B PAQ 05 - La gloire de mon Père
Vous aimez Marcel Pagnol ? – Je suppose que vous avez lu quelques-uns de ses livres, ou regardé les films qui en ont été tirés. Il sait dire avec tendresse et simplicité ce qu’il y a de plus délicat en nos cœurs.
Allez, un petit extrait, pour le plaisir :
« Un soir, avec son vieil ami Norbert Calmels,
abbé de Frigolet, il arpente la colline de N.D. de la Garde. Soudain regardant
la mer, Pagnol s’arrête et raconte : “Un jour Marius et Olive montèrent en pèlerinage à N.D. de la Garde et de l’endroit où nous
sommes, Marius dit à Olive : “Regarde !” Et Olive de s’écrier ! “Mon Dieu, que
d’eau !” “Et encore, répond Marius, tu ne vois que la surface !” “Norbert,
poursuivit Pagnol, la plupart des choses ne se voient pas et ne se disent pas.
Elles sont cachées, sous-entendues. Ce qu’on voit, c’est la petite vague
au-dessus. Les profondeurs, ça ne se voit pas”.
Une de ses œuvres
s’appelle « La gloire de mon père ». Cela m’évoque évidemment
la parole du Christ citée dans l’Evangile d’aujourd’hui : « Ce qui
fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez du fruit et que vous soyez
pour moi des disciples. »
J’aimerais que ce livre de Pagnol nous aide à
entrer dans les profondeurs de ce terme, cette réalité un peu mystérieuse, la
Gloire du Père ! Qu’est-ce que c’est que cette gloire ? Pourquoi
Jésus en parle-t-il avec tant d’amour et d’emphase ?
Je crois que Pagnol peut nous aider à la comprendre. Rarement, en littérature, j’ai rencontré quelqu’un qui exprimait avec tant de force l’admiration et l’affection qu’il avait pour son père, admiration et affection suscitées et guidées par les vertus que son père Joseph Pagnol pratiquait et essayait d’inculquer à son fils par des leçons de vie campagnardes. C’est en fait un roman autobiographique sur les souvenirs d’enfance de l’auteur, dans les collines autour d’Aubagne.
Par exemple, il raconte qu’un professeur s’étant fait photographier après avoir pêché un gros poisson, ce fut l’occasion pour le papa de Marcel de mettre en garde son fils contre la vanité : « Se faire photographier avec un poisson, quel manque de dignité ! ».
La leçon reste gravée
dans la tête de l’enfant. Mais un peu plus tard, au cours d’une chasse à
la perdrix avec son beau-frère Jules, bien meilleur chasseur que lui, le papa
arrive à tirer d’un coup deux perdrix royales alors que son beau-frère
prétendait qu’il lui avait fait manquer son coup en effrayant les oiseaux.
Humblement, Joseph reconnaît qu’il a peut-être tiré un peu trop vite… Et c’est
à ce moment-là que son fils Marcel surgit :
Je m’étais approché, et je voyais le
pauvre Joseph [mon père]. Sous sa casquette de travers, il mâchonnait
nerveusement une tige de romarin, et hochait une triste figure. Alors, je
bondis sur la pointe d’un cap de roches, qui s’avançait au-dessus du vallon et,
le corps tendu comme un arc, je criai de toutes mes forces : « Il
les a tuées ! Toutes les deux ! Il les a tuées ! » Et dans
mes petits poings sanglants d’où pendaient quatre ailes dorées, je haussais
vers le ciel la gloire de mon père en face du soleil couchant. (La gloire de mon père (1957).
Marcel Pagnol. Editions de Fallois, 1996. p.196-97)
Est-ce qu’on
ne pourrait pas y reconnaître l’admiration de Jésus pour son Père, le Seigneur et
Créateur de l’univers, par qui tout a été fait – et qui a tué non pas des
perdrix mais la mort et le péché par le sacrifice de son Fils ? Sûrement,
Jésus est passionné par la gloire de son Père, c’est-à-dire la valeur
suprême, autant et même davantage que Marcel vis-à-vis de son père Joseph !
