B VENDREDI SAINT - Post tenebras spero lucem

 


Méditation du Vendredi Saint 

Post tenebras spero lucem ! (Après les ténèbres j'attends la lumière)

 

Ce matin du Vendredi-Saint, je priais en suivant l’Office des Ténèbres sur YouTube, chanté par la communauté bénédictine de Saint-Thierry près de Reims (formidable ce que la technique permet quand même !) – liturgie très prenante, toute centrée sur la croix du Christ. Les psaumes (dont le fameux psaume 21 prié par Jésus lui-même : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ») et des extraits bibliques comme un passage du Livre des Lamentations donnent le ton et la couleur. Le Vendredi-Saint est bien le jour où la chrétienté toute entière contemple et médite sur les souffrances de l’humanité que le Fils de Dieu est venu partager.

Le nom même de cette liturgie est évocateur : « Office des Ténèbres ». Comme le disait une des religieuses bénédictines, les ténèbres obscures qui enserrent le Christ en sa passion et qui recouvrent aussi toute l’humanité, ces ténèbres rejoignent aussi les nôtres personnellement. Notre part d’obscurité. Nous sommes, et nous nous ressentons solidaires aujourd’hui de toutes ces souffrances et malheurs où gisent tant de nos frères ; nous y reconnaissons le visage du Seigneur, « défiguré au point de n’avoir plus d’aspect humain » (Is. 52,14 : chant du Serviteur souffrant).

Ces textes et cette liturgie s’achèvent cependant dans l’espérance : « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée ! » « Et mon âme vivra pour lui [le Seigneur], ma race le servira ; on annoncera le Seigneur aux âges à venir, et sa justice aux peuples à naître. Telle est son œuvre ! » (Ps 21, 22b-23 ; 31-32). « Je le crois, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants. Espère en Dieu, prends cœur et prends courage : espère en Dieu ! » (Ps 26,13-14). Déjà pointe comme une lueur annonciatrice de Pâques… Mais que ce Vendredi Saint est long ! Qu’il nous tarde de voir le Jour ! La nuit dure toujours.

J’ai été très touché cette année par l’actualité de cette liturgie alors qu’on a l’impression aujourd’hui que le monde tout entier entre dans un nouvel ‘âge des ténèbres’, une époque où tout semble s’écrouler, où les conflits, les haines et les excès de toutes sortes (l’ubris) entraînent l’humanité et la création elle-même dans un gouffre dont elle ne pourra plus sortir, une pente fatidique.

La Sainte écriture, de façon très concrète, donne une voix à ces cris d’angoisse, ces pleurs et ces souffrances, telles que je peux les imaginer, à Gaza par exemple, où sévit de façon épouvantable la famine qui tue aussi sûrement que les bombes ; ou encore à Haïti, à Odessa, au Liban, à l’est du Congo, au Yémen… :  « Mes yeux sont usés par les larmes, mes entrailles frémissent ; je vomis par terre ma bile face au malheur de la fille de mon peuple, alors que défaillent petits enfants et nourrissons sur les places de la cité. À leur mère ils demandent : « Où sont le froment et le vin ? » alors qu’ils défaillent comme des blessés sur les places de la ville et qu’ils rendent l’âme sur le sein de leur mère… » « Vois, Seigneur, et regarde : qui as-tu traité ainsi ? Les femmes doivent-elles manger leurs enfants, les petits qu’elles choyaient ? Le prêtre et le prophète doivent-ils être tués au sanctuaire du Seigneur ? Ils gisent par terre dans les rues, l’adolescent et le vieillard ; mes jeunes filles et mes jeunes gens sont tombés par l’épée, tués, massacrés sans pitié… Tu as convoqué mes terreurs de toute part ! » (Lam. 1, 11.12 ; 20-22a) : N’est-ce pas criant d’actualité ? Comment ne pas pleurer devant ces images, ces témoignages qui nous arrivent chaque jour par les médias ? Le ciel est de plus en plus assombri, noir !

Le malheur dont Jérémie, l’auteur présumé des Lamentations, attribue la responsabilité à Dieu dans une perspective biblique où rien n’arrive sans que Dieu le veuille (Inch’Allah – Mektoub), n’est en fait, nous le savons, que le fait de l’Homme. L’Homme plongé dans ses ténèbres intérieures, aveuglé à tout ce qui n’est pas lui-même : son avidité, son orgueil, son insensibilité…  Mystère de l’Iniquité ! Faille béante par où le Mal est entré dans son cœur malade et y a fait son royaume. « Le cœur de l’Homme est compliqué et malade ; qui peut le connaître ? » (Qui pourra le guérir ?) – Jér. 17,9-10 : « Moi, dit le Seigneur ! »

Oui, le Vendredi Saint nous fait regarder en face ces ténèbres que nous nous cachons si volontiers et que nous cherchons habituellement à ne pas voir ! Jésus les a également ressenties, mais il les a aussi affrontées, quand il a dit à Gethsémani : « Mon âme est triste à en mourir. » (Mt 26,38). « Maintenant mon âme est troublée ; et que dirai-je : Père, délivre-moi de cette heure ? Mais c’est pour cela que je suis venu à cette heure. Père, glorifie ton nom ! » (Jn 12,27)

Jésus nous invite à entrer, nous aussi, en ce saint Vendredi, dans ce combat intérieur contre les ténèbres du désespoir, du doute et de la peur. Lui, Jésus, en a triomphé par amour pour son Père et pour chacun de nous ses frères, en consentant à cette mort ignominieuse qu’il aurait pu éviter : Ainsi, il se rangeait définitivement du côté de ceux que l’injustice et la haine écrasent, du côté des malheureux et des souffrants, qu’il accompagne jusque dans leur agonie. Nous ne sommes pas seuls, nous ne serons jamais plus seuls dans nos combats !

Oui, ce combat est bien celui de la Lumière ; elle a vaincu les ténèbres du mal, du péché et de la mort. Si pour l’instant cette Lumière est encore voilée, si le Vendredi Saint dure encore depuis tant de générations sur cette terre qu’ensanglante la violence d’une Bête dans ses dernières convulsions rageuses, elle éclatera à Pâques dans la puissance irrésistible de la résurrection qui sera donnée à tous ceux qui ont l’Esprit du Christ. « Ils viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs vêtements dans le sang de l’Agneau. C’est pourquoi ils sont devant le Trône de Dieu et le servent jour et nuit. Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, ni le soleil ni la chaleur ne les accablera. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. » (Apoc 7,14-17)

Déjà, joyeuse fête de la Résurrection !

BP

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