B PAQ 06 - La puce et l'éléphant



Nous voici bientôt chers frères et soeurs à la fin du temps pascal ; déjà se profilent l’Ascension et la Pentecôte comme sommets de ce temps ; mais, plutôt qu’une ligne d’arrivée, je dirais : une ligne de nouveau départ !

Et, pour nous préparer à ce nouveau départ sous la mouvance et l’impulsion de l’Esprit, nous recevons aujourd’hui de la part du Seigneur son commandement d’amour : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » (Jn 15,17)


S’il y a bien une seule phrase de la Bible que retiennent la plupart des jeunes – ou nous-mêmes qui sommes ‘moins jeunes’ n’est-ce pas, c’est celle-là. Faut donc s’aimer les uns les autres ! La même citation est pareillement souvent choisie par les fiancés pour leur célébration de mariage.


Comme un mantra, la parole nous semble résumer tout l’enseignement du Christ, des Evangiles et de la Bible. Bien sympathique, et pratique : pourquoi se fatiguer à aller voir plus loin et plus profondément, puisqu’il « suffit d’aimer » ?

« Qu’il est formidable d’aimer » chantait il y a quelques années Giannadda ; et « Aimer, c’est tout donner » - répétait Ste Thérèse de Lisieux reprise par Natasha Saint-Pier.

Cela est très beau, très « esthétique » ; mais qu’est-ce qu’il en est, qu’advient-il de ceux qui n’y arrivent pas ? De ceux pour qui aimer est difficile ou impossible, parce qu’ils sont blessés, abîmés, cassés ?

 


J’aimerais, si vous permettez chers frères et sœurs, prendre avec vous un peu le contrepied, non pas de la parole du Christ, mais de l’usage malencontreux et possiblement malsain que nous en avons fait.

Et d’abord, vous parler de la puce et de l’éléphant. Vous connaissez ?


Une puce voyageait avec une de ses amies dans l’oreille d’un éléphant. L’éléphant passe sur une passerelle en bois qui tremble sous le poids de l’animal. Arrivé à l’autre bout de la passerelle, la puce dit à son amie : « Tu as vu comme on a fait trembler le pont ! »


Nous nous attribuons souvent des réalisations qui ont d’autres sources que purement nous-mêmes. Il est vrai que le pont a tremblé sous le poids conjugué de la puce et de l’éléphant, mais quelle est la part de la puce dans cet exploit ? Evidemment insignifiante.

Ainsi, quand j’écris une homélie, la part qui vient de moi-même est bien peu en comparaison de ce que mes maîtres m’ont appris, de la richesse de la Parole de Dieu et – ce qui est évidemment inquantifiable, de l’inspiration de l’Esprit Saint.

Si on veut être juste, on doit admettre que tout ce que nous arrivons à faire – en particulier dans le domaine de l’amour – , c’est parce que nous en avons reçu la grâce, parce que d’autres (nos parents entre autres) nous ont appris à le faire, nous ont donné l’exemple, et nous ont éveillés à un amour qui ne soit pas égocentrique ou captatif, mais généreux et gratuit.

Si nous avons la chance – la grâce de vivre des relations épanouies et harmonieuses, n’y aurait-il pas lieu de rechercher l’éléphant qui est derrière ? Quelqu’un nous a aimés en premier : c’est saint Jean qui nous le martèle – bien avant Françoise Dolto et tous les psychologues et psychanalystes.

« Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour tous nos péchés. » (1 Jn 4,10)

 


Jésus a bien souligné cette antériorité de l’amour divin : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. » Et il ajoute ce qui en fait chronologiquement son 1er commandement : « Demeurez dans mon amour » : Laissez-vous, laisse-toi aimer par moi. Alors tu pourras aimer ton frère, ta sœur, comme moi je t’ai aimé.

Si on n’a pas fait l’expérience de cet amour pour soi-même, si on ne l’a pas découvert, comment pourrions-nous aimer véritablement comme le Christ ? Impossible !

D’où, l’importance de « demeurer » en Christ, en son amour, comme le sarment sur la vigne qui reçoit d’elle la sève de vie.

 

En fait, chers amis chrétiens mes frères, reconnaissons-le : Nous avons fait de ce commandement « aimez-vous les uns les autres » une morale d’injonction. Alors que c’est une morale de réponse à un amour qui nous précède et qui nous entraîne un peu comme une vague qui emporte le nageur.

C’est un peu triste à dire, mais c’est une conception de la religion chrétienne dans laquelle nous avons été formatés, conditionnés durant des années – elle n’a malheureusement pas entièrement disparu – une conception qui transforme le message libérateur de l’Evangile en une morale extérieure reposant sur des impératifs, des obligations, des conditions.

