C DIM 25 - Question d'argent
On peut
imaginer la tête des gens quand Jésus fait l'éloge du gérant malhonnête ! Aurait-il
pris des leçons chez un certain Donald ? - Il sait surprendre et réveiller
l'attention ! 
Le
thème, ô combien délicat, de la 1ère lecture et de l’évangile de ce
dimanche est : l’argent.
Chers frères et sœurs, je ne sais pas quel est votre rapport à l’argent. Pour
moi-même, il continue de me poser question depuis que j’ai reçu mon premier
salaire. L’argent ne laisse personne indifférent, qu’on en ait beaucoup ou qu’on
en ait peu.
« Il
est nécessaire pour vivre », disons-nous. Oui, assurément. Certains disent
aussi – généralement ceux qui en ont beaucoup – qu’ « il ne fait pas le
bonheur ». Quoi qu’il en soit, dans le système économique dont nous
faisons tous partie, l’argent commande et gouverne une grande partie de nos
actions et interactions, pour le bien des uns ou le malheur des autres,
et, indirectement, des habitants de cette terre. L’argent fait tourner le
monde.
Depuis la
révolution industrielle et l’avènement du capitalisme, l’argent est au centre
de la vie sociale et bien sûr économique. Il a le pouvoir et la volonté de tout
chosifier, de tout quantifier, en dollars, en euros ou en bitcoins : les
services, la culture, le vivre-ensemble et la solidarité, bref, tout ce qui
fait de nous des humains. Tout se compte, tout se paye. Il y a bien sûr des
résistances, et le bénévolat n’est pas mort, mais la tendance est lourde.  – C’est ce qui me frappe quand j’entend les
revendications sociales qui s’expriment actuellement : la première en tête,
c’est « la revalorisation financière » autrement dit : l’argent.
C’est sans doute légitime. Est-ce que pour autant on ne risquerait pas à
terme de définir l’humain par l’argent, de le réduire à son portefeuille ?
« Homo economicus ».
Si nous
pensons argent, si nous rêvons argent, si nous travaillons que pour l’argent,
si nous ne vivons plus que pour lui, nous finirons par en devenir les esclaves –
en croyant que nous en sommes maîtres. C’est la grande illusion de notre monde
moderne. Je sais bien que ce n’est pas votre cas ; mais est-ce que nous
ne devrions pas, nous chrétiens, nous méfier de ce petit dieu qui, s’il
peut être un bon serviteur, est en tout cas un très mauvais maître, celui que
Jésus appelait « Mammon », une façon pour lui de personnifier une
sorte de contrefaçon de l’unique Dieu en qui on doit mettre sa foi ?
L’histoire
ou les contes ne manquent pas qui veulent prévenir des dangers de l’avidité. De
Crésus qui était "riche comme Crésus"et à qui on fit boire de l’or fondu, à Midas
qui obtint le pouvoir de transformer en or tout ce qu’il toucherait et qui en mourut ;
du Harpagon de Molière et sa cassette, à Scrooge du conte de Dickens ; jusqu’au
roman « l’Argent » de Zola (sans oublier Picsou), ces récits ont en
commun de vouloir démontrer les ravages de l’argent et de la cupidité. Quelque
part, Jésus s’inscrit dans cette lignée, avec cette particularité essentielle
qu’il met en opposition radicale la soif de l’argent et la soif de Dieu. « On
ne peut pas servir en même temps Dieu et Mammon » (l’Argent). 
Il y aurait
donc incompatibilité entre une vie de disciple de Jésus et une recherche
de l’argent pour lui-même. Jusqu’où va cette incompatibilité ? Bonne
question ! 
