A DIM 04 - Fier ? De quoi ?
Fier ? De quoi ? (4è dimanche ord A)
Clairette était de ces personnes apparemment inutiles, sans aucune
famille pour l’entourer. Mais de son fauteuil qu’elle ne quittait plus, elle
trouvait la vie pourtant belle, souriait quand on lui adressait la parole,
riait de bon cœur pour tout ou rien, ou essayait de fredonner une chansonnette
avec l’ergothérapeute.
Simple et souvent « à côté de la plaque » comme on dit, elle n’a rien accompli aux yeux de la société : ni travail, ni couple, ni enfant, 86 ans de dépendance totale, à charge.
En célébrant ses obsèques, je repensais au psaume 131 qui la décrivait si bien et que j’avais choisi pour sa célébration :
« Seigneur, je n’ai pas le cœur fier
ni le regard ambitieux ;
Je ne poursuis ni grands desseins, ni
merveilles qui me dépassent.
Non, mais je tiens mon âme égale et
silencieuse ;
Mon âme est en moi comme un enfant,
comme un petit enfant contre sa mère.
Attends le Seigneur, Israël,
maintenant et à jamais » (Ps 131)
Cela rejoint bien les
lectures d’aujourd’hui. En particulier l’Evangile où Jésus proclame heureux
les pauvres de cœur. Je me suis souvent demandé qui étaient ces
« pauvres de cœur » - et vous aussi sans doute ! J’ai fini par
comprendre que ce n’étaient pas des personnes qui manquent de cœur, incapables
d’aimer (ce serait un comble !), ni bien sûr des malades du cœur, mais
plutôt comme le suggèrent toutes les béatitudes suivantes, des personnes qui
vivent l’esprit de pauvreté : en clair, qui ne mettent pas leur
fierté en eux-mêmes, dans leurs capacités ou dans leurs richesses.
En ce sens, notre
Clairette était assurément de ces « pauvres de cœur », heureux selon
Jésus. Personnellement, je n’ai pas l’impression d’en faire partie : je
m’appuie encore bien trop sur mes moyens personnels ! Et je suis si fier
quand je réalise quelque chose de bien…
Alors, l’exemple de Clairette
nous permet peut-être de mieux comprendre ce que dit Paul dans notre deuxième
lecture :
« Aucun être de
chair ne pourra s’enorgueillir devant Dieu. […] Ainsi, comme il est écrit
: Celui qui veut être fier, qu’il mette sa fierté dans le Seigneur » (1Co 1,29‑31). Et
Isaïe renchérit : « Cherchez la justice, cherchez l’humilité. »
Voilà qui va bien à contre-courant de notre époque ! Si, autrefois, on éduquait les enfants à la modestie, parfois trop, jusqu’à l’écrasement de la personnalité, aujourd’hui, on valorise plutôt la fierté et même l’orgueil. Les psy’s sont passés par là, et la révolution sociétale de mai 68 qui tous insistent sur l’importance d’avoir une bonne image de soi – ce qui en soi est évidemment une bonne chose – jusqu’à un certain point. Mais aussi il faut reconnaître que, dans une société qui promeut la compétition dans tous les domaines et la performance, où il faut continuellement être le meilleur, le plus fort, le plus beau (regardez-moi !), l’humilité n’a pas bonne presse. On croise aujourd’hui plein de gens qui ont un ego surdimentionné, qui chantent sur tous les tons : Moi ! moi ! moi !...
Bon. Une saine fierté semble nécessaire et légitime. Mais de quoi
peut-on être fier ?
De quoi peut-on être légitimement fier dans la vie ?
-De nos capacités (santé, intelligence, beauté, force, énergie…) ? Qu’est-ce qu’on a fait pour les mériter ? Rien ! Elles nous ont été données, sans que nous l’ayons demandé. Si les gènes nous ont favorisés, pourquoi nous en vanter ? C’est même légèrement méprisant pour ceux qui, comme Clairette, sont totalement dépourvus de ces qualités innées…
-De nos talents, de notre travail pour les développer ? Souvenez-vous de la parabole dans Luc chapitre 17 où la question de la reconnaissance est posée : Jésus conclut en ces termes : « De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples (inutiles) serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ ».
-On peut encore être fier de sa famille, de son pays, de son métier… Attention cependant : Parfois, ce sentiment de fierté peut conduire à se sentir supérieur, à reprocher aux autres leur origine, leur milieu social etc. Ou, à devenir possessif et trop exigeant (par exemple par rapport à ses enfants qui doivent rendre honneur à leurs parents par leurs résultats scolaires…).