Or, Jésus est venu justement pour nous libérer des carcans légalistes, et nous enseigner une religion faite de gratuité et de réciprocité, fondée sur l’accueil de l’amour prévenant de Dieu.

L’Evangile nous fait comprendre que Dieu nous a aimés le premier, sans aucun mérite de notre part. On ne le répétera jamais assez, surtout dans notre culture occidentale volontariste, self-made-man, où on se fait par soi-même : AIMER, pour la Bible, est un PASSIF, car nous sommes aimés avant que de pouvoir aimer en retour, mais un PASSIF qui est en même temps très ACTIF, car il suscite une réponse d’amour à la hauteur du don reçu.

 

Je vois ça souvent quand on présente aux jeunes le sacrement de Confirmation : on leur en parle comme si c’était la célébration de leur engagement chrétien adulte. D’où l’expression qui revient souvent dans leur bouche : « Je me confirme tel jour… » Grossière erreur !

Cette façon de concevoir la Confirmation vient de la pratique courante chez les responsables d’instrumentaliser, d’utiliser ce sacrement pour maintenir le plus longtemps possible les jeunes dans une catéchèse ou une formation chrétienne.   

Mais on oublie que la Confirmation fait partie d’un tout, un « pack » sacramentel qui est celui de l’initiation chrétienne : Cela est manifeste lors des baptêmes d’adultes où les trois sacrements (baptême-eucharistie-confirmation) sont conférés en une seule fois comme un le don gratuit de la grâce divine qui fait de chacun un enfant de Dieu par le baptême, le nourrit par l’eucharistie et le fortifie par la confirmation. L’histoire a fait que la réception par les enfants de ces sacrements a été différée chronologiquement pour des motifs pastoraux… Les chrétiens orientaux et orthodoxes ont gardé, eux, la pratique de donner immédiatement les 3 signes aux bébés qu’ils baptisent, pour souligner la prévenance et la gratuité de la grâce divine.


Bref, en résumé : Nous sommes choisis par Dieu avant que de le choisir en réponse. « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis ». Ne nous prenons par pour l’éléphant!

 

Si l’action de Dieu est première, alors le fait de se laisser choisir par Dieu a pour notre vie des conséquences très concrètes : Peut-être faut-il

-  ne pas tout décider dans ma vie mais accueillir ce que l’Esprit me dit au travers des événements ;

-  ne pas tout décider par moi-même mais accepter que d’autres interviennent ;

-  ne pas tout programmer ni planifier (en râlant quand les choses ne se passent pas comme nous l’aurions souhaité), mais laisser une ouverture pour les imprévus de Dieu, l’inattendu, l’insoupçonné ;

-  enfin, et c’est la juste conclusion de cette prise de conscience que Dieu est le premier « aimant » : ne pas s’enorgueillir du chemin déjà parcouru et de ce qui a été réalisé, mais rendre grâce pour ce qui m’a été donné.


« Celui qui aime est né de Dieu », affirme saint Jean (1Jn 4,7). Or, naître est bien la chose par excellence qui ne relève pas d’abord de notre volonté. Ce sont nos parents qui ont voulu ou permis de nous faire advenir à la vie. Et leur amour nous fait naître à nous-mêmes, en tant que personne.

LE PREMIER, DIEU NOUS A FAIT NAÎTRE, en nous aimant inconditionnellement. Les parents peuvent faillir, parfois, mais en Dieu, l’amour est offert du début à la fin, sans reniement.


Naître à soi-même en tant qu’enfant de Dieu est aussi le travail de toute une vie, même si tout est donné dès le départ : Il faut seulement – mais cela doit mobiliser toutes nos ressources, il faut seulement accepter à chaque instant de se laisser aimer de Lui, sans vouloir être toujours à la hauteur ou se croire indigne de Lui… et alors, ensuite, laisser cet amour se répandre au-delà de nous sur les autres, par débordement.

En citant pour finir l’écrivain français Georges Bernanos, et c’est une phrase qui m’a toujours fort touché : 

« Il est plus facile de se haïr que de s’aimer en vérité. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus Christ. »  Tellement vrai !

 

Prions.


Marie, toi qui a entièrement accueilli la grâce de Dieu dans ta vie, et qui l’a laissé t’aimer et te former pour que tu portes le Fruit qui est Jésus, ta réponse à cet Amour divin est de nous donner ton Fils : Mère du bel Amour, en nous donnant Jésus, apprends-nous l’amour ! Amen.

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