A DIM 25 - Le comparatif

 

Chers frères et sœurs, êtes-vous déjà arrivé en retard à une réunion, ou au travail, ou à l’école ? Mais alors, vraiment très en retard… ? On n’est pas très à l’aise, n’est-ce pas !

Et on s’attend à être réprimandé, à subir une semonce ou une engueulade…  Mais imaginez alors qu’au lieu de vous réprimander, le chef, le patron, l’instit, il vous accueille avec un grand sourire et vous présente même un siège : « Venez donc, soyez le bienvenu, je suis très heureux que vous soyez là ! » 

… Heuuu, vous serez pour le moins surpris : Qu’est-ce que c’est que ce maître qui au lieu de vous réprimander et de vous punir ou de vous retenir votre salaire, vous traite de la même manière que si vous étiez arrivé pile à l’heure ?  Sûr que la fois suivante, tous les autres qui font partie de la même boîte s’arrangeront pour arriver eux aussi en retard !


Dans le même ordre d’idées, voilà donc une parabole, celle des « ouvriers de la 11è (ou dernière) heure » qui a fait couler beaucoup de salive, d'encre, et fait s’énerver beaucoup de braves chrétiens. En effet, constatons-le encore une fois, la façon de procéder du maître de la vigne est bien étrange ! On dirait qu’il fait exprès de susciter la jalousie des ouvriers les plus courageux, ceux qui ont travaillé pour lui pendant une longue journée, en distribuant les salaires à partir des derniers embauchés et en donnant autant à ceux-ci, les derniers, qu’aux premiers ! (S’il l’avait fait en ordre inverse, en commençant par les premiers, ceux-ci seraient peut-être partis, tout contents de leur pièce, sans attendre la suite…)

Pourquoi donc Jésus met-il en scène un comportement aussi insensé, celui du maître de la vigne qui, rappelons-le, représente Dieu : Dieu peut-il être injuste ? Je me le suis parfois demandé, en voyant des mauvaises personnes prospérer, être riches et en bonne santé, alors que de braves gens courageux et fidèles attrapaient malheur sur malheur, devenaient malades ou voyaient tout s’écrouler.

Cette question de la justice de Dieu est souvent posée, et notre parabole d’aujourd’hui la fait encore une fois ressortir. Si Dieu fait exprès de donner autant à ceux qui sont fidèles et se cassent le dos pour le servir, qu’à ceux qui se tournent vers lui au dernier moment et n’ont jamais mis un pied à l’église ni été au catéchisme, ce Dieu ne serait qu’une sorte de manipulateur pervers – ou un fou.  Analysons ensemble de plus près ce texte ; nous y rencontrerons peut-être un autre visage de Dieu.

Remarquons d’abord dans la parabole que le maître ne lèse en rien les premiers embauchés : il leur donne exactement ce qu’il leur avait promis. Là où ça fait problème, c’est quand il donne la même chose aux derniers qui n’ont pas peiné ni porté le poids du jour. C’est un homme très généreux, incontestablement, mais cette générosité est quand même incompréhensible… à moins que cette récompense-là, ne soit pas une récompense qu’on peut fractionner : Qu’est-ce que Dieu peut offrir qui ne soit pas divisible, à votre avis ? Eh ben oui, bien sûr : son bonheur éternel ! Le bonheur qui est justement de le servir, la joie d’être en communion avec lui, de faire partie de son Eglise, et plus tard, de l’Eglise du ciel. La récompense, elle est déjà dans le fait d’être appelé et envoyé : « Va, toi aussi, à ma vigne ! » Et les derniers venus sont tous joyeux d’être choisis, alors qu’ils ne s’y attendaient sans doute plus…

Ok ; mais il y a quand même encore un problème sur lequel Jésus met le doigt : C’est le regard noir des autres, les premiers. Ceux qui se sont fatigués depuis le début et qui aimeraient quand même avoir de la reconnaissance, qu’ils estiment mériter plus que les derniers arrivés. C’est tellement humain !    

De fait, c’est bien la jalousie qui empoisonne le regard des premiers. Ils se comparent aux derniers, au lieu de se réjouir pour eux. Ils calculent au lieu d’accueillir. Ils hiérarchisent au lieu de fraterniser. La comparaison (et donc la convoitise) est depuis l’origine du monde ce qui pourrit la fraternité entre les hommes, l’amitié entre l’homme et Dieu. Adam et Ève, dans le jardin d’Eden, voulaient « être comme des dieux » par captation et non par grâce. Après eux, Caïn se compara à Abel, en fut jaloux et le tua. Puis Israël s’est comparé aux autres nations et a voulu comme elles un roi, pour son malheur. Etc.

