A EPIPHANIE - Jusqu'au bout de la rue !
"Voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem..."
Qui sont-ils ces mages ? des prêtres, des
magiciens, des astronomes, des astrologues ?
D’où viennent-ils ? De l’Orient : de
Perse, de Mésopotamie, ou d’ailleurs encore ?
Et combien sont-ils ? L’évangile ne nous le
dit pas…
Sans doute au
VIII° siècle, la tradition a fait de ces mages les représentants de tout le
monde connu à l’époque: l’Afrique, l’Asie, l’Europe, symbolisés par un noir, un
jaune, un blanc.
Signe
d’universalité, signe que le Christ n'est pas envoyé pour quelques-uns
seulement mais pour tous les peuples, pour chaque homme, chaque femme, chaque
enfant qui habite notre terre.
Pendant
longtemps, l’Église a vu dans ce signe d’universalité une invitation à porter
l’Évangile au bout du monde, à soutenir l’effort missionnaire à travers les
autres continents.
Et nous
n’avons pas oublié cette dimension de la mission puisque chaque année, la fête
de l’Épiphanie est l’occasion d’une prière et d’un soutien spirituel et
matériel aux églises du continent africain (la collecte !).
Mais les
immenses bouleversements que connaît notre monde changent la donne !
1.
D’abord, parce qu’on assiste un peu partout à une recrudescence et une exacerbation des nationalismes. Or, les nationalistes réécrivent l’histoire en créant ou en détournant des mythes : Le nazisme allemand avait fondé son idéologie sur le mythe arien d’un peuple pur et sans mélange, destiné à dominer le monde. Le fascisme italien avait récupéré les attributs mythifiés de l’empire romain. Les nationalistes flamands fondent leur identité culturelle sur la fameuse « bataille des éperons d’or » … Jusqu’à la Russie actuelle qui justifie sa volonté d’hégémonie territoriale et la guerre en Ukraine sur le mythe moyenâgeux de la « sainte Rus » face à un Occident hérétique et décadent, s’appuyant pour cela sur l’Eglise russe orthodoxe.
Il a toujours été tentant d’utiliser les mythes religieux ou patriotiques qui en soi n’ont rien de vraiment historique mais sont souvent des constructions légendaires servant une cause politique. Parfois même avec une mission divine à la clé, pour porter la civilisation à de pauvres peuples plongés dans l’ignorance et le paganisme : La colonisation a par exemple été soutenue par ce genre de mythe.
Le récit fabuleux
des Mages venus d’Orient pour adorer « le roi du monde » ne serait-il
donc pas un de ces mythes dont il faut se méfier ? Un récit construit de toutes pièces pour
inviter tous les peuples à se soumettre à une Eglise suprématiste et
conquérante ? Je me fais l’avocat du diable…
Bien sûr, il
est difficile – impossible de rejoindre la réalité historique de cet événement.
Nul doute qu’il y a une part de construction de la part de l’évangéliste
Matthieu, attaché à montrer la dimension messianique de Jésus et qui a peut-être
réutilisé des matériaux pris ailleurs... Mais là où l’on s’écarte
complètement des mythes religieux nationalistes, c’est justement dans l’interprétation
que l’Eglise fait de ce récit et qui ouvre au contraire les portes de la communauté
de foi à toutes les races, toutes les cultures, et même à ceux qui ne sont pas
d’origine juive mais païenne. C’est l’anti-nationalisme, un
universalisme sans frontières ! Une pentecôte avant la lettre…
Le récit de l’Epiphanie
bien interprété pourrait donc soigner voire guérir notre planète de ses démons appelés
racisme, suprématisme, colonialisme, nationalisme…
En outre, la tradition populaire ayant fait de ces mages des « rois » adorant un enfant pauvre et sans pouvoir autre que celui de l’amour, le message prendrait une dimension supplémentaire qui est celui de la reconnaissance de l’humilité de Dieu. Un Dieu qui n’est plus le Tout-Puissant démiurge ou potentat qui trône au-dessus de tous et impose sa loi, mais il s’identifie désormais aux plus faibles, aux plus désarmés, aux plus pauvres des humains. Quel renversement des valeurs !
