2 CAR 02 - « Emerveillés ensemble de toi, Père »
Bien chers frères et sœurs,
Avez-vous
déjà rêvé d’être là, sur la montagne du Thabor, en ce moment précis où Jésus
fut transfiguré ? De partager avec Pierre,
Jacques et Jean ce moment ô combien intime et éblouissant où Jésus se révèle
dans sa vérité de Fils de Dieu, illuminé de cette relation qu’il entretient
avec son Père…
J’ai eu la chance dans ma jeunesse,
au cours d’un pèlerinage en Terre Sainte avec mes camarades d’études, d’aller
sur le mont Thabor où eut lieu cet événement. Bien sûr, c’était émouvant de se
trouver là, sur le lieu même (quoique assez transformé : on y a construit une
église au sommet et une route qui y mène) ; et comme tous les pèlerins je
tâchais d’imaginer la scène relatée par les évangiles.
Mais vous vous doutez bien, pas de lumière extraordinaire, pas d’apparition ni de voix venant du ciel : seulement un curieux sentiment. Comme quand on revient après des années à un endroit où on a vécu quelque chose de très fort, par exemple une rencontre amoureuse, mais dont les traces ont disparu…
La Transfiguration n’a laissé
aucune trace, sinon dans le cœur des proches amis de Jésus. Mais ils ont eu la
bonne idée de partager cette expérience aux autres disciples après avoir vécu
cette autre expérience bouleversante que fut la Passion de Jésus : après
la Transfiguration, la Défiguration. Ce n’était plus sur le Thabor, mais au
Jardin des Oliviers, que les Trois, Pierre Jacques et Jean, toujours eux,
assistèrent à cette agonie – en dormant encore une fois à moitié –. (Je pense
que ce sommeil de part et d’autre correspond à une sorte de sidération, d’état
second, quand le Mystère- l’incompréhensible s’invite dans notre ordinaire.)
Il est certain que Pierre Jacques et Jean ont fait le lien entre les deux événements car Jésus les avait déjà avertis avant l’épisode du Thabor qu’il allait « souffrir beaucoup, être rejeté par le peuple, être tué, et le troisième jour, ressusciter » (Lc 9,22). Mais s’ils n’ont pas compris grand-chose à ce moment-là (peut-être même rien du tout), tout s’est éclairé à la Résurrection : La transfiguration devait préparer les disciples à surmonter le scandale de la crucifixion en annonçant déjà la Résurrection – où Jésus devint « autre » une deuxième fois pour de bon.
Voilà pourquoi nous retrouvons cet épisode de la Transfiguration sur notre chemin chrétien de carême. Le parcours proposé par Entraide & Fraternité et que nous suivons en unité pastorale avec « Monsieur Crayon » nous invite cette semaine à nous émerveiller.
Tant de choses et d’événements aujourd’hui nous tirent vers le bas, nous « plombent » ; nos yeux, au lieu d’être remplis de lumière, sont souvent éteints, atones. Comme les disciples Pierre Jacques et Jean, nous sommes sidérés : nous ne comprenons plus ce qui nous arrive, la marche du monde sous semble chaotique, insensée et effrayante ; et nos vies, parfois, sont comme un fétu de paille balloté par le courant d’un fleuve sur lequel nous n’avons pas de maîtrise. L’avenir nous paraît sombre, et la tentation de beaucoup de gens autour de nous est de se replier sur soi.
Or, comme la petite mascotte
du Jubilé de l’Année Sainte, Lucie, chacun de nous est appelé à se
laisser remplir les yeux et le cœur de la lumière qui vient de l’Espérance :
Jésus le premier a traversé les ténèbres de l’angoisse de la souffrance et de
la mort pour nous entraîner dans sa Résurrection. Cette lumière de l’Espérance,
elle rayonne sur son visage de transfiguré, mais aussi sur tous les visages
de ceux qui, comme les familles de Cajamarca au Pérou, « luttent pour la
vie au cœur de la survie » en faisant confiance aux talents, aux
capacités, à la bonté qui est cachée dans le fond des cœurs des gens. Cela nous
entraîne à l’émerveillement !
Autour de nous, il y a
aussi des gens merveilleux et nous en sommes peut-être – non,
certainement : il faut le croire! – ; mais peut-être que nous ne
le voyons pas assez, et cela suffit hélas pour nous laisser aller parfois à la
déprime, au pessimisme, au défaitisme et à la peur.
