B PAQ 07 - Être soluble ou résister ?

 



Vous connaissez cette chanson de Michel Berger interprétée par France Gall ?

Résiste !

Prouve que tu existes.

Cherche ton bonheur partout, va

Refuse ce monde égoïste

Résiste !

Suis ton cœur qui insiste.

Ce monde n’est pas le tien, viens

Bats-toi, signe et persiste

Résiste !


Je me suis rappelé ces paroles en méditant le passage d’Evangile de ce dimanche, qui est extrait de la grande prière du Jeudi-Saint de Jésus, dans laquelle il prie pour ses disciples – pour nous :

« Ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi je n’appartiens pas au monde. 

Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais. 

Ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi, je n’appartiens pas au monde. 

 

Cette affirmation extraordinaire définit notre statut de chrétiens dans le monde ; c’est un peu notre « constitution » à nous : être dans le monde sans être du monde.

Autrement dit, le chrétien disciple du Christ n’est pas comme le sucre dans le café, « soluble » dans le monde – dans ses valeurs ou contre-valeurs.



Résiste ! chantait France Gall.

La foi chrétienne est un moteur pour résister à ce qui dégrade la vocation humaine. Elle fait de nous des « saumons » remontant vers la source de vie à contre-courant, et non des poissons morts qui descendent au fil de l’eau… 


Il y a des moments où, au nom du Christ, nous devons dire non.

 

Non à la guerre, à la logique de la vengeance, du « œil pour œil, dent pour dent (j’en parle à l’aise depuis que je n’ai plus de dents). On voit bien les conséquences de cette logique destructrice en Israël et dans la bande de Gaza où des semences de haine sont semées de façon incalculable pour des générations…

 

Non au racisme, au suprématisme de couleur qui dresse des murs un peu partout dans le monde, et qui se déguise ou se cache souvent derrière une politique migratoire de rejet pour protéger nos privilèges d’occidentaux nantis.

 

Non au système néocapitaliste productiviste, qui transforme les individus en consommateurs inassouvis passifs, créant sans cesse de nouveaux et inutiles besoins au détriment de la survie de la planète, en exploitant et confisquant les ressources appartenant à l’humanité et qui s’épuisent, polluant la nature et réchauffant notre monde jusqu’à un point de non-retour…

 

Non à l’injustice de classe, des multinationales et des trafics financiers dérégulés, qui maintiennent certaines catégories de travailleurs dans une semi-pauvreté, ou qui utilisent comme des esclaves des mains-d’œuvre étrangères bon marché…

 

Non à des projets d’enseignement où l’on veut introduire une idéologie de genre dans la tête de nos petits bambins dès la maternelle…

 

Non aux lois qui au lieu de protéger la vie des plus faibles, les vieillards, les personnes en fin de vie, les handicapés, les enfants à naître… les font considérer de plus en plus comme une gêne, un fardeau pour la société en développant un eugénisme rampant : l’avortement sans conditions, l’euthanasie libre choix ou suicide assisté pour tous, rendu obligatoire pour les médecins qui ne peuvent plus invoquer la liberté de conscience, etc.




 On voit facilement ce que « ne pas être du monde » peut impliquer. Ce n’est pas évident d’être souvent à contre-courant ; et cela implique aussi des choix personnels. Une éthique, une morale que le disciple du Christ s’applique d’abord à lui-même. Le baptême fait de nous des signes de contradiction, empêchant le monde de tourner en rond, en boucle sur ses logiques idolâtres.

 


En Belgique et dans nos pays de vieille souche chrétienne, il semblerait que la force de contestation qui était la marque des ‘cathos’ -et surtout des jeunes- se soit petit à petit perdue avec la montée du matérialisme et du consumérisme égoïste. 

Les chrétiens d’aujourd’hui ne sont plus guère contestataires. Sauf peut-être quelques-uns qui se sont retrouvés dans des mouvements plutôt de gauche ou écologistes - et encore : les sondages montrent que seule une minorité de chrétiens ou qui se disent tels, n’est pas alignée sur l’opinion majoritaire – la pensée unique… Apparemment, ils sont devenus « solubles » !