-Et ne peut-on pas être légitimement fier de sa piété, de sa charité
et de son engagement religieux ? On a quand même le droit d’être fier
d’être chrétien, non ? Un bon catho ! Pratiquant même de surcroît...
Paul tranche la question : « Qui donc t’a
mis à part des autres ? Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as
reçu, pourquoi te vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1Co 4,7) Pour
lui c’est clair : nos œuvres ne nous servent à rien pour gagner des places au
paradis, mais la grâce seule. Pourquoi alors être fier de ce qu’on l’on a
accompli ? « C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, et par le moyen de la
foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas des
actes : personne ne peut en tirer orgueil » (Ep 2,8-9).
Et Jésus enfonce le clou : Vous vous rappelez,
l’histoire du pharisien et du publicain qui priaient au Temple (Lc
18,10-14) ? Qui a été justifié par Dieu ? Le publicain ! Celui qui se
frappait la poitrine et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel… Le
pharisien, qui jeûnait deux fois par semaine et versait la dîme sur ses revenus,
pouvait aller se faire voir !
Il est vrai que nous pouvons facilement être aveuglés par la recherche de nos fiertés. Cela peut nous rendre durs et intransigeants à l’égard de ceux qui n’y arrivent pas comme nous. « Je te remercie de ce que je ne suis pas comme les autres », priait le pharisien. Et cela nous empêche de comprendre les personnes comme Clairette qui n’ont rien à mettre en avant. De la fierté à l’orgueil, il n’y a qu’un pas qu’on franchit souvent sans s’en rendre compte ; seulement nos proches voient le changement. La plupart du temps, les orgueilleux ne se rendent pas compte qu’ils pompent tout l’air autour d’eux ; ils se complaisent trop en eux-mêmes… « La condition de l’orgueilleux est sans remède, écrit le sage Ben Sira dans ses maximes ; elle est sans remède, car la racine du mal est en lui » (Si 3,28). Péché capital !
L’humilité est au centre des
enseignements des sages de la Bible. Comme une condition indispensable pour
grandir dans l’intimité avec Dieu :
Si 3,17 Mon
fils, accomplis toute chose dans l’humilité, et tu seras aimé plus qu’un
bienfaiteur.
18 Plus
tu es grand, plus il faut t’abaisser : tu trouveras grâce devant le
Seigneur.
19 Beaucoup
sont haut placés et glorieux, mais c’est aux humbles que le Seigneur révèle ses
secrets.
Alors, finalement, de quoi peut-on être
fier ? D’avoir réussi à
arrêter de fumer ? sûrement ; d’avoir pu se dépasser en étant plus humain,
compatissant, miséricordieux, généreux… certes. Être fier de soi, sainement, avec
modération et humour, pour ne pas tomber dans la complaisance, le pharisaïsme,
et se prendre pour un héros. Voilà qui est bon et sain. Car se priver de
toute fierté risque au contraire de vous faire basculer dans la dévaluation de
soi : ce qui avait été largement pratiqué et enseigné jadis dans les
milieux ecclésiastiques, les couvents, les pensionnats…
Enfin, il doit bien y avoir une bonne façon de se réjouir d’être soi sans
verser dans l’orgueil… ! Paul (qui a des raisons d’en connaître un bout, il a
dû lui-même lutter constamment contre le démon de l’orgueil, et rabaisser
un caractère fort et autoritaire qui lui était naturel), Paul donc nous
recommande : « Celui qui veut se glorifier, qu’il se glorifie dans le
Seigneur ». Ce serait la voie de l’équilibre : ni
auto-dévaluation, ni orgueil, car ma fierté est dans le Seigneur.
Qu’est-ce à dire ?
C’est là que nous découvrons notre valeur propre, cette dignité
merveilleuse qui vient de Dieu et nous y conduit.
Et bien sûr, Marie est le parfait exemple de cette fierté
« dans le Seigneur » qui ne s’appuie pas sur ses propres mérites
mais sur l’action de Dieu en elle : « mon âme exalte le Seigneur,
exulte mon esprit en Dieu mon sauveur. Il s’est penché sur son humble servante,
toutes les générations me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des
merveilles… » (Lc 1,46-55).
Aucun repli sur soi dans son Magnificat : la fierté de Marie n’est pas
en elle-même, mais dans la présence de Dieu en son sein.
