A DIM 23 - "Je fais de toi un guetteur... pour la guérison"

 « LA GUERISON FRATERNELLE »


-  Il vous est tous arrivé un jour de reprendre votre voiture sur un parking, bien éraflée par un conducteur indélicat qui n’a même pas pris la peine de laisser une carte de visite :   Délit de fuite…… 


- Les journaux relatent régulièrement des agressions dans le métro ou dans les autobus, où personne ne réagit pour défendre la victime…  Non-assistance à personne en danger………



=>Ces faits divers nous révulsent, nous scandalisent.

On ne peut pas s’imaginer soi-même agir de la sorte ! Surtout si on est chrétien, évidemment.

On connaît ce devoir moral : ne pas laisser quelqu’un en danger sans réagir.



Pourtant, il y a bien des cas où nous préférons « fermer les yeux ». Pour éviter des répercussions possibles, des « retours de flamme » ; pour sauvegarder la « paix » dans le ménage, dans la famille, dans la communauté, mais une paix qui n’est qu’un semblant de paix, une fausse paix.

C’est en général quand nous voyons quelqu’un de proche qui prend un mauvais chemin, un chemin où il va faire du mal à d’autres, à la communauté, ou encore à lui-même.

Mais qu’est-ce qu’on a peur d’intervenir ! 


Surtout aujourd’hui à cette époque individualiste où on préfère le « chacun pour soi », « c’est son problème », et où l’agressivité dans les comportements fait retourner la colère sur les médiateurs : « Mêle-toi de tes affaires » ! « Fais pas ch… ! » Le coup de poing n’est pas loin du coup de gueule…



Même les policiers n’osent pas faire des remarques à certains inciviques qui s’arrogent le droit de faire tout ce qu’il leur plaît dans l’espace public.

Osez-vous dire à votre voisin qui fait du feu dans son jardin précisément le jour où vous mettez votre linge à sécher, que ce n’est pas une bonne idée ? Où à la voisine qui laisse ses chiens aboyer toute la journée à côté de votre terrasse que vous aimeriez pouvoir profiter un peu de tranquillité au cours de ces belles journées ensoleillées ?



Vous savez que vous risquez un retour de flamme. Même (et peut-être surtout) dans votre propre famille. Alors, on se tait. Pour préserver un semblant de relation ou même peut-être sa sécurité ou son image.

…Mais au bout d’un certain temps, tous ces silences, tous ces non-dits, finissent toujours par pourrir la relation et laissent s’installer un malaise profond. A la longue, on ne se parle plus. Je connais beaucoup de famille où c’est le cas. Et aussi quelquefois, dans certaines communautés : On mène une sorte de guerre froide, où l’on s’évite plutôt que de se parler…


Vous savez, aujourd’hui, la « non-assistance à personne en danger » est en train de devenir la « non-assistance à monde en danger », et cela risque d’être catastrophique pour l’avenir : Si les « guetteurs » qui dénoncent les dangers qui menacent la planète se taisent, si on ne les écoute pas, que deviendront les générations futures ? … Pourtant, leurs prophéties sont en train de se réaliser.


Jésus, dans ce chapitre 18 de l’évangile de Matthieu tout entier consacré à la vie communautaire, propose une toute autre approche : un principe évangélique que l’on pourrait rapprocher du fameux « devoir d’ingérence » défendu par les Nations Unies à propos des pays qui ne respectent pas les droits de l’homme. Comme dans le passage du prophète Ezéchiel, il demande à tous ses disciples de devenir des « guetteurs » :

Non pas pour jouer au justicier redresseur de torts, en se prenant soi-même pour un « saint », ni en se transformant en délateur lavant son linge sale sur la place publique, mais pour AIDER la personne (ou le groupe, la société, qui se met en DANGER ! Il faut SAUVER son frère … C’est un devoir d’AMOUR. Qui demande discernement, humilité, mais aussi un engagement du cœur. 

Impossible à réaliser si on ne le fait pas PAR AMOUR et seulement par amour ! 