Un autre bouleversement est aussi en train de remodeler le monde d’aujourd’hui : ce sont les migrations. Un phénomène qui prend une ampleur mondiale, et dont on n’a pas encore réalisé toutes les conséquences. (Ce phénomène nourrit d’ailleurs les populismes et les nationalismes qui jouent sur la peur d’être « envahis »).
Désormais, l’étranger n’est plus seulement de l’autre côté des mers, il est d'abord à notre porte, il est notre voisin. (Il y a d’ailleurs un film des "Inconnus" -réalisé par Didier Bourdon et Bernard Campan- intitulé : « Les Rois Mages » qui met en scène les trois « rois » débarquant à Paris en 2001 – ils rencontrent une jeune comédienne et un maghrébin de banlieue qu’ils vont entraîner dans leurs aventures. Au-delà de l’aspect déjanté, cela fait quelquefois réfléchir…).
L’Epiphanie
nous invite à voir ces personnes issues de la migration avec un autre regard. N’ont-ils pas un message à nous transmettre ? Peut-être d’abord
avant tout que l’humanité est une. Tous nous sommes enfants de Dieu, et
nous sommes tous frères, ou destinés à le devenir même si nous nous faisons la
guerre. Tôt ou tard, les armes devront se taire, et les mains se tendre par-delà
nos frontières artificielles, celles que nous établissons parfois dans nos
propres communautés.
3.
Enfin, troisième
défi, le réchauffement climatique s’accompagne d’une glaciation
relationnelle.
À cause de la vie actuelle, nous devenons des étrangers les uns pour les autres : le souci de la seule liberté individuelle, le désir exclusif d’épanouissement individuel, l’accélération du rythme de toute la vie avec l’essor technologique ont pour conséquence de nous éloigner les uns des autres, parfois jusqu’au repli sur soi, et de créer des fractures sociales.
L’Église a
pris cela de plein fouet. Nos contemporains sont plus en plus nombreux à être
étrangers à l’Évangile et à son message, étrangers à l’Église, à ses paroles,
ses gestes, sa prière, sa culture...
Alors, l’Épiphanie, signe d’universalité, ne serait plus seulement une invitation à
porter l’Évangile au bout du monde, mais aussi et peut-être aujourd’hui d’abord,
un appel à porter
l’Évangile au bout de notre rue.
La fête de
l’Épiphanie met en avant ce formidable défi auxquels, nous chrétiens, sommes
confrontés : manifester Jésus le Christ au monde, à notre société, porter
l’Évangile à la fois au bout du monde et au bout de notre rue, porter
l’Évangile à nos voisins et nos amis, à nos enfants et petits-enfants...
Formidable
défi que de trouver les mots, les actes qui
auront une résonance dans les cultures d’aujourd’hui ; les mots et les actes qui permettront à des frères étrangers au
Christ de le rencontrer et de le connaître, qui permettront que naisse la foi. L’Épiphanie
est aussi une Pentecôte, un appel à ce que le souffle de l’Esprit nous aide
à proclamer l’Évangile dans toutes les langues et les cultures de la terre.
Les mages étaient étrangers à la culture et à la religion juive. Astronomes, astrologues, ils cherchaient Dieu dans les étoiles. Et c'est ainsi que Dieu s'est manifesté à eux : dans leur culture, dans leur langage, dans leur manière de comprendre le monde. Une étoile, une étoile nouvelle, signes pour eux d'un événement nouveau et important. Une étoile qui les a guidés jusqu'à Bethléem, comme Dieu guide tous ceux qui acceptent de lui faire confiance, même ceux qui ne le connaissent pas… Et nous, saurons-nous parler le langage de l'autre ? Saurons-nous trouver les mots et les gestes qui le rejoindront au plus vrai, au plus profond de son cœur ? L'autre, l'étranger, celui du bout du monde, celui du bout de la rue, saurons-nous l'entendre, saurons-nous le comprendre, saurons-nous le rencontrer dans son monde et sa culture ?
Au contraire des mages, Hérode et les siens, n'ont pas bougé. Ils sont
restés dans leurs palais, leurs temples, leurs certitudes. Et nous,
resterons-nous dans nos églises, nos chapelles, nos sacristies, nos certitudes?
En cette fête de l'Epiphanie, comme au jour de Pentecôte, le souffle de
l'Esprit nous invite à sortir de nous-mêmes, à aller plus loin.
…Oh, pas très loin : simplement, jusqu'au bout de notre rue !
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