B DIM 30 - Jérémie vs Gaza ?
Première lecture du 30ème dimanche du temps ordinaire :
« L’aveugle et le boiteux, je les fais revenir » (Jérémie 31, 7-9)Ainsi parle le Seigneur : Poussez des cris de joie pour Jacob, acclamez la première des nations ! Faites résonner vos louanges et criez tous : « Seigneur, sauve ton peuple, le reste d’Israël ! » Voici que je les fais revenir du pays du nord, que je les rassemble des confins de la terre ; parmi eux, tous ensemble, l’aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée : c’est une grande assemblée qui revient. Ils avancent dans les pleurs et les supplications, je les mène, je les conduis vers les cours d’eau par un droit chemin où ils ne trébucheront pas. Car je suis un père pour Israël, Éphraïm est mon fils aîné.
Dans les actualités,
on parle beaucoup d’Israël ces temps-ci… Et pas vraiment dans un contexte très
joyeux. L’horreur des attentats du 7 octobre 2023 et la guerre féroce qui a
suivi entre l’Etat d’Israël et le Hamas à Gaza, puis avec le Hezbollah au Liban
et qui se poursuit toujours, avec à la clef des milliers de victimes innocentes,
tout cela nous a profondément choqués et consternés. Et on constate avec amertume
que la diplomatie n’a aucune prise sur cet enchaînement de violence qui ne fait
que s’élargir toujours plus. Les factions en présence sont décidées à aller
jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la destruction totale de l’ennemi, quel que
soit le coût à payer pour les civils…
Tout ceci rend difficile
à entendre le discours de Jérémie dans la première lecture : On dirait que
Dieu prend parti pour Israël, qu’il appelle « son fils ». Fils aîné,
même ! – ce qui laisse entendre qu’il en a plusieurs. (Comme la France,
« fille ainée de l’Eglise » selon l’expression). Remarquons que si
l’aînesse est un statut qui procure certains droits ou avantages, il implique
en même temps une responsabilité, clairement. Et des devoirs. L’aîné, en plus
de l’exemplarité, doit avoir le souci des cadets qu’il doit protéger et
soutenir.
C’est peut-être un
premier élément à méditer. Et puis, quand nous entendons le nom d'Israël, nous pensons à l'Etat d’Israël. Or il ne faut pas confondre les
habitants juifs ou arabes d’Israël et leur gouvernement actuel, composé d’élus de droite et
d’extrême-droite fanatiques. Une grande partie des Israéliens s’élève
actuellement contre la politique jusqu’au-boutiste de leur premier ministre et
de ses chefs de guerre. Beaucoup en ont assez de cette guerre et réclament la
paix. Quand adviendra-t-elle, et à quel prix et quelles conditions, c’est
évidemment une question à laquelle personne ne peut pour l’instant répondre.
Quand on parle de
l’Israël biblique (ou Jacob, Ephraïm : ce sont d’autres noms pour
désigner les « tribus du Seigneur »), quand on parle de l’Israël
biblique au temps de Jérémie, on est évidemment dans une autre réalité. Et ceux
qui s’appuieraient sur une représentation antique de Dieu présenté comme
« le Dieu des armées » dont le bras vengeur s’abattrait sur tous les
adversaires d’Israël, donc aujourd’hui sur les Palestiniens et les voisins
arabes ou iraniens, ceux-là devraient se demander sincèrement s’ils ne
commettent pas un péché d’anachronisme – en tout cas, une récupération
idéologique pour justifier leur propre violence.
Au contraire, chez
Jérémie et les prophètes, on trouve tout autre chose : Si leurs messages
contiennent des menaces et des avertissements, ils sont généralement là pour
inviter leurs compatriotes à la conversion, quand leur insouciance et
leur infidélité les éloigne de Dieu et de l’Alliance. À ce moment-là, ils ont
des paroles très sévères et annoncent la catastrophe imminente. Leur mise en
garde, c’est : « vos bêtises vous mènent tout droit à la catastrophe ! »
Mais au contraire, à l’heure du malheur, ils viennent redonner l’espérance, ils
rappellent que Dieu n’abandonne jamais son peuple quelles que soient ses
bêtises.
C’est justement le
cas, dans le contexte du passage lu aujourd’hui chez Jérémie. On est à l’époque
de l’exil à Babylone qui a duré de 587 à 538 av. J-C. Jérémie, lui, n'a pas été
déporté ; il a bien failli l'être, pourtant, il faisait partie de la file de
déportés enchaînés ; mais le chef de la garde personnelle de Nabuchodonosor lui
a laissé le choix, soit de partir à Babylone avec les déportés, soit de rester
à Jérusalem et Jérémie a choisi de rester ; il a fort à faire à Jérusalem pour
maintenir le moral de ceux qui sont restés au pays.