Et moi ? Suis-je passionné par la gloire (la valeur) de mon Père du ciel ? Est-ce qu’elle me touche, fait mon admiration, suscite ma louange et le désir de la faire resplendir cette gloire par toute ma vie ?
Mais en rentrant à la maison avec les perdrix à la
ceinture, le trio rencontre le curé, qui est photographe amateur et qui propose
de les prendre en photo avec leur tableau de chasse. Marcel se souvient de l’histoire
du professeur qui s’était fait photographier avec un gros poisson et de la réflexion
de son père. Il s’attend donc à un refus de sa part. Mais devant l’insistance
du curé qui n’en démordait pas : « Mon père – raconte-t-il – se prêta docilement aux
exigences du photographe : il me montra qu'il en souffrait, mais qu'il n'osait
pas être impoli […]. « J’avais surpris mon cher surhomme en flagrant
délit d’humanité : j’en sentis que je l’en aimais encore davantage !
Alors, je chantais la farandole, et je me mis à danser au soleil… »
Merveilleux de délicatesse et de profondeur ! N’est-ce pas cela, pour Jésus, faire la gloire de notre Père du ciel ? S’accueillir les uns les autres alors que nous nous surprenons en flagrant délit d’humanité en permanence ! Nous en aimer davantage !
De même avec
Dieu ! Quand je me confesse, je n’attends pas du prêtre qu’il me dise
« ce n’est rien ! » ! Je n’attends pas qu’il
m’excuse et encore moins qu’il me condamne ! J’attends qu’à travers ce pauvre bougre, Dieu me
redise qu’il m’en aime que davantage alors qu’il me surprend en flagrant délit
d’humanité !
Allez, pour terminer, il faut bien parler
aussi de la vigne et du raisin puisque nous sommes avec Pagnol en Provence,
et que Jésus nous invite à demeurer en lui comme les sarments sur le cep.
Apprécions cette petite histoire de notre ami Pagnol (toujours tirée de La
gloire de mon père) et qui met en valeur l’amour et l’unité dans la famille :
« Vers le 10 août, les vacances furent interrompues,
pendant tout un après-midi, par un orage, qui engendra, comme c'était à
craindre, une dictée.
L'oncle Jules, dans un fauteuil près de la porte vitrée,
lisait un journal. (...) Mon père, assis devant la table, tout en aiguisant un
canif sur une pierre noire, lisait à haute voix, en répétant deux ou trois fois
chaque phrase, une histoire incompréhensible.
C'était une homélie de Lamennais, qui racontait l'aventure
d'une grappe de raisin.
Le Père de Famille la cueillait dans sa vigne, mais il ne la
mangeait pas : il la rapportait à la Maison, pour l'offrir à la Mère de
Famille. Celle-ci, très émue, la donnait en cachette à son Fils, qui, sans rien
en dire à personne, la portait à sa Sœur. Mais celle-ci n'y touchait pas non
plus. Elle attendait le retour du Père, qui, en retrouvant la Grappe dans son
assiette, serrait toute la Famille dans ses bras, en levant les yeux au Ciel.
Le périple de cette grappe s'arrêtait là, et je me demandais
qui l'avait mangée, lorsque l'oncle Jules replia son journal, et me dit sur un
ton grave :
"Voilà une page que tu devrais apprendre par cœur."
(...)
"Pourquoi ?
- Voyons, dit l'oncle, tu n'as donc pas été touché par le
sentiment qui anime ces humbles paysans ?" (...)
Il insista :
"Pourquoi cette grappe a-t-elle fait le tour complet de
la famille ?"
Il me regardait, de ses yeux pleins de bonté. Je voulus lui
faire plaisir, et je concentrai toute mon attention sur ce problème : dans un
éclair, je vis la vérité, et je m'écriai :
"C'est parce qu'elle était sulfatée !" 😂
Prions.
Seigneur Jésus, je veux être ton disciple.
Pour que je puisse porter du fruit, garde-moi uni à Toi et à mes sœurs et frères
de la même Vigne ! Amen.
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