B DIM 31 - Le club Dorothée

 On vient juste de célébrer la fête de Tous les Saints, et voilà que la liturgie de ce dimanche nous fait voir tout de suite leur secret : aimer, aimer, et encore aimer. 


Connaissez-vous Dorothée de Gaza ?
 Beaucoup de chances que vous n’en ayez jamais entendu parler ! Non, non, il ne s’agit pas de la chanteuse et actrice française des années ’80 (« Hou la menteuse, elle est amoureuse »). D’ailleurs, ici, il s’agit d’un homme – un moine, abbé d’un monastère, qui a vécu à Gaza au VI° siècle. Aujourd’hui, quand on évoque Gaza, on pense tout de suite à cet horrible conflit qui a fait des milliers de morts de part et d’autre et qui n’en finit pas. Les chrétiens de Gaza, eux aussi, paient un lourd tribut pour une guerre qu’ils n’ont pas voulue…  


Or, il n'en a pas toujours été ainsi. Gaza était au 6°-7° siècle une ville cosmopolite, de langue et de culture grecque essentiellement, et où le christianisme rayonnait paisiblement comme un peu partout dans le bassin méditerranéen grâce à des figures spirituelles marquantes que j’ai découvertes par hasard en recherchant comment les communautés chrétiennes avait prospéré puis survécu jusqu’à présent dans cette région, et quelles étaient leurs origines.

Ces auteurs célèbres par leurs écrits, souvent des père-abbés de monastères alors florissants, avaient une réputation de sainteté. On cite Procope, Jean l’Ancien, Dosithée, Barsanuphe de Gaza, etc. (Vous n’êtes pas obligés de retenir ces noms qui sonnent si agréablement…)

Dorothée de Gaza était l’un d’eux. En commentant l’Evangile de ce dimanche, il expliquait aux fidèles venus l’écouter nombreux dans son monastère un principe qu’on a appelé la roue de Dorothée de Gaza. Ecoutez bien, il faut faire un effort d’imagination pour visualiser sa théorie :


« Imaginez un cercle, disait Dorothée. Imaginez que ce cercle c’est le monde, le centre Dieu, et les rayons les différentes voies ou manières de vivre des hommes. Quand les saints, désirant approcher de Dieu, marchent vers le milieu du cercle, dans la mesure où ils pénètrent à l’intérieur, ils se rapprochent les uns des autres en même temps que de Dieu. Plus ils s’approchent de Dieu, plus ils se rapprochent les uns des autres ; et plus ils se rapprochent les uns des autres, plus ils s’approchent de Dieu.

Et vous comprenez qu’il en est de même en sens inverse, quand on se détourne de Dieu pour se retirer vers l’extérieur : il est évident alors que, plus on s’éloigne de Dieu, plus on s’éloigne les uns des autres, et que plus on s’éloigne les uns des autres, plus on s’éloigne aussi de Dieu.

Telle est la nature de la charité (agapè, l’amour). Dans la mesure où nous sommes à l’extérieur et que nous n’aimons pas Dieu, dans la même mesure nous avons chacun de l’éloignement à l’égard du prochain. Mais si nous aimons Dieu, autant nous approchons de Dieu par l’amour pour lui, autant nous communions à l’amour du prochain ; et autant nous sommes unis au prochain, autant nous le sommes à Dieu. »

C’est clair ?

Une roue ! Une roue pour montrer combien l’amour de Dieu et l’amour de l’homme sont intimement et indissolublement liés : il fallait y penser !  C’est en effet la pointe de l’Évangile d’aujourd’hui : dans l’Écriture, tout dépend de ces deux commandements : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu … Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». On peut être étonné d’en faire une obligation, quasi un ordre :

À la différence de nos fameux soixante-huitards qui proclamaient l’affranchissement de toute obligation et de tout interdit, Jésus ne bazarde pas les commandements. Il sait que ce sont des chemins pour rencontrer Dieu, et grandir en humanité et en sainteté. En ce sens, on ne pourrait pas s’en passer. Mais il sait aussi que ce n’est pas toujours naturel d’aimer, c’est pourquoi il utilise l’impératif, ou plutôt un futur : « tu aimeras », comme un objectif, un but à essayer d’atteindre.

« Seigneur, comment faire pour aimer ce voisin qui me casse les pieds, ce voleur qui me dépouille, cet arriviste qui veut me prendre ma place, ce jaloux qui salit ma réputation, etc ? » « Tu aimeras », répond Jésus. C’est-à-dire, laisse l’amour, le mien, entrer dans ton cœur. Si tu te sais aimé, tu t’aimeras aussi toi-même, et tu sauras aimer ton frère « comme toi-même » parce que tu auras compassion de lui comme j’ai eu compassion de toi. Si tu es dur avec toi-même, tu seras aussi dur avec ton frère, tous tes frères. Je t’aime tel que tu es. Fais de même !

« Bon, mais c’est difficile quand même ! » – Qui a dit que c’était facile ? Aimer, c’est toujours sortir de soi-même, se perdre un peu ; mais pour se retrouver soi-même plus pleinement. Tout dans le message évangélique et la foi chrétienne est une question d’amour, et que d’amour, (puisque Dieu lui-même est Amour – 1 Jn 4,16). C'est pour cela que Jésus replace ces deux commandements au centre, en les jumelant. Car on peut très bien appliquer tous les autres commandements sans amour, de façon légaliste, sans y mettre ni son cœur ni son âme. C’est ce que faisaient les pharisiens, en établissant des listes de prescriptions qu’il fallait observer rigoureusement, de façon quasi maniaque.


Ces commandements, au nombre de 613, étaient dispersés dans la Thora, la Loi et les Prophètes ; ils régissent encore aujourd’hui la vie des Juifs pieux. Jésus ne les conteste pas, il ne les supprime pas, mais en mettant à la première place et en correspondance les deux commandements, celui de l’amour de Dieu (dans le Deutéronome, le ‘shma Israël’) et celui de l’amour du prochain (dans le Lévitique), il SIMPLIFIE et il UNIFIE toute la Loi.

C’est ce qui a fait oser dire à saint Augustin cette phrase extraordinaire : « Ama, et fac quod vis » - « Aime, et fais ce que tu veux ». Sois dit : si tu aimes vraiment, tu ne peux pas mal faire. C’est pour cela que Jésus affirme que ces deux commandements joints ensemble résument toute la Loi et les Prophètes.


Entre chrétiens légalistes ou permissifs, nous n’avons pas à choisir
. Les uns et les autres sont des déviations, des perversions mêmes de la Source évangélique et spirituelle de l’Amour, le don le plus grand que Dieu a fait à l’humanité. Il nous a créés capables d’aimer comme Lui, et par Lui. Ne jamais séparer l’amour de Dieu et celui du prochain, nous évite de tomber dans deux pièges, deux extrêmes : le spirituel désincarné d’une part (j’aime Dieu mais je me fous du prochain), et l’horizontalisme réducteur d’autre part (je fais tout pour le prochain, mais je n’ai rien à faire de Dieu). En Jésus, Dieu et l’homme sont tellement liés qu’on ne peut toucher à l’un sans toucher à l’autre. On ne peut affecter l’un sans affecter l’autre.

Et merci à Dorothée de Gaza et sa roue, de nous l’avoir si bien démontré !

 

Qui donc est Dieu qu’on peut si fort blesser en blessant l’homme ?

Qui donc est l’homme pour avoir une telle valeur aux yeux de Dieu ?




Commentaires

LES HOMELIES - ANNEE B

LES HOMELIES - ANNEE A