L’autre, c’est ton frère, ta sœur : tu dois le regarder et le traiter comme tel. Rappelez-vous qu’il faut aimer même ses ennemis, et prier pour ceux qui vous font du tort (Mt 5,44).

Tu ne peux aider l’autre à changer si tu ne l’aimes pas d’abord.  C’est toujours vrai.


Ensuite, tu agis non pas pour jouer au justicier, te croire ou te montrer meilleur, ou bêtement « avoir raison » sur l’autre ; mais pour une cause essentielle : parce que ton frère est en danger – à cause du péché.  Le danger est appelé « péché », car le péché coupe la relation avec Dieu et avec les autres comme un piège dans lequel on s’installe parfois sans s’en rendre compte.

 

Voilà en quoi consiste le devoir d’assistance tel que le voit Jésus : Il s’agit d’aider quelqu’un qui est empêtré dans une situation où il se met lui-même en danger et potentiellement d’autres avec lui.

Alors, puisqu’il est ton frère, et qu’il est en danger, c’est ton devoir de lui porter secours en l’aidant à voir ce qu’il ne voyait pas, le mal que son attitude provoque et qui blesse la Communauté, l’Unité des frères.  On a appelé cela « la correction fraternelle ». Personnellement, je préfère « la guérison fraternelle ».

La démarche est délicate, c’est une opération chirurgicale. C’est pourquoi Jésus a voulu établir une progression, pour que cette procédure ne soit pas humiliante ni bloquante pour celui qu’on veut aider à sortir du danger.

+  Seul à seul d’abord : la discrétion, essentielle – dans une relation empreinte d’amour et de confiance.


+  À deux ou à trois ensuite : pour éviter les jugements
trop subjectifs.

+  Et enfin devant toute l’Église : cas extrême, bien sûr. Par exemple, St Jean Chrysostome refuse la communion à l’empereur byzantin Arcadius qui revient des jeux du cirque. Il a du sang sur les mains : il lui montre ainsi qu’en agissant de la sorte, il s’exclut lui-même de la communion fraternelle. L’excommunication, en fait, n’a pour but que de vouloir donner un électrochoc pour que le pécheur endurci change de vie

« S’il refuse, considère-le comme un païen et un publicain » : c’est-à-dire considère-le comme quelqu’un à évangéliser de nouveau, quelqu’un qui n’est pas hors de l’amour de Dieu mais qui a besoin de se convertir à nouveau. Qu’on ne doit pas cesser d’aimer et de prier pour lui, même si on se sent impuissant. C’est parfois le cas quand on est devant des situations impossibles à changer : il reste la prière ! Bien des mères la pratiquent vis-à-vis d’un enfant qui a pris un mauvais chemin et qui refuse la main tendue… Et la prière persévérante des mères a un grand pouvoir ! 

Pour Jésus, pour Dieu, on est tous responsables les uns des autres. Vivre ensemble, ce n’est pas vivre juxtaposés. Entraînons-nous donc mes amis, à pratiquer la guérison fraternelle (à la donner et à la recevoir) : c’est exigeant, mais l’amour véritable et l’unité voulue par Jésus est à ce prix.


Envoie-nous, Seigneur, ton Esprit de guérison et d’amour ! Amen.

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A PROPOS DES "GUETTEURS" : ET SI DIEU FAIT DE TOI UN PROPHETE ? 

Le prophète est celui qui parle au nom de Dieu et à qui Dieu parle. Il est donc logique de le trouver sur une hauteur... Mais le prophète n'est pas un astronome ou un poète, qui contemplerait le ciel en oubliant le monde d'ici-bas. C'est un guetteur qui scrute l'horizon, qui bien loin d'oublier le monde, essaye de l'embrasser d'un seul regard...En tant qu''Eglise, c'est bien ainsi que nous devrions viser les hauteurs, tendre vers le ciel : non pas pour échapper au monde mais au contraire pour regarder ce monde, pour le voir dans ses moindres détails. Pour l'Église, prendre de la hauteur ne devrait pas signifier s'isoler mais tout voir... L'Église devrait être un guetteur qui prend son tour de garde...

