C DIM 26 - Lazare et les murs

 Lazare, ou tous ceux que Dieu n'oublie pas ! - Lc 16, 19-31



Saint Luc rapporte l’histoire du pauvre Lazare, longtemps resté à la porte du riche indifférent...Cette parabole nous interroge. Elle peut nous frapper. Elle devrait troubler notre sommeil !

En effet, Lazare a si longtemps été dédaigné, méprisé, délaissé. Au point de devenir invisible. Il était cependant assis à la porte d’un riche dont l’abondance était manifeste.

D’un côté, Lazare couvert d’ulcères, léché par les chiens ; de l’autre, le riche couvert de fortune, et simplement indifférent au sort d’un autre, pourtant assis devant chez lui.

En fait, l’histoire de Lazare et du riche, c’est l’histoire d’un mur. Un mur, comme ceux que nous avons dans nos jardins pour délimiter nos propriétés. Il y a des murs célèbres, comme le mur de Berlin, la grande muraille de Chine…

Et parfois, comme on dit, on va « droit dans le mur » !

Un mur, vous savez bien, ça se construit brique après brique. Le mur qui coupait en deux, qui séparait l’univers du riche et celui du pauvre Lazare, ne s’est pas fait en un jour. Dès leur enfance, et même bien au-delà, il y avait déjà de grosses disparités. Le milieu familial, l’éducation, le choix des études, l’accès aux outils d’insertion sociale, à l’informatique, l’accès au monde du travail et au pouvoir d’achat, au logement, à l’énergie, etc., tout cela ce sont les briques qui, petit à petit, en s’assemblant, forment ce mur de plus en plus infranchissable, de plus en plus opaque entre ceux qu’on appelle les riches et ceux qu’on appelle les pauvres. C’est ce qu’on appelle par ailleurs la « fracture sociale ».

Jésus parle, lui, d’un fossé, un abîme qui se révèle tout à coup après la mort, quand on voit les choses « d’en haut » et qu’il est trop tard pour le franchir ou le combler.  J’ai plutôt utilisé l’image d’un mur, à cause de sa caractéristique qui est de cacher ce qui se passe derrière, de l’autre côté. Ce qui quelque part nous arrange bien : on peut avoir la conscience tranquille. Pas vu, pas su. Les mondes différents ne se côtoient pas, et donc s’ignorent.

C’est le drame de ce monde, celui d’aujourd’hui en particulier, où les murs s’élèvent de partout, malgré les efforts louables de certains pour les déconstruire, les abattre : j’ai souvent l’impression que les gens vivent sur des planètes complètement différentes. On ne se comprend pas, parce que les murs ont grandi sans qu’on s’en rende compte.

Ainsi, entre ceux qui essaient de vivre en éco-responsables, prennent le vélo plutôt que leur voiture, trient leurs déchets, mangent des produits de saison et de circuits courts, et ceux qui ruinent ces efforts en quelques secondes en prenant l’avion pour des city-trips, tapent leurs poubelles dans la nature et vont voir la coupe du monde au Qatar, on peut dire qu’il y a en effet un mur… On va dire que les premiers sont des bobos, et c’est sans doute vrai en partie. Il faut déjà être d’un milieu privilégié pour avoir une conscience écologique.

Après les Formule 1 à Francorchamps où des centaines de milliers de spectateurs viennent de partout voir tourner des petites voitures qui roulent à plein tubes, quand j’habitais la région, j’ai eu souvent l’occasion de voir les prairies servant de camping réduites à l’état de dépotoirs à ciel ouvert. C’était affligeant – je ne crois pas que cela ait changé depuis. Et il n’y a pas que les sportifs, ou les amateurs de sport qui vivent sur une toute autre planète…

L’obstination à ne pas vouloir voir les conséquences sur le réchauffement climatique mais aussi sur l’économie mondiale d’un mode de vie axé sur la consommation à tout-va, le pillage des ressources et le gaspillage énergétique, me semble procéder du même problème ophtalmologique, du même aveuglement : restés trop longtemps derrière le mur, on n’a pas vu l’eau monter, ou la terre se dessécher, les gens mourir de famine de l’autre côté de la planète. Dans le confort de son fauteuil, la petite lucarne de sa télévision n’a pas suffi à l’homme occidental pour voir et surtout comprendre ce qui se passait de l’autre côté du mur. Des Lazare, il y en a maintenant des millions, des milliards. Chaque année davantage.

Les « lanceurs d’alerte » sont rarement écoutés, il est vrai. Quand le riche de la parabole demande à Abraham d’envoyer Lazare prévenir ses frères qu’ils vont à la perdition, Abraham répond qu’ils n’ont qu’à écouter la voix de Dieu (Moïse et les prophètes), mais que s’ils n’écoutent pas cette voix divine, « quelqu’un pourrait bien ressusciter d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus » (Lc 16,31).

 Plus les murs montent, plus il sera difficile de les traverser en passant par-dessus ou de les abattre. On voit ça avec certains courants d’extrême-droite, avec comme figures de proue des Donald Trump, des Sylvio Berlusconi, Giorgia Meloni, Viktor Orban, qui assument totalement leur indifférence voire même leur rejet des victimes de la pauvreté et de la misère… Ces courants fleurissent dans les opinions qui cherchent des boucs émissaires à la crise.

Alors, est-il trop tard pour faire tomber les murs ? Doit-on se décourager, se résigner, et se dire que « de toute façon », on n’y peut rien ?

Non, l’histoire de Lazare et du riche n’est pas si sombre qu’elle n’en a l’air : L’ultime délai pour changer et regarder par-delà le mur, l’abîme, est celui de notre mort individuelle. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ! Je puis chaque jour ouvrir les yeux et essayer, non pas de changer le monde, mais de me changer un petit peu moi-même.

L’histoire de Lazare et du riche n’est pas destinée à me culpabiliser, mais à m’aider à devenir plus conscient, plus humain, et donc plus heureux !

Elle n’est pas non plus faite pour nous contenter de l’état des choses en servant d’opium du peuple « Toi, le riche, dit Abraham, tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare le malheur ; et bien maintenant il trouve dans l’au-delà la consolation et toi la souffrance » : Cette phrase peut nous induire en erreur. Il ne s’agit pas de patienter jusqu’au jour où Dieu rétablira l’équité en renversant la balance en faveur des pauvres, mais de se secouer pour pratiquer dès maintenant la Justice de Dieu.

Vous avez remarqué que la parabole donne au pauvre un nom : Lazare, Eléazar, traduit par « le Seigneur aide, ou fait grâce » ; tandis que le riche n’est défini que par sa richesse, il n’existe que par elle et pour elle, il n’a pas besoin de Dieu ! 

Chaque jour des pauvres Lazare sont à nos portes. Et les drames actuels vont faire grandir leur nombre... Le Seigneur trouvera-t-il, avec nous ou en nous, des coopérateurs pour sa grâce ? Le Sauveur nous a aidés, à en mourir ; mais nous que ferons-nous pour Lazare ? Saurons-nous lui offrir nos bras, nos forces, notre aide, pour rendre concrète sa grâce, sa justice ?

Dans ce cas, avec Lui, le pauvre Lazare est prêt à nous aider.

- Décidons-nous ! Vite ! 

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