Est-ce qu’en
couple, en famille, vous vous émerveillez encore l’un de l’autre ? Est-ce que
vous vous le dites ? « Tu es merveilleux-se, et je m’émerveille
chaque jour de toi… » Ou bien au contraire relevez-vous tout ce qui vous
déçoit, vous rebute ?
Dieu s’est bien émerveillé de
sa création, jour après jour : « Et Dieu dit : cela est bon,
très bon ! » (Gen 1) Je pense que Dieu continue de s’émerveiller aujourd’hui
de chacun de nous, au-delà de nos pauvretés humaines et de nos limites !
Et il nous prépare au grand émerveillement de notre future rencontre avec Lui
pour l’éternité.
L’émerveillement ne fait pas l’impasse sur les difficultés, les deuils, les souffrances. Mais il les transcende – il les transfigure, en ce sens qu’il y apporte la force de l’Espérance qui permet de continuer d’avancer. J’ai lu cette phrase dans la notice nécrologique d’une sœur bénédictine décédée à 94 ans à l’abbaye Paix Notre-Dame de Liège, Sr Marie-Cécile : « La bienveillance, la sagesse, l’émerveillement, la simplicité, l’humour sont des qualités qui lui ont permis de traverser lucidement et courageusement ses dernières années de dépendance. »
Si les disciples Pierre Jacques et Jean ont été émerveillés sur la montagne du Thabor lorsqu’ils ont vu Jésus transfiguré, à mon avis cela a dû passer d’abord par une frayeur sacrée ; c’est d’ailleurs ce qui est relaté par Luc : « Ils furent saisis de frayeur » (Lc 9,34). Cependant, après la Résurrection, ce souvenir s’est imprimé dans leur cœur comme une lumière merveilleuse qui ne s’est jamais éteinte, comme un moment d’intense intimité avec celui qui les a choisis comme ses amis, le Christ Jésus. Pour vivre un réel émerveillement, nous devons nous faire proches de Jésus comme nous devons nous faire proches les uns des autres : Il n’est pas possible de s’émerveiller à distance ! Mais c’est dans des moments de communion et d’intimité, d’amitié vraie, que chacun peut découvrir et révéler sa lumière à l’autre. Ne nous arrive-t-il pas aussi de recevoir à certains moments inattendus la grâce d’un visage, qu’il soit d’un enfant, d’un vieillard ou d’une fille, et d’entrevoir comme disait si joliment, il y a de nombreuses années déjà, le Pape Paul VI, “le merveilleux champ de lumière qui s’étend dans le mystère de chaque vie” ?
Jésus, sur le Thabor, s’est
émerveillé de ce que le Père lui communiquait de Lui, et cela l’a transfiguré. Ainsi,
la lumière descend-elle en cascade de Dieu jusqu’à nous, quand nous nous
laissons émerveiller par Jésus, par l’autre, et cela passe par un face à
face, visage à visage où l’amitié devient notre Thabor.
Cher frère, chère sœur, as-tu un “Mont Thabor” ?
As-tu toi aussi ce lieu de silence, de prière, d’intimité dans ta maison, ton appartement, ton environnement, un lieu où toi et Dieu vous vous sentez bien, ensemble ? Où vous pouvez vous émerveiller l’un de l’autre ? Un lieu, un petit coin où ta relation d’amitié avec ton Papa d’Amour te transforme, te métamorphose comme Jésus, avec Lui ?
Dans ce monde dur et sidérant qui est le nôtre aujourd’hui, de quoi, de qui peux-tu t’émerveiller ? Qu’est-ce qui pour toi est source de lumière et d’Espérance au-delà de la noirceur et des menaces du mal ? Comment vas-tu cultiver cet émerveillement durant ce carême ? Avec qui
« Un
soir, sortant d’un appartement, l’ami qui venait de m’accueillir m’accompagna
sur le pas de la porte. Nous fûmes tous deux saisis par la clarté rose du ciel.
Le soleil avait déjà disparu, mais il illuminait encore tout l’horizon. La
surprise était d’autant plus grande que pendant la journée, il avait beaucoup
plu, que les nuages avaient écrasé la terre, sans le moindre coin de ciel bleu.
“J’ai bien fait de t’accompagner, dit l’ami, ma vie est toute éclairée”. Ce cri
du cœur m’a touché. Et c’est vrai, il suffit de regarder autour de soi, en soi,
pour se rendre compte combien parfois la vie pesante, lourde à porter, grise,
peut être subitement illuminée par un simple rayon de soleil. » (Bernard Molter)
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