Marie ne s’appartient pas, et rapporte tout à Dieu en y collaborant de
tout son être. Elle est la première de ces « pauvres de cœur »
dont parle Jésus dans ses Béatitudes. Marie, parce qu’elle fait partie aussi
des doux, de ceux qui pleurent, des affamés de justice, des compatissants, des
miséricordieux, des cœurs purs, artisans de paix… n’est pas pleine d’elle-même,
mais dans ce creux, dans cette pauvreté ou petitesse, elle peut porter sans le
ternir par un quelconque orgueil le projet de Dieu (le Sauveur) et le donner au
monde !
Saint Paul (qui ne se prenait pas pour un « saint »
justement), a compris tout cela, quand il écrit : « Dieu m’a déclaré
: ‘Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la
faiblesse.’ C’est donc très volontiers que je mettrai plutôt ma
fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa
demeure » (2Co 12,9).
Finalement, à quoi bon se torturer avec cette question « de qui, de quoi puis-je être fier ? » Celui qui ne vit avec Dieu ne se pose pas la question de ses réussites ou de ses échecs, de ses forces de ses faiblesses, de ses qualités ou de ses défauts… de sa valeur. S’il est fier, c’est comme dit Paul, dans le Seigneur : uni à Lui, il se réjouit d’être en Dieu et que Dieu soit en lui et agit en lui. « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume de Dieu est à eux ! »
Ruminons donc avec insistance les mots du psaume 131, en pensant à tous ceux
et celles qui ont incarné à nos yeux cette douce humilité de qui s’abandonne à Dieu
:
« Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ;
Je ne poursuis ni grands desseins, ni
merveilles qui me dépassent.
Non, mais je tiens mon âme égale et
silencieuse ;
Mon âme est en moi comme un enfant,
comme un petit enfant contre sa mère.
Attends le Seigneur, Israël,
maintenant et à jamais » (Ps 131)
Lire le récit : "Les deux
cruches" ou "La cruche fissurée"
Un porteur d’eau indien avait deux grandes
jarres suspendues aux deux extrémités d’une pièce de bois qui épousait la forme
de ses épaules.
L’une des jarres avait un éclat, et, alors que
l’autre jarre conservait parfaitement toute son eau de source jusqu’à la maison
du maître, l’autre jarre perdait presque la moitié de sa précieuse cargaison en
cours de route.
Cela dura deux ans, pendant lesquels, chaque
jour, le porteur d’eau ne livrait qu’une jarre et demi d’eau à chacun de ses
voyages.
Bien sûr la jarre parfaite était fière d’elle,
puisqu’elle parvenait à remplir sa fonction du début à la fin sans faille. Mais
la jarre abîmée avait honte de son imperfection et se sentait déprimée parce
qu’elle ne parvenait pas à accomplir que la moitié de ce dont elle était censée
être capable.
Au bout de deux ans de ce qu’elle considérait
comme un échec permanent, la jarre endommagée s’adressa au porteur d’eau, au
moment où celui-ci la remplissait à la source.
« Je me sens coupable, et je te prie de m’en
excuser »
« Pourquoi ? demanda le porteur d’eau. De quoi
as-tu honte ? »
« Je n’ai réussi qu’à porter la moitié de ma
cargaison d’eau à notre maître, pendant ces deux ans, à cause de cet éclat qui
fait fuir l’eau. Par ma faute, tu fais tous ces efforts, et, à la fin, tu ne
livres à notre maître que la moitié de l’eau. Tu n’obtiens pas la
reconnaissance complète de tes efforts », lui dit la jarre abîmée.
Le porteur d’eau fut touché par cette
confession, et, plein de compassion, répondit : « Pendant que nous retournons à
la maison du maître, je veux que tu regardes les fleurs magnifiques qu’il y a
au bord du chemin. »
Au fur et à mesure de leur montée sur le chemin,
au long de la colline, la vieille jarre vit de magnifiques fleurs baignées de
soleil sur les bords du chemin, et cela lui mit du baume au cœur. Mais à la fin
du parcours, elle se sentait toujours aussi mal parce qu’elle avait encore
perdu la moitié de son eau.
Le porteur d’eau dit à la jarre : « T’es-tu
rendu compte qu’il n’y avait de belles fleurs que de ton côté, et presque
aucune du côté de la jarre parfaite ? C’est parce que j’ai toujours su que tu
perdais de l’eau, et j’en ai tiré parti.
J’ai planté des semences de fleurs de ton côté
du chemin, et, chaque jour, tu les as arrosées tout au long du chemin.
Pendant deux ans, j’ai pu grâce à toi cueillir
de magnifiques fleurs qui ont décoré la table du maître. Sans toi, jamais je
n’aurais pu trouver des fleurs aussi fraîches et aussi gracieuses. »
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