On constate
facilement que beaucoup de gens qui se disent chrétiens font facilement des
compromis quand il s’agit d’accumuler des biens et d’en profiter à leur unique
usage. Et il n’y a pas besoin d’être millionnaire ou milliardaire pour cela. Je
suis toujours étonné de voir comment dans certaines églises (évangélistes par exemple), on s’accommode très bien chez
leurs membres d’une fortune sans doute acquise honnêtement (on peut l’espérer),
mais qui dort dans des coffres ou des portefeuilles d’actions sans contribuer
au bien commun ou à servir à soulager la pauvreté. Elles semblent en tout cas
servir à garnir les poches de ces prédicateurs au travers de ces
liturgies-spectacles ou la grâce de Dieu est monnayée au prorata des offrandes
déposées dans les paniers… 
Bien, on n’est
pas vraiment concernés chez nous par ce type d’excès, et le niveau
socio-économique de nos assemblées est plutôt moyen. N’empêche que la
question est toujours là : Jusqu’où va cette incompatibilité de l’argent
qu’on accumule ou qu’on recherche, avec une vie chrétienne authentique ?
Je crois
que Jésus nous répondrait : Regarde dans ton cœur. Vers où va ton cœur ?
« Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6,21). Si
notre cœur est pris par l’argent (et derrière l’argent il y a le confort, le
plaisir, le loisir etc.), il n’y aura petit à petit plus de place pour Dieu. Et
tes relations avec les autres seront aussi faussées voire instrumentalisées. Tu
deviens esclave de Mammon au lieu d’appartenir à Dieu. La liberté, la vraie
liberté selon le Christ et l’évangile suppose un amour de don (en latin ‘’caritas’’),
et donc de désappropriation. Les biens ne nous appartiennent pas, ils nous sont
confiés. Vivre pour eux est un contresens.
Voilà. Le
danger de l’argent, c’est qu’il endurcit le cœur. Il nous rend insensibles
aux manques et aux souffrances des pauvres et de la Terre qui crient vers Dieu.
Il nous enlève en la desséchant progressivement notre capacité de juger les
mécanismes économiques iniques et malsains qui produisent cette pauvreté, puis celle
de nous indigner comme le fait Amos en prenant parti pour une société plus
juste et plus solidaire.
Le
bonheur n’est pas dans le pré, mais dans le don et le partage, dans la joie d’être
libre par rapport aux biens de la terre et aux sirènes de la société de
consommation. L’avertissement du Christ doit nous réveiller, dans cette
ambiance de plus en plus matérialiste qui est la nôtre aujourd’hui. 
Mais comment comprendre cette histoire d’intendant malhonnête que son maître qu’il a roulé félicite pour sa roublardise ?
C’est quand même contradictoire avec tout l’enseignement
du Christ sur la manière dont un disciple doit se comporter en homme honnête et
de confiance, non ?  Soyons clairs :
Jésus ne dit pas "bravo à l'escroquerie", mais "bravo à l'esprit
de décision" ! Le gérant allait être mis à la porte et il sait prendre
sans traîner les décisions qui lui ouvrent un avenir. Jésus prend juste cet
exemple, peut-être tiré de l’actualité de son temps (et on dirait que cela
pourrait bien se passer pareillement aujourd’hui), Jésus prend cet exemple pour interpeller
et réveiller l’imagination et l’audace des disciples, qu’il appelle les « fils
de la lumière » qui sont souvent moins débrouillards que les « fils
du monde » - qui ne travaillent pas pour Dieu mais pour leur propre
compte. 
C’est un
peu un exemple limite, d’accord ; est-ce qu’on penserait à admirer et à
donner en exemple Donald Trump pour ses nombreux coups d’éclat ? En tout
cas, il est certain que lui ne manque pas d’esprit d’initiative et d’imagination,
même si hélas il ne la met pas au service du bien de tous.
D’ailleurs, Jésus corrige ce qui pourrait être une mauvaise interprétation de sa parabole en ajoutant que « celui qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est malhonnête dans la moindre chose est malhonnête aussi dans une grande ».
Et il précise qu’au-delà des choses de la terre, il ne faut pas perdre de vue le « Bien véritable » : Je l’écris avec une majuscule, parce que ce Bien-là, sœurs et frères, c’est celui-là que je veux poursuivre avec audace et imagination, avec grande soif, et joie profonde car déjà, ce Bien véritable, je peux le recevoir chaque jour de Celui qui m’a libéré, qui me libère encore de tout faux attachement, et qui me donne d’aimer comme Lui !
Je vous le
souhaite aussi, ce Bien véritable, pour vous mes amis, de tout mon cœur. Amen.
Commentaires
Enregistrer un commentaire