Jérémie écrit donc
ces mots pour lutter contre le désespoir de ses compatriotes. Il annonce le
grand retour des exilés : « Voici que je les fais revenir du pays du Nord,
que je les rassemble des extrémités du monde... C'est une grande assemblée qui
revient. »
Et il oppose les conditions du départ en exil dans l'humiliation, au retour triomphal au pays : « Ils étaient partis dans les larmes, dans les consolations je les ramène. » Difficile pour le peuple juif actuel de ne pas relire ces lignes en les rattachant à leur « Aliyah », le Grand Retour vers la terre ancestrale des Juifs de la diaspora, commencé avant la 1ère guerre mondiale et qui a culminé après la libération des camps de la mort et la création de l’Etat d’Israël en 1948. Dans les convois de déportés, on savait qu'un certain nombre ne supporterait pas la brutalité des conditions de détention et les difficultés de la route. Mais quand il s'agira de revenir, dit Jérémie, la marche sera si douce que, même les plus faibles pourront l'entreprendre ! « Il y a parmi eux l'aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée. » (1)
Et ils seront dans la louange, non plus dans l’orgueil de la puissance. Ils ont appris à ne plus compter que sur Dieu seul : « Seigneur, sauve ton peuple, le reste d’Israël. » Et là, Jérémie ose ce qu’aucun prophète n’avait osé dire avant lui, affirmer que Dieu désormais sera un père pour son peuple. Un père aimant et compatissant, pas un tyran qui exige la soumission et fait payer sa protection.
Cela devait ouvrir une toute
autre relation avec Dieu, mais aussi faire éclater une vision du monde en
termes de rapports de force et de pouvoir : « Le petit reste
d’Israël » sait désormais Dieu est du côté du faible, invariablement toujours
du côté du plus faible et du pauvre, « de l’aveugle et du boiteux » (2).
Autrement dit, sa sécurité ne doit plus dépendre essentiellement de sa
puissance militaire et économique mais de sa confiance dans le Seigneur qui le
fait tenir humblement devant lui et vis-à-vis des autres « fils ».
Peut-être cela aurait-il
pu conduire les Juifs d’Israël à des relations plus harmonieuses avec leurs
voisins, mais hélas, les vicissitudes historiques et les persécutions qu’ils eurent
à subir au cours des siècles, et surtout le drame de la Shoah, ont complètement
fait oublier et rendu caduc le message prophétique de Jérémie. Désormais, seule la force compte et la terre est à celui qui sait la prendre. (3)
Jésus pourtant reprendra ce leit-motiv de Jérémie et des prophètes qui disent que la puissance des chevaux et des chars ne rendent pas l’homme vainqueur (Ps 33) : la violence sème d’autres graines de violence et de haine. Jésus, lui, a choisi ne pas répondre à la haine par la haine, mais d’opposer la dignité de l’Humain face à la brutalité meurtrière et bestiale. Il s’est laisser broyer sur la croix, mais il était vainqueur car resté dans l’amour et le pardon, sous le regard du Père. Abandonné de tous, il s’est jeté dans la confiance en ce Dieu-Père qui lui rendra justice et la vie : « Père, entre tes mains je remets mon esprit. » Ce faisant, il a semé des graines de paix pour tous les siècles à venir.
En faisant bondir le
boiteux Bartimée, en lui rendant la vue, Jésus nous redit que dans nos exils, nos
errances, nos trébuchements et aveuglements, Dieu ne nous abandonne pas : Il
est notre Père, nous sommes ses enfants, il nous conduit par un droit chemin où
nous trouvons la paix. Prions pour que l’Israël d’aujourd’hui, le Liban, la
Palestine… trouvent ce même chemin. Amen.
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(1) « je les mène,
je les conduis vers les cours d’eau par un droit chemin où ils ne trébucheront
pas. » On croit déjà entendre le psaume 22 auquel Jésus fait référence en se
désignant lui-même « le bon Berger ».…
(2) C'est un peuple
vaincu, affaibli, trébuchant qui a été emmené enchaîné, et, pour certains, les
yeux crevés... C'est un peuple libre, assuré qui reviendra.
(3) Pour exister et
survivre, Israël s’est constitué en puissance régionale qui ne doit rendre des
comptes à personne, même pas à son allié américain. Et qui applique un seul
droit, celui du plus fort. Le peuple palestinien en fait les frais depuis lors
en nourrissant une rancœur profonde. Et la mécanique s’enclenche…
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