A DIM 29 - Rendez la monnaie !
« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ».
Dans le contexte politico-religieux d’aujourd’hui, cette célèbre phrase
du Christ résonne de façon particulière.
Les conflits comme nous en connaissons actuellement au Proche-Orient
entre le peuple palestinien et Israël, ont souvent une connotation en partie
religieuse – c’est en tout cas le cas du Hamas qui se revendique de l’islamisme
radical jihadiste à l’image de Daesh, mais aussi de la frange fondamentaliste
juive orthodoxe actuellement au gouvernement en Israël, pour qui les promesses de
Dieu au « peuple élu » dans la Torah justifie l’annexion de tout le
territoire.
L’amalgame entre religion et politique ne ferait donc que nourrir et envenimer le conflit, en entretenant l’injustice et en lui donnant des justifications divines absolues. C’est certainement un des éléments à prendre en considération.
Il suffirait donc dans ce cas de citer comme une sentence le fameux : « rendez
à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » pour faire
exploser cet amalgame et renvoyer les partisans religieux dans leurs sacristies…
et ainsi désamorcer une des causes de la guerre.
C’est évidemment un peu trop simple.
Beaucoup de commentateurs – et non des moindres – ont
voulu trouver dans cette phrase de Jésus le fondement d’une laïcité ‘à la
française’, avec une séparation nette des deux pouvoirs, politique et
spirituel. En Belgique particulièrement, le fait religieux est de plus en plus
cantonné dans la sphère privée et limité au domaine du culte. On conteste même
aux évêques le droit, la faculté d’avoir une opinion et d’intervenir dans les
débats publics, par exemple lors des discussions parlementaires concernant le
début et la fin de la vie.
Si la laïcité de l’Etat est une bonne chose en soi, elle doit
pourtant permettre à toutes les voix, toutes les sensibilités de s’exprimer
– à l’exception bien sûr des discours de nature raciste ou prônant la haine
vis-à-vis des minorités quelles qu’elles soient.
Si l’on ôtait à quelqu’un ce droit à l’expression publique simplement
parce que sa référence est marquée par une source de foi, ou qu’il appartient à
un courant de pensée, une organisation religieuse telle qu’une Eglise –
respectueuse des droits humains, ce serait évidemment un abus de pouvoir, une
entorse grave à la démocratie.
Je pense donc qu’on ne peut pas se servir du « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » pour remballer les croyants et fermer le bec aux cathos ou aux autres religions :
D’abord,
parce que cette interprétation est anachronique : à l’époque de Jésus, la question d’une séparation
entre le politique et le religieux ne se pose pas. Elle est même totalement impensable.
Il faudra des siècles – et même l’avènement des Lumières au XVIIIè S. pour que cette
idée prenne forme.
La controverse dans notre Evangile n’est donc pas un débat
sur la laïcité, ni sur la légitimité d’un impôt. D’ailleurs, vous pouvez
toujours essayer, au lieu de remplir votre déclaration, de sortir la phrase :
« Rendez à l’Etat ce qui est à l’Etat et à Dieu ce qui est à Dieu »,
cela ne marchera pas ! D’ailleurs aussi, appliquée à la lettre, cela
voudrait dire que vous devriez rendre au fisc toutes les pièces et les billets marqués
« Etat belge » ou avec le portrait de nos souverains…
La visée du texte évangélique est plus simple : le piège tendu à
Jésus porte sur la résistance ou l’obéissance à l’occupant qui était Rome à
l’époque, et non sur la séparation des pouvoirs. Et là évidemment c’est un
terrain très dangereux pour Jésus : selon sa réponse, il est soit dénoncé
comme agitateur et éliminé, soit discrédité auprès de ses disciples et
partisans s’il se soumettait à l’empereur César qui se prétend être dieu.
Jésus s’en sort avec adresse, subtilité. Comme d’habitude, on est
surpris par la facilité avec laquelle il clôt le bec à ses adversaires. Mais s’il
est sorti du piège, il en profite en même temps chaque fois pour donner un enseignement
qui nous soit encore profitable aujourd’hui. Quel est-il ?
L’argent est au centre de la dispute : « Montrez-moi la monnaie de l’impôt ». Tiens : pourquoi Jésus ne sort-il pas lui-même une pièce de monnaie de sa poche ? Parce que Jésus « n’a pas une pierre où reposer la tête » (Lc 9,58). Parce qu’il a choisi de vivre littéralement sans argent sur lui, sans argent à lui. Il n’a pas un sou en poche. Car il savait qu’avoir toujours sur soi cette image de César gravée dans l’argent finit par rendre dépendant, comme une drogue, ou plutôt comme une idole. On finit souvent par idolâtrer ce qu’on a constamment sous les yeux, que ce soit son smartphone, sa carte bancaire, son ordinateur ou sa montre. Nos objets nous possèdent, bien plus que l’inverse. Nous finissons par ressembler à ce que nous contemplons. Si c’est une icône, elle nous conduit vers Dieu. Si c’est une idole, elle nous déshumanise et nous nous résignons à notre servitude volontaire.
Les pharisiens et les Hérodiens sont du côté du pouvoir et de
l’argent : ils ont toujours leur dieu dans la poche. Jésus lui n’a pas un sou
en poche : son Dieu est ailleurs.
La seule monnaie que Jésus a toujours sur lui est l’image de Dieu, qui resplendit sur son visage en plénitude, et qu’il scrute amoureusement sur le visage de chaque rencontre. Car si Dieu a créé l’homme à son image (icônos en grec), l’homme est l’icône de Dieu. Dieu a fait l’homme à son image et à sa ressemblance (Gn 1,26-27;5,1). C’est ce qui fonde son inaliénable dignité.
Si payer l’impôt à César est lui rendre son image, rendre à Dieu ce qui est à Dieu est alors reconnaître son image en chacun, et la laisser resplendir sur nous-même.
Comment nos familles, nos communautés, notre Eglise qui se veut synodale,
communion d’amour, seraient-elles possiblement changées ?
Voilà comment rendre à Dieu la monnaie de sa pièce : voir en chacun, qui qu’il soit, même la personne la plus abîmée, son icône, son image divine, et lui faire prendre conscience de sa dignité et de sa vocation en l’aimant et en le servant comme mon frère, ma sœur, mon égal !
Je prie pour que cette prise de conscience ait lieu en moi, en
nous, en tous.
Ne rendez pas la monnaie chez vous comme avant… !
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