A Pentecôte - Le délai des 50 jours

 


Quand le tonnerre gronde, savez-vous estimer à quelle distance se trouve l’orage de vous ?

Quand j’étais enfant, on m’avait appris à compter les secondes entre l’éclair de la foudre et le grondement du tonnerre qui venait après :

« Tu vois, m’avait-on expliqué, il faut du temps pour que le bruit de l’éclair parvienne jusqu’à nous. Entre le moment où le ciel est illuminé par la foudre et celui où tu entends le tonnerre, il y a toujours un délai, qui varie selon la distance. Tu divises le nombre de secondes que tu as comptées par 3, et tu as le nombre de kilomètres qui nous séparent de l’endroit où la foudre est tombée ».

J’étais fasciné par ce jeu qui faisait appel à la physique ; ces secondes de silence qui précédaient le sourd craquement dont on craignait d’être trop rapproché…

Depuis, j’ai appris que même la lumière met du temps à nous parvenir. Par exemple, savez-vous combien de temps prend la lumière de l’étoile la plus proche de la terre pour nous parvenir ? 4 années 2 mois et 4 jours à la vitesse de la lumière, c’est-à-dire presque 300.000 km/s : Il s’agit de Proxima du Centaure.

Et l’étoile la plus lointaine que l’on connaisse ? Elle est appelée Mathusalem, et elle porte bien ce nom puisqu’elle est située à 6000 années-lumière de la terre. Alors qu’on la voit briller dans le téléscope spatial, elle est peut-être déjà morte et éteinte, mais sa lumière continue de nous parvenir comme si elle était toujours là !



Il faut du temps pour entendre le tonnerre après l’éclair.

Il faut du temps pour que la nouvelle de la mort ou la vie d’une étoile nous parvienne.

Il en est ainsi de bien des choses !
Vous plantez une semence, et il faut des saisons avant qu’elle fleurisse.
Vous vous mariez ou vous vous mettez en couple, et il faut plusieurs années avant de goûter la vraie qualité, la solidité, la fécondité de votre amour.
Vous recevez le baptême, et il vous faut des années avant de réaliser ce que cela signifie vraiment.
Vous entendez le même passage biblique chaque année, et un jour enfin il vous parle.
Vous faites cent fois le même rituel au travail, en famille, et sans raison il vous apparaît soudain sous un autre jour.
Continuez vous-même la liste…

Il y a souvent un délai, un écart, entre un événement et la plénitude de ce que cet événement nous apporte.

Vous êtes-vous demandé pourquoi il y avait un écart de 50 jours entre Pâques et la Pentecôte ? …tous ces jours qu’on appelle « le temps pascal » ?

Entre l’éclair fulgurant de la Résurrection de Jésus, et le grondement du tonnerre de l’Esprit Saint, il a fallu 50 jours !



En fait, comme pour l’éclair et le tonnerre, il s’agit du même événement. La Pentecôte, c’est l’accomplissement de la plénitude de la Résurrection du Christ, qui est manifestée par l’effusion de l’Esprit sur tous et chacun. La Pentecôte n’est que le prolongement, l’épanouissement de l’événement pascal, comme le tonnerre qui provient de l’éclair électrique. 

Pourquoi ce délai ?

Eh bien d’abord, parce qu’il a fallu du temps aux apôtres, qui ont été témoins de l’événement unique et incroyable de voir Jésus vivant après sa mort, il leur a fallu du temps pour digérer ce fait et intégrer cette donnée nouvelle dans leur conscience et dans leur foi. Confinés au Cénacle, ils ont d’abord été sous le choc, et c’est seulement après un certain temps qu’ils ont osé pointer le bout de leur nez dehors. Le grondement du tonnerre de l’Esprit est venu plus de l’intérieur pour leur faire surmonter le traumatisme pascal et en faire un dynamisme, une force. Je dis de l’intérieur, parce qu’ils avaient déjà reçu l’Esprit à Pâques, souvenez-vous, quand Jésus leur a soufflé dessus.



Il a fallu 50 jours – le temps d’une récolte, la Pentecôte c’était la fête de la moisson chez les Juifs -, il a fallu 50 jours pour que la Puissance qui a ressuscité Jésus s’empare totalement d’eux, les libère de toute crainte et enfermements, pour les transformer en Témoins de la Résurrection. À ce moment, eux-mêmes étaient devenus des ressuscité ! Des chrétiens debout, libres !



Nos propres vies chrétiennes n’échappent pas à cette règle du temps qui s’allonge entre le moment où nous sommes baptisés ou confirmés, et le moment où cette force nous transforme. Cela est dû à notre lourdeur, notre épaisseur humaine, dans laquelle nos psychismes et surtout nos cœurs demandent beaucoup de temps pour devenir perméables. Rares sont ceux qui sont convertis en un clin d’œil !

Il a fallu des années au désert pour que les hébreux fugitifs apprennent à avoir faim d’autre chose que les marmites de viande égyptiennes.

Il faut des années à un homme pour qu’il découvre que l’homme ne vit pas seulement de pain et de grosses voitures, mais de toute Parole qui sort de la bouche du Seigneur.

Il a fallu des siècles et de nombreux prophètes pour que les juifs apprennent que la Loi de Dieu n’est pas extérieure à l’homme, mais intérieure parce qu’elle est une Loi d’amour.

Nous mettons plus de 50 jours hélas à réaliser que notre foi chrétienne n’est pas un catalogue de permis et de défendus, qu’elle n’est même pas d’abord une morale, mais l’abandon confiant à l’inspiration qui nous vient de Dieu : le « spiritus », autrement dit l’Esprit divin.


Ceux qui réduisent la religion à un marchandage pour obtenir ce qu’ils souhaitent observent peut-être les commandements écrits sur les tables de pierre, mais ils ne les ont pas gravés dans leurs cœurs. Dieu n’est pas à l’extérieur, et il ne se laisse enfermer par aucune loi, aucune liturgie, aucune autorité, aucune morale.
L’Esprit souffle où il veut : être chrétien, c’est le laisser devenir notre respiration la plus personnelle, c’est intérioriser ce qui nous anime. Et ça demande du temps, de la patience, mais aussi de la volonté, du désir ! « Fais-toi capacité, disait le Seigneur à Ste Catherine de Sienne, fais-toi capacité et je me ferai torrent ! »


Finalement, avec ses 50 jours symboliques entre Pâques et Pentecôte, Luc nous invite à laisser le renouveau pascal nous transformer en profondeur.

Nous sommes tous appelés à être des ressuscités, mais en fait, nous ne savons pas ce que « ressusciter » veut dire. Nous commençons juste en goûter quelques accords lorsque l’Alléluia pascal nous bouleverse. Où quand, comme aujourd’hui, un jeune demande à être baptisé.e ou à communier pour la première fois C’est un cadeau que nous fait Séréna en venant communier, parce qu’elle nous rappelle par sa démarche notre propre désir, qu’il nous faut ranimer. « Réchauffe ce qui est froid », dit la prière dite ‘Séquence de la Pentecôte’, « remplis jusqu’à l’intime -jusqu’à l’intime ! - le cœur de tous tes fidèles ».

Il nous faut des années pour que vivre en Christ, vivre en ressuscités devienne notre identité la plus vraie. Sans l’Esprit Saint nous n’y arriverons pas.

Apprenons à ressusciter jour après jour. Chaque matin. Vivons chaque communion comme si c’était la première. Si nous laissons l’Esprit nous conduire sur ce chemin, le Joie de Dieu sera toujours avec nous !



Commentaires

LES HOMELIES - ANNEE A