Mais il existe plusieurs types de guetteurs. Il y a d'abord Yvain et Gauvain dans Kaamelott., ensuite la vigie des pirates d'Astérix, enfin la sœur Anne dans Barbe Bleue.

Je vais commencer par les pires : Yvain et Gauvain.

J'imagine que tout le monde ne connaît pas Kaamelott, série parodique sur la table ronde et la quête du Graal. Dans la série, Yvain et Gauvain sont les adolescents, c'est à dire une caricature des adolescents dans tout ce qu'ils ont de plus agaçant pour les vieux que nous sommes. Yvain est le perpétuel blasé : toujours négatif, jamais partant pour rien. Sa phrase type : «j'suis trop gavé, là». Gauvain, au contraire, c'est plutôt l'enthousiaste, celui qui est plein de bonne volonté et qui cherche tellement à faire plaisir à tout le monde qu''il n'a plus aucune personnalité.

Alors quand Yvain et Gauvain montent la garde, déjà ils se lèvent à une heure de l'après-midi (rappelez-vous : ce sont des caricatures d'ado) et pire, ils ne prêtent aucune attention à ce qui les entoure, voire ils abandonnent carrément leur poste

L'Église a parfois un peu tendance à disparaître. Quelque fois en se la jouant façon Yvain et en s’isolant dans sa tour de guet : « Alors d'accord, si c'est pour annoncer la Bonne Nouvelle à des gens qui n'y croient même pas et qui vont nous prendre pour des fous, c'est même pas la peine. J'suis trop gavé, là...»

Parfois, au contraire, comme Gauvain, elle veut tellement faire plaisir à tout le monde qu''elle perd toute singularité, tout discours particulier. Bien sûr, on ne peut pas lui reprocher de s'être enfermé dans sa tour : en fait elle n'y est plus du tout. Elle a complètement disparu.

Autre type de guetteur, la vigie du bateau des pirates dans Astérix. Vous savez : « les gau, les gaugau, les gaugau...! » Sous des aspects comiques, cette vigie est en fait un personnage tragique…

Lui, il tient son poste, il surveille l’horizon et il reste en lien avec les marins. Son problème en revanche, c’est que soit, il n’arrive pas à se faire comprendre « les gau, les gaugau, les gaugau… », ou bien il arrive à se faire comprendre trop tard, soit son annonce provoque une telle panique que les pirates préfèrent saborder leur bateau…
L’Eglise pourrait parfois être ce guetteur incapable de communiquer ce qu’il voit : peut-être parce que son langage (ses mots, ses rites, ses musiques) est devenu trop hermétique, incompréhensible au monde qui l’entoure. Attention cependant, nous confondons vite entre ceux qui ne comprennent pas et ceux qui refusent, et du coup en cherchant à rendre le message « plus clair », nous cherchons surtout à le rendre plus « acceptable »… Ce n’est pas la même chose, chercher à rendre la Bonne Nouvelle plus claire, plus accessible devrait être une obligation pour l’Eglise, le rendre plus acceptable devrait lui être interdit.

Et puis, en entendant le jugement de Dieu, en portant un regard lucide sur l’humain, sur ses faiblesses, sur sa violence, sur ses compromissions, sur son idolâtrie, sur sa capacité à amasser des trésors là où la vermine ronge, l’Eglise pourrait être aussi parfois ce guetteur dont l’annonce est tellement désespérante que finalement, il n’y a plus qu’à lâcher la barre et foncer sur les récifs voire à saborder le navire…

Dernier modèle de guetteur, de guetteuse plutôt, c’est la sœur Anne du conte de Barbe Bleue. Je ne vous rappellerai pas toute l’histoire, mais quand l’épouse de Barbe Bleue demande à son meurtrier de mari de lui laisser 15 minutes de répits pour prier et pendant ses 15 minutes, elle demande à sa sœur Anne qui surveille l’horizon du haut de la tour « Sœur Anne ma sœur Anne ne vois-tu rien venir ». Et la sœur Anne lui répond avec une lucidité implacable « Je ne vois que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie » pour devenir finalement porteuse d’une bonne nouvelle « Ce sont nos deux frères qui arrivent »

Sœur Anne, c’est peut-être le modèle de guetteur pour l’Eglise.

