B DIM 17 - Dieu et les boulangers

Ce week-end, j’ai eu l’impression d’assister à un exode : 380.000 spectateurs fans de Formule 1 se dirigeant vers le célèbre circuit de Francorchamps ! Jadis, seule une guerre pouvait faire se déplacer ainsi autant de monde : Mais alors, les gens n’avaient pas le choix…


Sans revenir sur l’aspect absolument anti-écologique de l’événement et l’absence totale de questionnement sur l’impact de ces comportements sur le climat, il est évident que ce type de manifestation de masse – comme d’ailleurs les Francofolies, l’Euro de foot, les J.O. bien sûr, -mais on pourrait aussi ajouter la visite du pape chez nous en septembre prochain!, il est évident que ces rassemblements de foules représentent une manne financière importante pour tout un secteur qui assure logement et restauration.

Je suis frappé du niveau d’organisation impressionnant que ces événements suscitent : rien n’est laissé au hasard ! à Francorchamps, dans toute la région et depuis des semaines, se mettent en place parkings, zones de secours, ravitaillement, signalisation, etc. Les hôteliers, les food-trucks et les restaurateurs de toutes sortes ne sont pas de reste : Des tonnes de nourriture sont acheminées sur les lieux ; vous imaginez ce que peuvent consommer 300 ou 400.000 personnes ! Evidemment, une partie de celles-ci auront amené leur propre ravitaillement, par groupes ou individuellement.


Alors, ça me sidère un peu de voir dans l’évangile de ce jour que, quand cette foule (relative : 5.000 hommes mais quand même une foule) est venue écouter Jésus dans un bled (mot arabe signifiant désert), on n’a absolument pas pensé à organiser l’événement, à prévoir des tentes, des postes de rafraîchissement avec des bidons d’eau, des stewards pour accueillir et diriger les gens à leur place… et, bien sûr, des points-chauds boulangers pour les ravitailler. Rien, aucune prévision ! – à part ce gamin avec son casse-croûte. Personne n’oserait aujourd’hui lancer un événement religieux rassemblant autant de monde, les J.M.J. par exemple, sans une préparation minutieuse et une logistique à toute épreuve (J’ai apprécié celle des JMJ-Belgium à Maredsous, impeccable).

Et vous, chers frères et sœurs, qui vous êtes déplacés ce matin pour écouter la parole du Christ et assister à la messe, je suis sûr que vous avez prévu le menu du repas de ce midi, et que vous avez tout bien prêt dans votre réfrigérateur ou sur les fourneaux sur le point de cuire. Certains regardent déjà leur montre avant la fin de la messe en calculant ces opérations culinaires… Les boulangers, qui ouvrent tous le dimanche matin, vous ont déjà fourni le pain frais bien avant l’heure de la messe. (À propose, je commence à avoir un peu faim, pas vous ?)


Que faut-il en conclure ? Que les temps ont changé, bien sûr, notre époque moderne a horreur de l’impréparation et on veut se prémunir contre tout imprévu. Et qui serait disposé à écouter un prédicateur, ou même à assister à un spectacle, le ventre vide ? Les pèlerins qui cheminent sur les chemins de Compostelle eux-mêmes sont aujourd’hui inondés de propositions alléchantes accumulant les étoiles Michelin ! Le pèlerin moderne, aujourd’hui, se réserve une bonne table à chaque étape.

Ce que je voulais souligner, en fait, c’est une dimension qui s’est perdue petit à petit au fur et à mesure que nous nous sommes habitués à notre confort - un principe de vie que Jésus a résumé en une phrase lapidaire :  « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »

C’est la dimension spirituelle de notre existence. Elle s’est amenuisée, rétrécie au fil des progrès techniques alors que la dimension matérielle, elle, prenait de plus en plus de place, jusqu’à la remplacer totalement.

