ce que le Seigneur veut faire en nous et par nous en se donnant à nous dans l’Eucharistie ! Après que Jésus ait expiré son dernier souffle sur la Croix et qu’une lance ait transpercé son côté, du sang et de l'eau jaillirent. (Jn 19:34) Du corps crucifié, brisé, torturé, de Jésus du sang et de l’eau ont coulé pour devenir source de guérison et de paix, comme ces eaux qui coulaient de la façade orientale du Temple pour rendre la vie à tout ce qu'elles touchaient (Ez. 47, 8-9).

 


Voilà ce que me dit cette fête du Corps et du Sang du Seigneur : Puissions-nous mes sœurs et frères devenir sources d'eau vive pour les autres ; puissent nos Eucharisties communautaires et nos communions, en nous faisant devenir toujours davantage le Corps du Christ, nous transformer chaque jour pour être ensemble Sacrement – c.à.d. présence réelle du Christ qui donne sa vie au monde !

Amen !



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