C PAQ 07 - "Qu'ils soient un !"

 29 mai 2022 – 7ème dimanche de Pâques C

 


Pas vraiment digestes, n’est-ce pas, les textes de ce 7ème et dernier dimanche de Pâques !

On commence par un récit horrible, celui de l’exécution par lapidation d’un disciple, Etienne.

Puis, pour bien nous secouer les neurones, le dernier passage de l’Apocalypse, avec son langage codé qui parle d’ange, de lavage de vêtements, d’alpha et d’omega, etc.

Et pour couronner le tout, l’Evangile est une espèce de long monologue très dense sous forme de prière où chaque phrase demanderait 10 minutes de réflexion.

Ouf ! C’est un peu lourd sur l’estomac, n’est-ce pas ? On préférait les petites histoires où Jésus parle de la petite graine qui pousse toute seule, la brebis égarée et retrouvée, l’histoire du père et de ses deux fils… 

Les textes d’aujourd’hui donneraient il est vrai du grain à moudre à ceux qui depuis des années répètent qu’on devrait expurger la liturgie de tous les passages incompréhensibles, rébarbatifs et « qui n’apportent rien ». Pourquoi ne pas les remplacer par des textes profanes, d’ailleurs ? Il y en a de très beaux, bien plus parlants… !

J’entends régulièrement ce genre de réflexion. En fait, ce que ces gens (que je respecte par ailleurs, parce que je peux saisir leurs difficultés) – ce que ces gens demandent, c’(est du « fast-food spirituel ». Non pas de la grande cuisine gastronomique, mais du « Mac Donald » rapide et sans effort. Mais aussi, hélas, sans goût et sans valeur nutritive !

J’entends bien la difficulté de s’approprier des textes qu’on perçoit comme anciens et donc dépassés, surtout si on n’a pas les clés de compréhension – le gouffre culturel s’accroît de plus en plus ; mais le problème à mon sens, est d’abord et surtout pour le croyant d’aujourd’hui, de passer de la conception des textes sacrés comme si c’était une langue morte, parlant de réalités qui ne sont plus celles d’aujourd’hui – à une conception de ces textes comme une Parole vivante et qui donne Vie, car en prise avec la réalité concrète de tout être humain aujourd’hui. 

Cette compréhension ne peut se faire que dans une méditation assidue où j’écoute avec ma raison mais aussi avec mon cœur Dieu me parler au travers de ces textes, et que je prends le temps de laisser cette parole descendre en moi et y faire son travail – souvent en bousculant mes idées, mes croyances, mon confort moral et intellectuel. La Parole est avant tout rugueuse, décapante, comme un glaive à deux tranchants, disait St Paul. C’est pourquoi on cherche tant à la polir, à l’adoucir, à l’élaguer de tout ce qui dérange… ou qu’on n’a pas trop envie de comprendre parce que ça remettrait en question le bricolage théologique que l’on s’est construit.

Enfin, dernier obstacle à la réception de la Parole de Dieu contenue dans ces textes : la perte du sens poétique dans notre société matérialiste et fonctionnelle. Or, la Bible est imprégnée de poésie, qui est un langage indirect pour dire ce qui n’est pas de l’ordre matériel comme la beauté, l’amour,… et bien sûr Dieu.



Mais revenons à nos moutons ! Je veux dire, à la Parole donnée ce dimanche à tous les disciples du Christ.

Ecoutons le Rejeton, le Descendant de David, l’Etoile resplendissante du matin nous parler !

« QU’ILS SOIENT UN » , répété quatre fois.


Vous savez quelles sont les forces qui régissent l’univers physique ?

-        La force de la gravité

-        La force centrifuge et la force centripète (sont un effet de la 1ère)

-        La force électromagnétique

-        La force d’inertie


La principale est la force de la gravité découverte par Newton. C’est grâce à elle que nous tenons debout sur la terre. Elle se manifeste par un équilibre entre les forces d’attraction et de répulsion entre tous les corps physiques, suivant leur masse et leur distance. Grâce à ces forces, l’univers se déploie en une danse céleste où tout se tient.

Or, qu’en est-il de l’homme et des sociétés qu’il tente de construire ?

Il y a, constate-t-on, dans les volontés humaines de s’assembler et de vivre ensemble en s’organisant, des phases de construction et des phases de dissolution et d’éparpillement.

Par exemple, on peut citer le projet européen. Il y a à l’œuvre dans tous les projets de société, à la fois des forces centrifuges (qui rassemblent et unifient) et des forces centripètes (qui dispersent comme le Brexit). Tantôt ce sont les unes qui dominent, tantôt ce sont les autres.

Les dictatures et les totalitarismes avec les guerres qu’elles génèrent sont souvent un moyen employé pour unifier par la force, en niant les différences. On crée une unité artificielle, qui finit généralement par exploser un jour.

Or le projet de Dieu est différent. Il s’agit de créer une unité entre tout le genre humain, mais à l’image de la Trinité, c’est-à-dire sans confusion des personnes ni des peuples. Les identités sont fondamentales, si elles ne s’opposent pas mais se complètent et s’enrichissent mutuellement.