Les gens de Palestine qui sont venus entendre prêcher Jésus n’étaient sans doute pas des gens très éveillés spirituellement ; l’évangéliste Jean précise que cette foule le suivait parce qu’elle avait vu les signes (les miracles) qu’il accomplissait sur les malades. Mais ils sont dans l’attente, dans l’espoir d’autre chose que le train-train de leur vie quotidienne. Beaucoup sont des pauvres, des gens peu considérés. Il y a aussi des gens de caste plus élevée qui sont insatisfaits de tout ce que leur position sociale leur apporte, ils sont à la recherche d’autre chose. Les paroles que ce Jésus de Nazareth prononce les touchent au cœur ; elles réveillent en eux d’autres faims que simplement celle du pain…


De quoi, de qui avons-nous faim, mes sœurs et mes frères ? Vraiment faim, au fond de nous-mêmes ? « Dis-moi ce que tu manges (ce dont tu te nourris ou ce dont tu as faim), et je te dirai qui tu es ! » dit l’adage.


De quoi nourrissons-nous / remplissons-nous notre vie, nos cœurs – nos âmes ? 

-D’internet ou d’émissions de TV parfois intéressantes mais aussi parfois débiles ?

-De spectacles vantant la puissance, la domination technologique comme certains sports moteurs, ou encore de divertissements mettant en avant l’agressivité, la force brutale ?

-De mode, de soins du corps et de l’apparence, de mise en forme ou de culturisme, toutes choses qui même si elles sont bonnes en soi, occupent parfois chez certaines personnes l’essentiel de leur temps, de leurs soucis ?

-D’argent, bien sûr, et de moyens d’en gagner toujours davantage pour pouvoir en dépenser plus… en voyages, en confort, en bien-être personnel et prestige ?

Etc.

Bien sûr vous et moi nous ne correspondons pas à tout cela – en tout cas, pas entièrement. Mais nous sommes tellement manipulés par la société de consommation qui nous fait croire à la nécessité de tout cela – qui nous le fait littéralement 'avaler', que nous perdons parfois de vue nos vraies faims , et notre faim la plus profonde : la FAIM DE DIEU. « Tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos jusqu’à ce qu’il repose en Toi. » (saint Augustin)

Jésus est venu répondre à cette faim qui est inscrite au plus profond de nous-mêmes. Il est, lui, le Pain de Dieu, celui qui vient combler le cœur de l’homme. (Jn 6,51). Il est la source qui abreuve, désaltère nos soifs intérieures : « Celui qui boira l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus soif à jamais » (Jn 4,14).


Alors, voyez-vous, le miracle que le Christ va faire au désert en nourrissant la foule, ce signe prend un sens bien plus large qu’il paraissait. Evidemment, Jésus a le souci de ces hommes et de ces femmes qu’il voit sans ressources et affamées ; il sait qu’ils ont des besoins primaires essentiels comme celui de manger. Mais en réalisant ce signe de la ‘multiplication’, il invite à la fois à la confiance en Dieu qui EST l’unique ESSENTIEL, et signifie en outre que LUI, JESUS, est le PAIN DE VIE ETERNELLE, le Pain d’Amour que l’Eucharistie rend présent chaque dimanche dans nos communautés.  


Ainsi vous voyez, on a une lecture possible à plusieurs niveaux de cet évangile. Le premier sens serait que, comme Jésus qui prend soin de la foule affamée, les chrétiens ont pour mission d’être attentifs aux besoins de leurs frères humains et de chercher, par le partage, à apaiser ces faims et ces pauvretés matérielles, sociales ou autres. Bien des associations chrétiennes humanitaires ou sociales sont nées de cette interpellation : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Luc 9,13).  Cela doit rester notre préoccupation tous les jours, mais pas la seule.  

Car le second niveau de lecture qui est celui que j’ai essayé de vous présenter, sans annuler le premier, nous remet devant le sens fondamental à retrouver constamment à notre existence humaine : 

De quel pain ai-je faim ?  ET Où vais-je LE CHERCHER ?


Méditons cette question, frères et sœurs, en mangeant notre tartine ou notre croissant du matin. 

Bon appétit !

(le boulanger de service)



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