A NOËL - Il est arrivé ! (homélie pour la messe de Noël 2022)



Chers sœurs et frères,

 

Qu’êtes-vous venus chercher ce soir ?

 Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter votre chez-vous douillet et confortable pour passer une heure ou un peu plus assis avec des personnes connues ou inconnues dans une église qui - même si elle est chauffée, n’atteint pas une température aussi élevée qu’à la maison, à écouter des textes et des cantiques qui sont les mêmes chaque année ? 

 
Il paraît que c’est Noël.  Et Noël, c’est spécial. Même la fête commerciale et la frénésie des cadeaux ne peuvent effacer cela : Il y a quelque chose qui vibre, là, qui tremble doucement dans notre cœur, votre cœur.

: Ce n’est pas seulement la nostalgie des Noëls d’antan, où, petit enfant, vous aviez des yeux tout émerveillés devant une simple orange, quelques noix, et le beau sapin décoré, le repas et les habits de fête autour de la table familiale chaleureuse… La messe de Noël, qu’elle soit de minuit ou d’autre heure, faisait naturellement partie du paysage, de la tradition.

: Ce n’est pas seulement non plus le rêve, la « magie de Noël » comme on l’appelle souvent aujourd’hui, où l’on oublie pour un instant tous ses problèmes et les malheurs du monde pour se réfugier dans une bulle de bonheur éphémère… en attendant le réveil hélas moins enchanteur.

 

Non, je crois que vous savez très bien pourquoi vous êtes ici aujourd’hui ce soir ! Et moi aussi je le sais.  Vous le sentez : Derrière la face visible de cette fête se cache une plénitude, un infini. Le même que celui que nous portons au fond de nous, et qui est pour nous source de plénitude. Voilà pourquoi nous sommes venus à cette messe de Noël, même si nous en connaissons d’avance les lectures et les chants.


En fait, depuis que nous sommes nés, nous sommes à la recherche de cette plénitude. Nous sommes habités par une aspiration à vivre pleinement en complète harmonie avec ce que nous sommes au plus profond de nous-mêmes : cette part de nous-même, la plus essentielle, et qu’on appelle quelquefois « l’âme ».

Pour le théologien suisse Maurice Zundel (1897-1975), l'être humain est appelé à « vivre l'infini que chacun porte en soi. »

Or, Noël, c’est Dieu qui est venu habiter cette part la plus profonde de nous-mêmes. Jésus est venu pour cela : nous révéler que nous sommes faits pour Dieu, rien de moins



"Cet instant d'infinie plénitude" (Laure Kefta, artiste peintre)

En venant s’incarner dans notre nature humaine, recevant son corps d’une femme, il redonnait à chaque être humain une dignité incomparable ; et par le don de son Esprit, il fait de chaque cœur qui l’accueille un tabernacle, une maison de Dieu, un Bethléem ! Comme le dit le prologue de saint Jean qu’on lit à la messe du jour de Noël : « à ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. Eux qui croient en son nom, ils ne sont pas nés du sang ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu ! »

 


Voilà, mes sœurs et mes frères, ce que nous sentons confusément, ce qui fait aujourd’hui vibrer nos cœurs : Ce soir, Dieu vient avec tout son Amour demeurer en vous, en moi, en chacun de nous ! Comme un Enfant qu’il est. Qui aurait donc peur d’un enfant ? Nous avons la chance comme Marie et Joseph de pouvoir le recevoir, si nous le voulons bien. Faire de notre cœur une crèche pour qu’il vienne y rétablir la paix, guérir nos blessures, soulager nos peines, redonner la force d’aimer et le goût de la vie quand nous l’avons perdu…


 Cet Enfant, il est appelé « Sauveur » (‘Voici qu’un Sauveur vous est né’)Pourquoi, pour qui est-il Sauveur ?

Un jour, un paroissien qui m’avait entendu dire dans mon homélie que Jésus nous sauve, m’a abordé à la fin de la messe pour me dire : « J’ai bien compris votre message, mais il ne me concerne pas. En fait, je vais très bien : je n’ai pas besoin d’un sauveur. » Sa vie était pleine.

C’est le drame de notre société, qui nous pousse à faire en sorte que nous ayons « tout », que nos vies soient pleines, aussi pleines que la salle commune de Bethléem où il n’y avait pas de place pour Marie et Joseph. Dans ce monde où nous vivons aujourd’hui, il faudrait que nos agendas, nos armoires, notre esprit, nos frigos… soient remplis. Continuellement remplis. Comme si la nature avait horreur du vide !