Or, on a bien conscience que c’est très difficile -pas seulement de faire cohabiter des gens qui ont des cultures, des histoires, des mentalités différentes, mais aussi de leur faire prendre conscience qu’ils sont une seule humanité - une famille, et qu’ils sont donc appelés à vivre en frères avec tout ce que cela comporte ! A fortiori s’ils sont chrétiens. L’unité des chrétiens doit refléter l’unité des personnes en Dieu. « Qu’ils soient un, comme nous sommes un, moi en eux et toi en moi. »

Ce n’est pas gagné ! Les divisions, les clans, les fractures entre les chrétiens chez nous où ailleurs restent criantes et sont un contre-témoignage.

Je pense que c’était une des préoccupations majeures de Jésus, juste avant sa Passion. Il devait se demander, connaissant l’Homme et ses tendances « centrifuges », quelle sera la suite après son départ ?

Il a entraîné ses disciples, il les a mis en route pour continuer de bâtir son Royaume ; vont-ils continuer à marcher ? Vont-ils rester unis entre eux, et eux avec lui après son départ ? On comprend que ce souci le taraude…

D’où cette prière si forte et émouvante : 


« Père saint, je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais aussi pour tous ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi. Que tous soient un, comme toi Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé, et que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux. »

:=> Jésus implore pour nous cette grâce inouïe de vivre entre nous ce qui caractérise la vie qu’il partage avec son Père. En Christ, nous apprenons que la vie de Dieu est communion, communauté d’amour et de joie. Jésus demande pour nous la même communion et la même joie… Cette unité demandée par Jésus est un service que la communauté chrétienne doit rendre au monde, pour que tous les hommes découvrent enfin qu’ils sont faits pour vivre en alliance les uns avec les autres et non en guerre les uns contre les autres

Pourquoi est-ce si difficile de vivre ensemble, d’accepter nos différences et même d’en faire des atouts ? 
J’aime cette comparaison avec un puzzle. Toutes les pièces sont différentes. Et en fait, lorsque les pièces de puzzle acceptent leurs places respectives en s’ajustant aux autres et qu’on ne cherche pas à les forcer à entrer dans des cadres qui ne sont pas les leurs, elles forment une unité et offrent un dessin harmonieux.

Travail immense et d'une importance capitale pour l'avenir du monde. On peut rêver que, si, à l’époque, au lieu de se cramponner dans un patriotisme chauvin, les communautés chrétiennes de Belgique, de France, d’Italie et d'Allemagne avaient refusé de hurler les slogans guerriers, si elles avaient dit : « Nous sommes, tous, UN en Christ : nous ne pouvons nous tirer dessus », peut-être n'y aurait-il pas eu ces deux épouvantables carnages de 14-18 et 40-45 ? L’exemple d’Etienne, préférant pardonner à ses bourreaux comme son maître…

Dans la longue histoire des chrétiens et des peuples, des multitudes se sont un jour découvertes séparées, parfois sans même en connaître le pourquoi. Aujourd’hui il est essentiel de tout accomplir pour que le plus grand nombre de chrétiens, souvent innocents des séparations, se découvrent en communion et le vivent réellement.

Et pour cela, peut-être nous faut-il commencer par faire l’unité en nous-mêmes car, souvent, nous sommes des êtres divisés, tiraillés, écartelés entre notre désir d’être chrétiens, de vivre réellement de la foi au Christ et toutes les pesanteurs, les lourdeurs de nos existences.

« Comment vous assurer que Dieu vous a donné son Esprit ? Interrogez vos entrailles » conseillait Saint Augustin. « Si elles sont pleines de charité, vous avez l’Esprit de Dieu ! »

La foi en Jésus ne nivelle pas. Elle ne nous oblige pas à être toujours du même avis. Ce que le Christ attend de nous c’est que nous apprenions à dialoguer, à écouter l’autre, à reconnaître ses qualités et ce qui fait la valeur de sa vie. Si nous prétendons avoir toute la vérité, il ne pourra pas y avoir de vraie rencontre. C’est essentiel au moment où dans la reconstruction du paysage paroissial chez nous et dans tous les diocèses, nous sommes tiraillés entre l’ouverture à l’ensemble de la « chrétienté », les UP, le doyenné, et le repli frileux sur nos clochers.

Bien sûr, il y aura toujours des tensions à gérer, des problèmes à résoudre dans nos communautés, nos paroisses… Oui bien sûr, mais en même temps, nous devons éviter de réduire ces paroles de Jésus à une simple exhortation à être tolérants entre nous. Ce qui est en jeu c’est l’unité en Dieu. Jésus prie pour que nous soyons vraiment incorporés dans ce mouvement d’amour qui unit le Père, le fils et le Saint Esprit.


En cela, Marie qui a formé le cœur de Jésus, qui l’a formé pour Dieu sans le moindre désir de possession, de garder son fils pour elle, Marie peut nous introduire dans cette vie d’union à Dieu et aux autres, faite de gratuité et de don, d’offrande de soi comme elle l’a elle-même vécue. Marie n’est pas avant tout la « Reine couronnée au ciel », mais d’abord tout simplement la mère de Jésus le Messie. Mais si ce Messie est l’alfa et l’oméga de notre vie en tant que chrétiens, notre joie et notre reconnaissance doivent aussi se retourner vers elle qui a été beaucoup plus que la source biologique de son existence. Marie nous apprend à être pour Dieu, nous aussi, des fils et des filles en Jésus Christ, et des frères et des sœurs entre nous en vivant dans l’Esprit.

Que notre unité, nourrie du pain de l’Eucharistie, dise au monde l’amour dont le Christ nous a aimés. 
Amen, viens Seigneur Jésus !


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LES HOMELIES - ANNEE A