C PÂQUES 04 - Le berger et la mosette
Est-ce que vous
savez ce que c’est que la mosette ? – non, rien à voir avec le fleuve qui
baigne nos cités de Liège et de Namur !
Si vous avez
suivi les commentaires qui ont accompagné les nombreux reportages télévisés sur
l’élection toute récente du nouveau pape, vous avez dû en entendre parler…
Il s’agit en
fait d’une courte pèlerine ou camail portée sur les épaules au-dessus de la
soutane par des hauts dignitaires ecclésiastiques, en particulier les papes où
elle est de couleur rouge.
Cela a l’air
bien insignifiant pour vous ? Cela l’est, en effet. Pourtant, c’est ce qui
a focalisé l’attention de certains médias, qui ont tout de suite remarqué que
le nouveau pontife Léon XIV s’était revêtu de cet ornement liturgique pour sa
première apparition devant la foule sur le balcon de Saint-Pierre.
Ils ont comparé
ce choix vestimentaire avec celui que le précédent pape, François, avait fait
en délaissant la mosette pour apparaître simplement vêtu de la soutane blanche.
Du coup, les insinuations
et conjectures allaient bon train : Léon XIV, pape conservateur – en
opposition à un François catalogué plus moderne sinon progressiste ?
Comme si on
pouvait tirer tout cela d’une pauvre petite mosette rouge !
Il faut d’ailleurs
se méfier de ces jugements hâtifs et présomptueux, car un Jean-Paul II, par
exemple, s’il est bien apparu revêtu également de la fameuse mosette lors de
son élection, s’en est très vite affranchi pour porter une soutane blanche
au-dessus d’un pantalon, et même une veste de ski blanche quand il s’adonnait à
son sport préféré… Benoît XVI, issu de sa chère Bavière natale, affectionnait
lui ces ornements, mules rouges et mosette de la même couleur, saturno papal,
qui lui rappelaient peut-être ses montagnes et les fêtes villageoises colorées…
Alors mosette ou
pas mosette ? Laissons cela à ces journalistes pronostiqueurs qui feraient
mieux de s’intéresser aux concours hippiques ou à des défilés de mode plutôt qu’à
l’accoutrement des papes. Et d’ailleurs, n’ont-ils pas le droit de s’habiller
comme ils en ont envie ? – D’autant que cela correspond à un cérémonial
liturgique dans lequel ils ont baigné durant toutes leurs années au service de
l’Eglise.
Mais ce sujet de
la « réception » d’un pontife suprême de l’Eglise catholique tombe
bien à pic, si je puis dire, avec l’Evangile de ce dimanche qui parle du Bon
Berger conduisant ses brebis (sensées l’écouter et le suivre), et parallèlement,
avec le thème des vocations qui est aussi celui de ce 4ème dimanche de
Pâques.
La mission de Jésus,
effectivement, en tant que « berger qui donne sa vie pour ses brebis »,
est bien de « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés »
(Jn 11,52-53). Cette mission, après son départ vers le Père à l’Ascension, il l’a
confiée et transmise aux apôtres, en particulier à Simon-Pierre à qui il a
commandé de « paître ses brebis » - « Sois le berger de mes
brebis », cf évangile de dimanche dernier (Jn 21, 15-17).
Ainsi, Léon XIV hérite-t-il à son tour de la mission imposée à Pierre, le premier pape. Il doit
être, comme tous ses prédécesseurs, garant de l’unité de l’Eglise - sa « catholicité ».
Les évêques, successeurs des apôtres, participent également à sa mission, ainsi
que les prêtres. Il leur faut tous rassembler, c’est-à-dire être des « bergers »
. Des guides attentifs, dévoués et non profiteurs, inspirants mais non
écrasants, formant à la liberté responsable et à la créativité plutôt qu’à la soumission…
dans une Eglise qui se veut « synodale » selon le grand chantier
implémenté par le dernier pape, François.