Cela nous fait penser aussi au fils aîné de la parabole du fils prodigue, se comparant à lui et jaloux lui aussi du veau gras qu’il n’a jamais eu. Même les apôtres se comparent entre eux : « qui est le plus grand ? » (Mt 18,1) – et Jésus plaça au milieu d’eux un enfant, pour les détourner de toute comparaison, en ajoutant : « Vous voulez être les plus grands ? Eh bien voilà, celui qui se fera petit comme cet enfant, c’est celui-là est grand dans le Royaume des cieux. »

Le comparatif


La comparaison avec les autres est une maladie qui touche beaucoup de monde, et ça commence dès l’enfance. Dans une famille, une fratrie, ne se compare-t-on pas souvent ? « Il a plus que moi », « c’est toujours elle le chouchou », « C’est moi le plus fort, le plus beau… »…

Et nos communautés chrétiennes ne sont pas épargnées par cette maladie. Normal, puisqu’elles sont composées d’humains. On se compare, et donc on envie ou on dénigre. On estime avoir plus de mérite, et donc plus d’importance que d’autres, et on monopolise les responsabilités qui deviennent des pouvoirs, des chasses gardées… J’ai connu des paroisses où, lors de la messe, je voyais des éclairs passer entre le jubé où se trouvaient l’organiste avec la chorale, et le chœur où officiaient le célébrant et les animateurs de la liturgie ! Conséquence aussi de cette mentalité : On a du mal à accueillir des nouveaux avec leurs idées et façons de faire qui risquent de nous bousculer dans nos petits cercles et nos habitudes…

Le comparatif est l’autre nom du péché. Recevoir la vie éternelle demande donc de renoncer au comparatif, ce qui nous libère de la jalousie, du calcul, de l’aigreur, du marchandage. Vivre la gratuité : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement (ce que vous êtes, ce que vous avez) » (Mt 10,8) - « Qu’as-tu, que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifies-tu comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1 Co 6,7)

En fait, la logique de Dieu est une logique de ‘communion’ (ou de gratuité), alors que celle des hommes est une logique du ‘donnant-donnant’, une logique du calcul. Je gagne quoi si je fais ceci ou cela ?

La logique communionnelle de Dieu est aussi représentée par un détail dans la parabole :

Au début de la parabole, le maître de la vigne cherche des ouvriers. À la fin, ces ouvriers deviennent des amis : « mon ami, je ne suis pas injuste envers toi… ». Il suffit de répondre à son appel, à n’importe quelle heure, pour devenir l’ami de Dieu. Jésus fait ainsi : il appelle des disciples à le suivre, il en fait des apôtres, des serviteurs, et puis finalement des amis. « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis » (Jn 15,15).


Le but de tout engagement chrétien est bien celui-ci : l’amitié avec Dieu. Le vrai salaire est dans cette intimité partagée. Réduire cela à une relation marchande, c’est couper le lien de communion avec Dieu : « Prends ce qui te revient, et va-t’en ! ».

Le vrai ami se réjouit de son ami, et non des avantages qu’il peut en tirer. Le salarié reste dans un rapport de subordination à son employeur, alors que l’ami est à égalité avec son ami.

=>Voilà donc un autre enjeu de la parabole : passer d’ouvrier à ami, de salarié à familier, de la récompense à la gratuité, du mérite à la grâce.


En tout cas, on voit que Dieu le premier est en quête de l’homme. C’est lui le premier qui court après et sollicite : À chaque heure ou presque de la journée, le propriétaire de la vigne part embaucher. Bizarrement, il ne fait pas passer d’entretien d’embauche : il ne questionne ni les uns ni les autres sur leurs compétences, leurs capacités : TOUT LE MONDE EST BIENVENU, ATTENDU, DÉSIRÉ, À N’IMPORTE QUEL MOMENT, COMME IL EST. Comme dans la parabole du marchand de perles, l’essentiel est de se laisser chercher et trouver par un Dieu prêt à tout pour partager sa vie avec l’homme.



Nous qui sommes croyants, amis de Dieu, frères et sœurs, oublions toute jalousie, renonçons au comparatif, et rendons grâce au Seigneur pour cette chance que nous avons d’être appelés, nous tous, chacun.e, petits ouvriers du Royaume de l’Amour, appelés à la vie éternelle !

Et comme je le pense de plus en plus en vieillissant, je suis certain que lorsque j’aurai fait le bilan de ma vie, pauvre de moi, j’arriverai devant Lui les mains vides, car je n’aurai rien pu faire que ce qu’il m’a été donné de faire, par Sa grâce !  « C’est par pure grâce que vous êtes sauvés. » (Eph 2,8)

Amen, merci Seigneur !

« Tous les chrétiens sont, pour ainsi dire, appelés à la onzième heure ; ils obtiendront, à la fin du monde, le bonheur de la résurrection avec ceux qui les ont précédés. Tous le recevront ensemble » (Saint Augustin, sermon 87 : les heures de l’histoire du salut).

 

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