C DIM 34 - Christ Roi de Miséricorde

 

HOMELIE FÊTE DU CHRIST ROI 2022


Le saint curé d’Ars, Jean-Marie Vianney, a eu un jour cette formule extraordinaire : « entre le pont et l’eau, il y a la miséricorde ».

 

C’est le pape François qui raconte l’épisode lors d’une messe matinale à Ste-Marthe le 18 mars 2019 au cours du carême :

« Souvenons-nous, dit-il, de cette pauvre veuve qui est allée se confesser au Curé d’Ars (son mari s’était suicidé ; il s’était jeté d’un pont dans un fleuve). Et elle pleurait, disant : “… Mon pauvre mari ! Il est en enfer ! Il s’est suicidé et le suicide est un péché mortel. Il est en enfer”. Et le Curé d’Ars lui dit : “Mais, attendez Madame, entre le pont et l’eau, il y a la miséricorde de Dieu”. 


Jusqu’à la fin, la toute fin, il y a la miséricorde de Dieu. Quelle affirmation pleine d’espérance ! Et qui ouvre un immense horizon en cette fête du Christ Roi.

 

L’Evangile nous met aujourd’hui devant les yeux la crucifixion de Jésus, surnommé ironiquement « roi des Juifs ».

Un événement qui a dû plus que désespérer et terroriser tous ses disciples, tous ceux qui avaient mis en lui un espoir extraordinaire, celui d’un Royaume de Dieu enfin restauré.

La déception est à l’image de l’attente qui était mise en lui. Tout s’écroule, les rêves partagés d’un grand nombre de gens qui avaient vu en Jésus celui que les prophètes avaient annoncé, le messie.

On ne mesurera jamais assez le choc que constituait pour tous ces disciples et sympathisants la condamnation de Jésus de Nazareth à une mort ignominieuse sur une croix, ce qui le rendait impur et donc rejeté par Dieu.

 

Et vous savez ce qu’on fait quand on est déçu, que ce soit par Dieu ou par l’Eglise ou tout rêve d'espoir avorté ?

 : On est en colère !

 

C’est la réaction du ‘mauvais’ larron, celui qui invective Jésus. (Je mets ‘mauvais’ entre guillemets, car nulle part il est dit qu’il est mauvais ni plus criminel que l’autre, celui qu’on qualifie de ‘bon’, le « bon larron » pour l’opposer à l’autre.)  

 

Le ‘mauvais’ larron donc est en colère contre Jésus, car son échec est l’échec d’un peuple, de ceux qui avaient tout misé sur lui. Sa colère présente est à la mesure de son espérance passée : plus on aimait, plus on est déçu, et plus on est violent envers celui qui a déçu. Les fans brûlent vite ce qu’ils ont adoré si leur idole les déçoit - les politiciens le savent très bien. Les supporters de football descendent sur la pelouse lorsque leur équipe les déçoit en perdant le match – ces débordements sont parfois meurtriers comme en Indonésie le 1er octobre où il y a eu 125 morts …


Pourtant, ce ‘mauvais’ larron lui aussi dit la vérité sur Jésus : « N’es-tu pas le Messie ? Sauve-nous avec toi ». Dans cette ironie, on peut lire un immense amour déçu.


 

=> Pourquoi j’insiste sur cette colère du larron, alors qu’on célèbre la fête triomphale d’un Jésus à qui l’Eglise décerne le titre de « Christ Roi de l’Univers » ?


Eh bien, précisément, parce qu’aujourd’hui comme au moment de la condamnation et de la crucifixion de Jésus, beaucoup de chrétiens ressentent de la déception, et même de la colère contre une religion - une Eglise qui n’a pas répondu à leur attente comme ils la ressentaient.

Pire, une Eglise qui chez une partie de ses responsables, s’est corrompue dans des scandales affectant des enfants ou des personnes en état de fragilité, ou qui se complaît encore parfois dans des fastes et des procédures d’un autre temps, trop tournée vers elle-même …

 

Colère qui peut aussi s’adresser à Dieu, un Dieu qu’on ne comprend pas et qui laisse des innocents souffrir et périr, qui ne punit pas les méchants ni les empêche de commettre le mal et l’injustice… Un Dieu qu’on ressent parfois comme impassible, insensible.


Je le confesse, j’ai moi aussi quelquefois dans ma vie crié de colère et de douleur contre ce Dieu tout-puissant et insensible, car c’est ainsi que je le voyais à ce moment, quand je devais par exemple enterrer un enfant arraché brutalement à l’amour de ses parents… Comme le ‘mauvais’ larron, je m’écriais dans les larmes : « Mais qu’est-ce que tu fous, là-haut ? »

 

Y a-t-il une seule personne, un seul croyant à qui ce n’est jamais arrivé ? Sans aucun doute, les parents et proches du jeune policier assassiné Thomas Monjoie dont on célébrait vendredi les funérailles, ne le nieront pas. Et non plus les victimes des accidents, maladies, catastrophes de tous genres… Car, rien à faire, on a tous quelque part en nous depuis notre enfance cette image d’un Dieu tout-puissant qui dirige tout, permet tout ce qui arrive, le bien comme le mal… Héritage d’un catéchisme hélas plus païen que chrétien et bien enraciné dans la culture.