Mais c’est là,
si l’on peut dire, que le bât blesse, car des brebis, dans la bergerie du bon
Dieu, il y en a de toutes les couleurs et de tous les gabarits ! Et, à
notre époque de communication, elles ne se privent pas de bêler à qui mieux
mieux. Certains disent (et je ne leur donne pas tort) que ces incompatibilités
de convictions liturgiques et de sensibilités religieuses constituent de
véritables repoussoirs à d’éventuelles vocations sacerdotales ; une Eglise
déchirée en clans qui se vilipendent et s’excluent mutuellement –ou qui au
mieux se regardent en chiens de faïence - , une telle Eglise n’attirant pas à
priori pour le métier ingrat de berger.
Je peux
témoigner de par mon expérience personnelle (mais qui est aussi celle de
certains de mes confrères), que ces divisions m’ont quelquefois occasionné
beaucoup de souffrances, jusqu’à me mener au bord de la dépression… Parfois,
certaines paroisses deviennent des champs de bataille. (Ce ne semble pas être
votre cas, Dieu merci !) Alors oui, ces désunions deviennent des
contre-témoignages, repoussant à la fois les brebis de l’extérieur qui auraient
peut-être voulu entrer, mais aussi conduisant de nombreuses brebis de l’intérieur
à prendre la fuite, en douce ou avec fracas.
Pas facile, du
coup, d’être berger, – encore davantage si on est pape, pasteur de tout le
troupeau…
Avant de prier en ce dimanche des vocations pour les jeunes, garçons et filles, qui vont opter pour la vie religieuse, le mariage (c’est aussi une vocation) ou un service d’Eglise, sans oublier de prier pour ceux qui sont ou seront appelés à devenir prêtres ou diacres, il nous faut peut-être faire avec courage et lucidité l’inventaire de ces particularités souvent légitimes, mais auxquelles nous tenons parfois un peu trop fort, comme ceux qui se braquent sur la mosette du pape. Et décider de ne pas en faire des absolus, lesquels renvoient automatiquement les autres dans des sous-catégories d’Eglise, en les stigmatisant. Le pire poison dans l’Eglise, c’est celui qui consiste à se prétendre meilleur que les autres ou être seul à posséder la vérité. Combien de schismes et de guerres n’a-t-il pas provoqué !
Alors mes soeurs et frères, prenons de la hauteur et sortons de la mêlée pour les observer, ces brebis de toutes les couleurs qui se disent toutes catholiques ? Découvrons-les ensemble (d’après le livre « Les catholiques » de Henri Tinq, du journal Le Monde). Il y aurait donc dans l'Eglise :
-les observants, force tranquille du catholicisme ; fantassins, sans
états d'âme, ayant une foi tout d'une pièce, car elle est leur vie, leur
honneur, leur combat, aux certitudes dogmatiques et morales intangibles. Ils
ressentent de la sympathie pour les pharisiens des évangiles. Evidemment, on
les dit infiltrés à tous les étages du Vatican ;
-les traditonnalistes : dont l'horloge du temps s'est comme arrêtée ;
seules les formes liturgiques intangibles les intéressent auxquelles ils lient
le salut de leur précieuse âme ;
-les inspirés : charismatiques ou mystiques attirés par le miraculeux et
le mystère... , mais leur période de grande floraison (1970-1990) semble
terminée – quoique ils seraient en train de faire un grand retour, affirment
certains… ;
-les engagés : ils sont dans les quartiers défavorisés, dans les
Saint-Vincent de Paul, animateurs de jeunes en décrochage ou partis dans le tiers-monde
pour aider ou évangéliser, accompagnateurs de malades à l'hôpital, animateurs
de «communautés de base», frères des campagnes ou des écoles, etc... fidèles au
Pape et à l'Eglise, ils cultivent une certaine indépendance ;
-les silencieux : ceux qui ont tout quitté, pour vivre leur
identification au Christ dans les monastères ;
-les
jeunes : qui voudraient une Eglise plus festive et qui les rejoigne
dans leur besoin de se construire une identité par la rencontre avec les autres
dans leur diversité, principalement dans les grands rassemblements comme
les JMJ… ; ils se fichent un peu des rites et des structures, privilégiant l’émotionnel
et la musique pour communier entre eux.