 

Avant, au commencement du christianisme, il n’en était pas ainsi. Il y avait toute une série de métiers qui étaient interdits à ceux qui voulaient devenir chrétiens, parce que jugés incompatibles avec le baptême : les proxénètes, les gladiateurs, les soldats, les prêtres d’idoles, magiciens, sorciers, astrologues, devins, etc. [cf la Tradition Apostolique d’Hyppolite de Rome, 2è S.).
La liste devrait bien sûr être actualisée aujourd’hui :

Comment peut-on se dire par exemple chrétien et mafieux ? Ou faire travailler des enfants dans des mines africaines ou des usines chinoises ? Ou organiser la traite d’esclaves en tout genre ? Ou vendre des armes de destruction massive à n’importe quel client ? Etc. etc.

Tous les métiers ne sont pas humanisants. Toutes les entreprises ne sont pas au service du bien commun, au contraire : elles nous transforment à leur image, faisant par exemple d’un jeune économiste idéaliste un banquier sans état d’âme.

Nous devrions avoir le courage de démissionner si notre métier ne nous permet pas d’honorer et de vivre nos valeurs, en particulier les valeurs chrétiennes. Mais nous savons combien c’est difficile, et souvent nous constatons que nous n’avons pas le choix.

 

Ceci dit, n’oublions pas la première partie de la parole : « Ils (mes disciples) sont dans le monde, mais ils n’appartiennent pas au monde. Je ne te demande pas de les retirer du monde. »

 

Nous sommes bien « dans le monde » et nous devons le rester. Solidaires de tous nos frères et sœurs en humanité. Cela soit dit pour tous ceux qui seraient tentés de se replier dans leur tour d’ivoire, une chrétienté fermée sur elle-même et ne s’intéressant pas au monde, à ses cris et ses souffrances.



Si nous ne pouvons et ne devons pas imposer au monde, à la société, un modèle ou un système soi-disant chrétien, à la façon des djihadistes qui veulent instaurer un état islamique avec la charia pour tous [nous trouvons cela évident, mais l’Eglise et les chrétiens n’ont pas toujours été aussi respectueux des différences et de la liberté de conscience dans leur entreprise historique d’évangélisation], …

si nous ne devons pas chercher à créer une sorte de « Royaume de Dieu » sur terre qui ne serait qu’une autre dictature spirituelle ou même temporelle, comme les islamistes ou les Juifs ultra-orthodoxes, les mormons ou les fondamentalistes évangéliques, … ce Royaume de Dieu, nous l’avons bien en nous !



Les chrétiens n’ont pas de charia ou de lois spécifiques, ils ont seulement la boussole de l’Esprit-Saint qui les aide à discerner en conscience. Et le sensus fidei, le sens de la foi qui est à l’œuvre dans le peuple de Dieu, avec aussi le Magistère des évêques.

Et ainsi éclairés par cette foi vivante, les chrétiens ont à s’impliquer dans le monde et la société qui est la leur, pour y apporter la saveur de l’Evangile, pour s’engager dans les combats avec les femmes et les hommes qui luttent pour leur dignité, pour être sel de la terre et levain dans la pâte…

 

Donc, mes amis, être à la fois dans le monde sans être du monde est un enjeu important, et un équilibre difficile à réaliser. Sans l’Esprit-Saint, dont nous allons célébrer la venue à la Pentecôte, dimanche prochain, sans l’Esprit-Saint, ce serait bien impossible de vivre ce paradoxe : Être dans le monde sans être du monde, de sa mentalité. Pour l’illustrer, je vous cite en conclusion cet extrait d’un auteur anonyme du 2è siècle, l’Epître à Diognète :

  

« Les chrétiens se répartissent dans les cités grecques et barbares suivant le lot échu à chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant par leur comportement qu’ils suivent un idéal extraordinaire et vraiment paradoxal qui leur vient de leur foi : 

Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. 

Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des étrangers. 

Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère. 

Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. 

Ils partagent tous la même table, mais non la même couche. 

Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. 

Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel. 

Ils obéissent aux lois établies et leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois ».

Lettre à Diognète

 


Ce monde tel qu’il est est bien le nôtre, car c’est lui que l’Esprit de Dieu travaille pour l’ouvrir à son royaume.  

Aimer le monde et ceux qui y travaillent et y vivent doit être notre passion, sans l’absolutiser ni l’éliminer. Demandons l’Esprit, pour qu’il nous aide à ce discernement subtil : savoir quand et comment participer de toutes nos forces, quand et comment oser être différents…

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