Et les occasions, les possibilités ne manquent pas pour remplir nos vies : occupations, loisirs, travail prenant, objets de toutes sortes qui réclament sans cesse notre attention. Et de plus, tout cela est plus accessible que jamais : avec mon seul smartphone, je peux communiquer, m’informer, faire des achats, réserver mes vacances, jouer pendant le temps qui me reste. Me voilà donc plein et comblé ! à stok' comme on dit en wallon...


Un Sauveur ? Pour quoi faire donc?  Peut-être alors pour tous ceux qui voudraient bien remplir leur vie et qui n’y arrivent pas, et qui vivent cette frustration puisque ce manque ils ne l’ont pas choisi…

Mais non ! Je crois , moi, profondément, que c’est de lui-même que l’Homme a besoin d’être sauvé ! De sa folie, de son appétit démesuré de posséder et d’être rassasié, de sa soif de pouvoir, d’être admiré, bref, d’être un dieu.

Quand on est tout petit, les toutes premières années de sa vie, on se vit spontanément naturellement comme le centre de l’univers : Tout tourne autour de moi, et il suffit que je pleure pour qu’on me donne ce dont j’ai besoin. Il faut des années, et la socialisation, l’éducation à l’amour et à la gratuité, pour pouvoir se décentrer de soi-même - et certains parfois n’y arrivent jamais. C’est la blessure originelle, vouloir être comme des dieux.

Oui, chers frères et sœurs, c’est bien de cela que Jésus veut nous sauver : de ce « moi » qui veut tout, qui exige tout et qui se prend parfois pour un petit dieu. D’où, bien des conflits… des injustices.

 

Nous fêtons Noël cette année dans un contexte très particulier, celui d’une guerre entre deux nations voisines, chrétiennes de surcroît : la Russie et l’Ukraine ; guerre qui affecte les relations dans le monde entier et qui réveille bien des peurs.

Une guerre occasionne de très nombreuses souffrances, avec des répercussions psychologiques, humaines et matérielles sur un très long terme – des décennies. Bien des familles sont brisées. Pouvons-nous l’oublier et ne pas y penser parce que c’est Noël et que nous avons d’autres préoccupations ? 


Ce serait bien indifférent et égoïste de notre part. Comme nous ne pourrions certes pas oublier ces sans-abris qui mendient à l’entrée des grands magasins et tous ces hommes et ces femmes ou ces enfants qui fuient la guerre ou la misère dans leur pays et qui ne trouvent pas d’accueil chez nous… Non plus les récentes victimes des inondations chez nous qui n’ont pas encore pu retrouver un toit convenable après avoir vu leur vie détruite… Ou encore les vieillards abandonnés, les laissés-pour-compte de la crise, les enfants maltraités pour qui il n’y a pas de Noël…

 


Dimanche dernier soir alors qu’il faisait déjà tout noir, place saint Remacle à Verviers, on a vu des choses bizarres : une foule de gens de tous âges, sortant apparemment de l’église, portaient quelque chose qui ressemblait à une petite flamme, une lumière tremblotante dans la nuit. Ils se sont dispersés plic ploc sans bruit, avec leur trésor lumineux à la main. Il paraît que cette flamme venait d’Israël, de Bethléem plus exactement, après avoir traversé la Méditerranée et l’Europe. Elle est venue jusque dans notre église où nous sommes rassemblés ce soir.



Chers amis, cette flamme c’est la Flamme de la Paix. Symbole fragile mais puissamment évocateur de ce cadeau qu’est la venue du Christ Sauveur en notre humanité, et qui ranime l’Espérance car la flamme elle est faite pour se communiquer, se transmettre de personne à personne. 




La Paix, elle commence en moi, en vous, en chacun de nous quand nous voulons bien accepter de nous laisser désarmer et aimer par cet Enfant de la crèche, et nous dépouiller de nos faux-semblants et de notre orgueil pour redevenir nous aussi des enfants : Simplement, se laisser aimer ! Accueillir la Paix qui fait de nous des frères et des sœurs ; accepter de se réconcilier avec soi-même, avec ceux que Dieu aime aussi comme chacun de ses enfants. Avec Celui qui a mis entre nos mains le pouvoir d’aimer et de donner la joie, la paix… de mieux répartir les chances.

 


Frères et sœurs, je vous souhaite à chacun et à chacune un joyeux Noël, un Noël fraternel et vrai ! « La lumière est venue dans le monde, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée » (Jn 1,5) . Gloire à Dieu et paix sur la Terre !




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