C DIM 24 - Les prodigues et la crise

 24ème DIMANCHE ORDINAIRE – 11 SEPTEMBRE 2022

Les prodigues et la crise



On vit une période fortement anxiogène. On entend des déclarations dans tous les sens, comme : « un tournant historique est à l’œuvre ; une crise énergétique, sociale et probablement bientôt politique sans précédent ; les conséquences du réchauffement climatique vont être catastrophiques, on ne peut plus continuer comme cela, ce n’est plus possible ; quel avenir pour nos enfants et nos petits-enfants ; 40 % des emplois existants pourraient disparaître dans les 10 ou 15 ans qui viennent ; il ne sera plus possible de se chauffer durant les hivers prochains ; la guerre pourrait s’étendre ; la Belgique, l’Europe est potentiellement en situation de faillite… »

C’est sûr qu’on est à un tournant. Le monde est à un tournant, et pour reprendre l’expression entendue quelque part, on est déjà demain.

S’il y en a encore quelques-uns pour se voiler la face et prétendre que « tout ira mieux demain » comme chantait Anny Cordy, ou pour tirer les marrons du feu comme les partis extrémistes, les Trump de tous poils qui essaient de surfer sur la vague de mécontentement pour imposer leur vision manipulatrice et faire le plein de voix, n’empêche que la situation a de quoi inquiéter fortement toutes les cigales d’hier, et même les fourmis travailleuses et économes… !

Quand on est confronté à une catastrophe, on en cherche généralement les causes. On peut dire par exemple que les dirigeants, ceux qui avaient en main les leviers de l’économie, de l’énergie, n’ont pas fait leur travail. On peut fustiger les gouvernements, les commissions européennes, les acteurs de l’industrie, et on aura bien sûr raison. D’ailleurs les partis politiques se déchirent déjà joyeusement en se rejetant mutuellement les responsabilités.



Mais la cause profonde du marasme et de la déroute actuels est à chercher plus loin : pour moi, frères et sœurs, la vraie cause, c’est qu’on a depuis trop longtemps adoré le « veau d’or » (cf la 1ère lecture du Livre de l’Exode) ! On s’est tous prosternés devant le dieu argent capitaliste, la loi du marché, qui fournissait à tout le monde ou presque : confort, consommation facile, voyages, amusements de toutes sortes et en quantité illimitée, à condition de permettre à une petite classe de nantis de faire des bénéfices plantureux et de se remplir les poches. Seulement, il fallait bien fermer les yeux sur quelques inconvénients : pollution de l’air, de la terre et de l’eau, surexploitation des ressources, mise en esclavage d’enfants et de femmes pour produire et extraire dans des mines, destruction des forêts, de la biodiversité, etc. Et, une dépendance de plus en plus croissante aux énergies fossiles, pétrole, gaz, charbon, dépendance dont on paye le prix actuellement.


En fait, on a vécu durant des décennies comme le « fils prodigue » de la parabole, captant l’héritage commun du Père, c’est-à-dire de tous les habitants actuels et futurs de la planète, pour le dilapider en une vie de plaisirs ! Nous en avons tous profité. Et on s’est tu, on n’a pas voulu voir les conséquences. On ne s’est pas levés ensemble pour dire : « stop ! »

Le fils prodigue a quitté le Père, il a oublié la « maison commune » où tout le monde est sur le même pied d’égalité et où tout appartient à tout le monde (« mon enfant, tout ce qui est à moi est à toi » Lc 15,32) et il a privatisé l’héritage en réclamant sa part. En plus, nous, les prodigues d’aujourd’hui, on a même bouffé la part des autres ! On s’est bien marré…

Et voilà qu’arrive la famine. La crise. On va se trouver de plus en plus dans le besoin, comme le premier fils, et peut-être qu’on mangera un jour la nourriture des porcs.

Allons-nous enfin rentrer en nous-mêmes, réfléchir sur notre comportement, cesser de se conduire en propriétaires, demander pardon à la Création et enfin revenir vers la maison commune, chez le Père ?

Ou allons-nous continuer à adorer le veau d’or et mettre le bien-être personnel au-dessus de tout en oubliant la solidarité indispensable entre tous les humains, toutes les créatures ?

Irai-je dire : « Père, j’ai péché contre toi et contre la création, je ne suis plus digne d’être appelé fils de la terre et de notre maison commune » ?

Ou me croirai-je encore trop vertueux, comme le second fils de la parabole, celui qui a toujours obéi à son Père, respecté les règles, mais comme un employé, sans amour pour la « maison commune ». Jaloux de ce qu’il n’a pas les moyens de faire la fête comme les autres, il rumine et ne se rend pas compte que tous les biens du Père, la nature, le soleil, le vent, le ruisseau, la création toute entière, est à sa disposition, une richesse immense mais qui appartient à tous. Il critique les prodigues qui abusent égoïstement et sans discernement de leur richesse en volant dans des jets privés, en faisant des croisières polluantes et en gaspillant les ressources, mais ce fils jaloux se cache derrière les excès des autres pour ne pas vouloir se changer lui-même… Lui aussi se coupe de la vraie joie.

  

Frères et sœurs, aujourd’hui, l’état de la terre, de la « maison commune », nous envoie des signaux forts. Arrêtons de renvoyer la responsabilité de ce qui ne va pas et le poids de la faute sur les autres, on a chacun sa part de responsabilité, si petite soit-elle. En fait, elle n’est pas si petite que ça, car comme je le disais, on a tous bien profité du système, jusqu’à ce que cette folle machine capitaliste se grippe et s’autodétruise, après avoir ravagé la planète.


Tant que nous ne reconnaissons pas chacun et chacune que nous sommes la brebis perdue, le fils perdu de l’Evangile
 qui a besoin de retrouver le sens de son existence en se convertissant à l’Amour au lieu du veau d’or, nous ne connaîtrons pas cette joie extraordinaire, la joie de se savoir les fils et les filles bien-aimés du Père, sœurs et frères de tous les habitants de la « maison commune » de la création.

« Ainsi je vous le dis : Il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. » (Lc 15,10)

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