-les zappeurs, qui ne voient guère d'avenir à l'institution stable et
hiérarchisée et qui, hier encore, régulait les rapports sociaux ; ils se
composent une religion «à la carte», flirtent avec d'autres traditions qui leur
fournissent une autre manière de canaliser leurs émotions, leurs énergies. Ils
préfèrent, au catholicisme d'obligation, des modes d'appartenance souples et
fluides, partagent avec d'autres, des expériences spirituelles ou des émotions
; ils fréquentent des communautés d' «élection», revendiquant la liberté de
conscience, comme premier critère de jugement ;
-les rebelles : forts en gueule, sans se cacher ils militent de l’intérieur
de l'Eglise pour hâter sa transformation qu’ils estiment trop lente et pas
assez branchée sur les évolutions culturelles de la société, la place des
femmes, la place des laïcs, les questions éthiques et sexuelles etc; ils
ont soutenu Mgr Jacques Gaillot, Gabriel Ringlet et d’autres francs-tireurs qui verraient bien une Eglise
sans prêtres. Combat déprimant, tant ils savent que qu'ils n'ont plus le vent
en poupe comme dans les années d'après concile, et que les réformes
structurelles de l’Eglise qu’ils réclament n'intéressent plus du tout les
jeunes générations de catholiques davantage attirées par des formes classiques…
Et nous, dans quelles catégories nous plaçons-nous ? Je vous vois sourire... Vous
êtes certainement des chrétiens de base, fervents et réguliers…
Mais la question
que nous devons nous poser, frères et sœurs, c’est celle-ci :
Si un jeune, un adulte aujourd'hui, entend l'appel du Christ – et je
pense que Jésus appelle toujours autant que hier, dans quelle Eglise sera-t-il
accueilli ?
Je ne fais que
mentionner brièvement ce « tableau » de l’Eglise actuelle brossé pour
vous faire prendre conscience de ce qu'un jeune pourrait penser en lisant ces
lignes, s'il avait l'intention de s'engager dans l'Eglise ! Sans doute y
réfléchirait-il à deux fois…
Mais je nous rassure : au-delà de ces considérations qui ne sont au fond
qu’humaines, il y a heureusement l’Esprit-Saint ! C’est lui qui dirige
véritablement l’Eglise et donne à chacun la force et la joie pour faire face à
toutes les difficultés, en nous montrant le chemin. C’est lui qui m’a fait
découvrir la beauté de l’Eglise, la barque de Pierre qui traverse tous les
temps et les époques en embarquant toujours les hommes et les femmes que le Christ
attire à lui pour les conduire vers Dieu… avec le pape, les évêques… pour tenir
la boussole. Cette Eglise, je la vois comme cette grande fraternité où chacun prend
soin de l’autre et surtout du plus faible, comme dans la vision développée par
le pape François. Dans cette Eglise, faite de croyants de toutes sortes, il y a
place pour chacun, et chacun y reflète quelque chose de Dieu. J’aime cette
Eglise, et je voudrais que nous puissions davantage partager à tous et
spécialement aux jeunes notre joie d’être embarqués sur la barque apostolique pour
cette magnifique aventure qu’est la vie de foi à la suite du Christ Jésus !
Comme cette joie extraordinaire qui s’est manifestée chez ces milliers de
personnes et de croyants rassemblés sur la place Saint-Pierre ce jeudi 8 mai,
quand le nouveau pape a été accueilli. C’était un vrai témoignage de la
vitalité de l’Eglise.
Oui, avec le
Pape Léon, prions le Seigneur, Lui qui est la Porte, le Bon Pasteur, afin que
tous ceux qui entendent l'appel à la vocation, y répondent positivement.
Demandons-le par Marie, la Reine des Apôtres, Reine du Temps Pascal, Mère du
Ressuscité et Mère de l’Eglise. Donne-nous, Seigneur, les apôtres, les bergers sereins et les brebis joyeuses dont ton Eglise à besoin aujourd’hui ! Amen.
Commentaires
Enregistrer un commentaire