D’abord parce qu’on ne sait pas ce qu’elle fait là… A chaque fois que j’ai entendu l’histoire, je me suis demandé ce que la sœur Anne faisait sur la tour… Personnellement, si je décidais d’assassiner mon épouse, je m’arrangerai pour que sa famille soit absente. Et en fait, si on y réfléchit, la présence de l’Eglise dans le monde est tout aussi étonnante, tout aussi inattendue.

Et puis, comme la sœur Anne, l’Eglise est impuissante, le salut ne vient pas d’elle. Elle, elle scrute l’horizon et elle dit avec une vérité implacable ce qu’elle voit. Le vide qu’elle annonce, le soleil qui poudroie, l’herbe qui verdoie est aussi terrifiant que les désastres que décrivent les prophètes. Tout comme sœur Anne, tout comme Isaïe, Jérémie, Amos, Habacuc, l’Eglise devrait dire, sans panique, sans désespérance mais sans mensonge le mal qu’elle voit à l’œuvre Dire le mal, mais comme sœur Anne, garder les yeux obstinément rivé sur l’horizon dans l’espoir d’un sauveur qui doit venir, et comme Habacuc affirmer « Il viendra, même s’il paraît tarder, attends-le car il viendra ». Etre lucide face au mal et proclamer une folle espérance, voilà le rôle de l’Eglise qui veille.

Alors, sœur Anne est-elle le modèle de guetteur ?

En fait non, il lui manque quelque chose. Comme les prophètes, elle voit le mal et dit le mal qu’elle voit. Comme eux, elle annonce le bien à venir. Mais il lui manque deux choses.

Le prophète ne se contente pas de voir le mal, et de dire le mal qu’il voit, Il le dénonce également et invite les peuples à le dénoncer, à se moquer du hautain. L’Eglise devrait dénoncer bien sûr contre la barbarie de Daesh et la spirale de haine qu’elle déclenche, dénoncer le réchauffement climatique et notre soif de richesse et de confort, dénoncer la folie des puissants tellement rivés sur leurs intérêts à courts termes qu’ils en deviennent aveugles et la résignation des peuples. Dénoncer et inviter les peuples à dénoncer à lancer contre ces fléaux des formules d’une ironie mordante ? Ainsi la Bible nous invite à utiliser parfois l’ironie, la maoquerie comme arme. Et en effet, la moquerie n’est-elle pas une arme, une arme non létale mais une arme d’une incroyable confiance. On reproche aux humoristes, leur arrogance. Mais l’assurance de celui qui a le Seigneur pour abri devrait êlui permettre de rire du méchant, c’est-à-dire du puissant…
De plus, le prophète ne se contente pas de veiller et de croire, il interpelle Dieu, SEIGNEUR, Tu n’écoutes pas. Je te crie à la violence, tu ne sauves pas. Pourquoi me fais-tu voir la malfaisance ? acceptes-tu le spectacle de l’oppression ?  (Habacuc 1,1-3)

Appeler Dieu au secours, refuser son silence et son inaction, oser l’interpeler, voici aussi le rôle du guetteur. Cette prière suffit-elle ? Ne vaudrait-il pas mieux agir ? Je crois qu’ici nous retombons dans la logique des hommes, dans le manque de foi et la volonté de nous sauver nous-même. La prière vraie change le cœur de l’homme et elle devient action. Et l’action même de l’Eglise, tout comme sa prédication, tout comme son annonce, tout comme ses chants et ses prières ne devrait pas être autre chose qu’une prière : un appel lancé à Dieu qui seul peut sauver.

C’est aujourd’hui notre tour de garde. Ne soyons ni Yvain, ni Gauvain, ni la vigie du bateau pirate… Sans peur disons ce que nous voyons. Sans peur, affirmons ce que nous croyons. Sans peur, crions vers Dieu pour qu’il vienne. « Je fais de toi un guetteur » (d’aurore), dit Dieu.

Eric George

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