La fête du Christ Roi de l’Univers, promulguée en 1925 par le pape Pie XI, renforçait quelque part cette représentation en insistant sur la soumission que tous, les nations comme les individus, devaient à ce Christ potentat, trônant au-dessus de tous. Les chants de l’époque : « Christus regnat, Christus imperat » soulignaient cette domination universelle, qui ressemble à ce que l’Islam revendique pour Allah.


(Notons quand même que cette conception a évolué chez nous, la fête du Christ Roi met aujourd’hui plutôt l'accent sur l'idée que, dans le Christ, toute la création et la destinée humaine est récapitulée. Par contre, les catholiques intégristes tiennent beaucoup à la dimension "totalitaire" de ce titre christique et à l'aspect triomphaliste qui en découle.)



Ce que je trouve extraordinaire dans cet Evangile de ce jour de la fête du Christ Roi, c’est qu’il casse précisément l’image d’un dieu monarque tout-puissant au-dessus de tout, pour projeter à la place celle d’un Dieu qui partage la faiblesse, la souffrance et l’anéantissement dans la mort inhérente à notre condition humaine.

Mais il le fait en transformant aussi cet anéantissement qui nous est commun à tous, en chemin de rédemption : l’histoire des deux larrons est en effet la nôtre, et je ne doute pas que ce soit voulu dans la narration qu’en fait l’évangéliste Luc, apôtre de la Miséricorde !

 

En fait, je suis pratiquement sûr que ces deux larrons, le ‘mauvais’ et le ‘bon’, représentent la même personne : moi, chacun et chacune de nous.

 

Le ‘mauvais’ et le ‘bon’, ce sont les deux facettes de mon âme, tiraillée entre deux sentiments, deux attitudes. Et entre le point A, le ‘mauvais’ larron, et le point B, le ‘bon’ – déclaré sauvé par Jésus (« aujourd’hui, tu seras avec moi au paradis »), entre ces deux points, il y a ce qu’on appelle la conversion.

 

Ici, cette conversion est in extremis, mais en réalité, elle se vit normalement tout au long de notre existence chrétienne.

Le fait qu’ici elle ait lieu juste avant le dernier souffle, validée par la promesse de Jésus au larron d’être au paradis le jour même, donne à la Miséricorde divine telle que Luc l’offre à voir, une ampleur inouïe, infinie, incommensurable : Elle dépasse tout, tous les obstacles, les limites, les freins de nos lourdeurs humaines pour donner du Christ et de Dieu une image véritable : celle de la Miséricorde qu’aucun péché ne rebute, et pour qui la porte du salut n’est jamais fermée, pour peu qu’on dise : « oui ».

 

La démarche qui fait passer du larron A au larron B est représentative de notre propre conversion qui nous fait passer de la colère et de l’accusation contre Dieu (ou contre l’Eglise) à la démarche de confiance et d’abandon à la Miséricorde ; elle se vit en trois points :

 

1.    Reconnaître le mal commis (« nous avons ce que nous méritons »),

2.    Dire la vérité sur les innocents et que ce n’est pas « la faute à l’autre » (« lui n’a rien fait de mal »),

3.    Implorer la miséricorde avec confiance (« souviens-toi de moi »).

 

Rien n’est jamais perdu tant que le dernier souffle n’est pas rendu. Et même au-delà, je le crois, parce quand nous rencontrerons face à face le visage de ce Dieu de Tendresse qui nous tend les bras en nous suppliant de le laisser nous aimer, comment pourrions-nous résister et ne pas nous jeter dans ces bras en lâchant tout ? Il consumera nos péchés dans le feu de son amour en un instant, douleur fulgurante que nous ressentirons seulement de ne pas l’avoir compris plus tôt… et qui pour moi est le "Purgatoire".


Les icônes et les peintures de la Crucifixion montrent presque toutes le larron de droite tournant son visage vers Jésus au centre, alors que celui de gauche regarde ostensiblement ailleurs, ou en bas. La fête du Christ Roi nous invite bien à nous tourner vers le Christ, seule source de salut car personne ne peut se sauver soi-même.

 

L’espace entre le pont et l’eau, l’espace de la Miséricorde est toujours ouvert.


Formidable espérance, qui scandalise les justes, émerveille les pécheurs et soulève les indécis!

 


Jésus,

souviens-toi de moi quand tu entreras dans ton Royaume ! Amen.

 

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