C PENTECÔTE - La soupe à l'Esprit Saint

 5 juin 2022 - PENTECÔTE C



Connaissez-vous la « soupe à l’Esprit-Saint » ?

Si vous allez en vacances aux Açores, cette ancienne possession du Portugal, - par exemple à Ponta Delgada sur l’île de São Miguel -, le dimanche de Pentecôte, il y a une grande fête dans la ville. Le lieu des cérémonies est une petite chapelle, dédiée comme presque toutes les chapelles de l’archipel, non pas (comme chez nous) à la Vierge Marie, mais, curieusement, à l’Esprit Saint !

C’est là qu’a lieu chaque année la distribution de la soupe d’Espírito Santo, avec de la viande et des légumes, destinée aux pauvres et aux isolés. Bel exemple de l’esprit communautaire qui règne dans l’archipel ! Et de spiritualité trinitaire, qui est tout de même fort absente chez nous.

En fait, l’Esprit Saint est le grand oublié de la spiritualité et du culte catholique, redécouvert seulement il y a quelques décennies à la faveur du Renouveau charismatique inspiré du Pentecôtisme américain… Pourtant, il n’a jamais été absent de la plus authentique tradition chrétienne en Occident comme en Orient. En témoigne la séquence de la Pentecôte que nous venons de prier avant la proclamation de l’Evangile - bizarrement elle le précède alors que le nom « séquence » veut dire « suite ».

On n’a conservé que quatre séquences dans le cycle liturgique des fêtes chrétiennes, ce qui en souligne l’importance : Pâques, Pentecôte, Fête-Dieu, Notre Dame des douleurs. Elles ont pour but de résumer et d’actualiser le contenu célébré, avec les mots de sa culture, de son génie poétique, pour le rendre accessible au plus grand nombre. Autrefois, on mémorisait facilement les séquences en les chantant, et la liturgie devenait ainsi une catéchèse simple et active.

Notre séquence de la Pentecôte, le Veni sancte Spiritus, est moins connue que le Veni creator avec lequel elle est souvent confondue. Le Veni creator est chanté à chaque ordination, ce qui souligne le lien entre l’Esprit Saint et les ministères dans l’Église. Le Veni sancte Spiritus est assez différent. Si vous voulez bien, j’aimerais faire parler ce texte de plusieurs siècles pour en exprimer le jus spirituel pour notre prière et notre vie de foi.

« Viens, Esprit Saint, en nos cœurs et envoie du haut du ciel un rayon de ta lumière. »

Première chose : Dans cette séquence, on tutoie l’Esprit Saint ! L’Église s’adresse à lui en lui parlant comme à une personne. Or les représentations catholiques de l’Esprit ne nous le montrent jamais que comme une animal (la colombe) ou une chose (le feu, les langues, le souffle, les rayons de lumière etc.).

Il a fallu la redécouverte de l’icône de la Trinité de Roublev en Occident (et le Renouveau charismatique) pour que les catholiques se réhabituent à prier l’Esprit en personne. Et encore, ce n’est pas gagné ! C’est évidemment le culte marial qui a absorbé pourrait-on dire l’énergie normalement dirigée vers l’Esprit… Mais il ne faudrait pas opposer les deux : le culte à l’Esprit Saint en tant que personne divine, et la vénération de la Vierge Marie, la Mère du Christ. En effet, prier Marie et la vénérer signifie aussi rendre hommage au travail de l’Esprit en elle, de sa conception à son Assomption en passant par son Annonciation. Rappelons-nous également que l’Esprit est féminin en hébreu (ruah) : prier l’Esprit, c’est s’adresser à la part féminine qui en Dieu prend soin de ses enfants comme une mère.

Fêter Pentecôte, c’est donc tutoyer l’Esprit pour lui parler comme à une conseillère, une mère, une compagne, « plus intime à moi-même que moi-même » (saint Augustin). Chanter la séquence de Pentecôte, c’est s’adresser à l’Esprit en personne pour lui demander son amitié, sa présence, le lien vivant de communion avec lui qui va féconder toutes nos activités. 

Ensuite, il y a les noms donnés à l’Esprit Saint dans la séquence : « Père des pauvres », « Dispensateur des dons », « Consolateur souverain », « Hôte très doux ».

Père des pauvres : Surprenant ! On est plus habitué à utiliser ce nom de père pour Dieu première personne de la Trinité ! Comme quoi la paternité est une qualité bien partagée entre les Trois.

Les pauvres dans la Bible sont ceux qui n’ont pas d’autres ressources que Dieu pour s’en sortir : pas de fortune, pas d’amis capables de les sauver, pas de défenseur pour garantir leur droit. Est « père des pauvres » celui qui prend soin d’eux, leur fournit concrètement de quoi survivre, les rétablit dans leur droit, leur honneur, leur dignité. C’est Dieu lui-même qui incarne ce titre au plus haut point : « Père des orphelins, défenseur des veuves, tel est Dieu dans sa sainte demeure » (Ps 68,6). « Tu es le Dieu des humbles, secours des opprimés, protecteur des faibles, refuge des délaissés, sauveur des désespérés » (Jdt 9,11).

Attribuer ce rôle à l’Esprit revient à exprimer que le salut des pauvres est dans les liens de communion qui les unissent à Dieu, cette communion vivante nourrie par l’Esprit qui les rend plus forts, leur inspire les paroles et les actes pour se défendre, le courage pour résister…

Prier l’Esprit comme père des pauvres nous prépare à désirer ce lien de communion, en reconnaissant que seuls nous ne pouvons rien. Remède à l’autosuffisance, désir de vivre en communion, le Veni sancte Spiritus nous rend disponibles pour expérimenter l’action du père des pauvres en nous.

dispensateur des dons : On pense évidemment aux dons de l’Esprit dont on trouve des listes chez Isaïe (Is 11,1-3) puis chez Paul (1Co 12,4-7), et qu’on a mémorisés dans la tradition sous la forme des 7 dons: la sagesse, l'intelligence, la force, la science, le conseil, la piété et l’amour révérentiel de Dieu.

Ces dons manifestent la présence de l’Esprit en nous. Et finalement nous apprenons à passer des dons au Donateur, des grâces offertes à l’Esprit qui en est la source. Jésus nous dit : « si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » (Lc 11,13).

- consolateur souverain : C’est Isaïe encore qui est évoqué dans ce titre : « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu… » (Is 40,1). N’ayons aucune honte à désirer être consolé, cajolé par l’Esprit de Dieu comme un enfant sur les genoux de sa mère. Souvenez-vous que l’Esprit est féminin… Mais loin de n’être qu’un repli puéril et narcissique sur soi-même, prier l’Esprit consolateur nous fait aussi ressentir les besoins des autres qui font partie de la même humanité souffrante que nous-mêmes, et suscitent en nous également le désir de les réconforter et de consoler par notre empathie et nos gestes de solidarité. Comme l’écrit le psychiatre Christophe André dans son livre-témoignage : « Voilà six ans, je suis tombé malade, gravement. Comme toutes les personnes menacées par la mort, j'ai trouvé que la vie était belle. Et j'ai découvert que j'avais un besoin immense de consolation. J'ai songé à ceux de mes patients qui revenaient me voir, même quand je ne pouvais les guérir. Et j'ai compris que je leur apportais peut-être alors une douceur, une fraternité, qui les aidait : une consolation. Bien plus qu'un réconfort passager, la consolation est un moyen de vivre et de faire vivre... »

- hôte très doux : L’Esprit est celui qui fait passer de l’extérieur à l’intérieur. De la pratique extérieure de la Loi à la pratique intérieure de l’amour selon Dieu : « aime et fait ce que tu veux » (Augustin). Car l’Esprit habite au plus intime de notre être, plus intime à moi-même que moi-même. Il n’est pas dans les textes, dans les règlements, dans les institutions figées, mais dans le mouvement intérieur, dans la création sans cesse renouvelée, dans la fidélité capable d’inventer et de faire du neuf. Appeler l’Hôte très doux nous fait entrer dans les vues de Dieu, son plan d’amour, et abandonner nos volontés propres qui figent et durcissent les projets que nous échafaudons sans Lui (et parfois contre Lui), au lieu d’y apporter la souplesse et la douceur propre à l’Esprit Saint.

Alors, il y a une série de verbes que la séquence aligne : « Viens remplir, lave, baigne, guérit, assouplit, réchauffe, rend droit, donne… »

- Le premier verbe « viens remplir… » est lié à la Pentecôte : « Tous furent remplis d’Esprit Saint…» (Ac 2,4). L’Esprit de Pentecôte a horreur du vide ! Le vide de sens, le sentiment de vide qu’engendre un travail inutile, le vide d’un couple désuni, le vide d’un cœur qui s’attache trop aux choses et pas assez aux gens etc.

- les 3 verbes suivants sont plutôt liés au baptême où l’Esprit lave du péché en nous baignant dans la grâce, ce qui nous guérit de notre inclination à faire le mal.

- Les 3 verbes qui viennent alors sont liés au renouvellement de l’action du baptême dans le travail de la conversion, travail dans lequel l’Esprit excelle ! Assouplir nos raideurs, réchauffer ce qui est froid et mort en nous, rendre droit ce que nous avons tordu par nos calculs et nos stratégies égoïstes compliquées, voilà l’œuvre de l’Esprit en ceux qui le demandent (et le laissent faire !).

- Les 3 derniers verbes sont un seul en fait : donne. L’Esprit est par nature celui qui donne : le Père au Fils et réciproquement, le baptisé à son Dieu, la grâce au baptisé, la vie éternelle dans les sacrements, les 7 dons qui caractérisent la vie dans l’Esprit etc.

On a ainsi une liste de 10 verbes, ce qui évidemment fait penser à la Loi nouvelle qu’instaure l’Esprit : se laisser conduire par Lui qui est communion, lien vivant d’amour entre les êtres…

En cette semaine de Pentecôte, méditons cette belle séquence ; nourrissons-nous joyeusement de la « soupe à l’Esprit Saint » comme font les Açoriens en partageant avec les démunis, et que cette invocation monte de nos cœurs pour prier dans la joie ou la détresse.

Dès à présent, conjuguons-la à la première personne pour prier en « je », face à face :

Viens, Esprit Saint en mon cœur et envoie du haut du ciel un rayon de ta lumière.
Viens en moi, père des pauvres, viens, dispensateur des dons, viens, lumière de mon cœur.
Consolateur souverain, hôte très doux de mon âme, adoucissante fraîcheur.
Dans le labeur, mon repos ; dans la fièvre, ma fraîcheur ; dans les pleurs, mon réconfort.
Ô lumière bienheureuse, viens remplir mon cœur jusqu’à l’intime.
Sans ta puissance divine, il n’est rien en moi, rien qui ne soit perverti.
Lave ce qui en moi est souillé, baigne ce qui en moi est aride, guéris ce qui en moi est blessé.
Assouplis ce qui en moi est raide, réchauffe ce qui en moi est froid, rends droit ce qui en moi est faussé. Donne-moi tes sept dons sacrés, et la joie éternelle.
Amen !

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