B DIM 12 - Sacré coussin !

 

Il est crevé, Jésus ! Toute la journée, explique l’évangéliste Marc, il a enseigné aux foules, du matin au soir. Cela me rappelle des missions auxquelles j’ai participé jadis : c’était merveilleux, enthousiasmant, mais épuisant également. Jésus est épuisé ! Alors, il dit : « passons sur l’autre rive » - du lac, mais aussi : passons à une autre réalité. Il faut se refaire physiquement, psychiquement, spirituellement. Quand on a beaucoup donné, il faut aussi après, recevoir…

Ce que j’aime bien, ce petit détail : ils (les disciples) emmenèrent Jésus « comme il était ». Vidé, sans doute, au point de s’endormir à peine monté dans la barque. Mais, autre détail, il prend la peine de s’installer sur un coussin. Vous me direz : quelle importance cela a-t-il, ce coussin ? Attendez, on va y revenir, vous allez voir !

Donc, les voilà partis pour la traversée. La petite barque tangue déjà un peu sur les flots du lac. Un grain, un coup de vent s’annonce, pas bon ça ! Les pêcheurs que sont les disciples connaissent ces brusques accès de colère du lac, ordinairement calme et paisible… On s’inquiète à bord, mais bon, on continue. Jésus, lui, dort sur le coussin. On lui fout la paix ; il s’est tant donné aujourd’hui, faut qu’il se repose ! Dieu, lui aussi, il s’est reposé le septième jour, après tout le boulot de la création… 


Et puis paf : la tempête est sur eux. Violente. Agressive, comme une méchante bête sifflante et hurlante. Les vagues se jettent sur la barque qu’elles secouent, et cette dernière se remplit déjà d’eau. L’inquiétude des passagers fait place maintenant à la peur – comme dans ce psaume 106 dont nous n’avons lu que quelques extraits, mais qui décrit avec beaucoup de réalisme l’état dans lequel se trouvent ces marins ballotés sur leur coquille de noix par la tempête : ils rendent leurs tripes, littéralement. (Cela vaut la peine d’aller relire le psaume en entier, vous avez jusqu’à l’odeur du vomi, mais aussi celle de la peur qui tord leurs entrailles. Ils sont ravagés par l’angoisse de la mort ! Au point qu’il ne reste plus qu’à pousser un cri désespéré vers le Dieu tout-puissant de leurs pères…

C’est ce que font donc aussi les disciples de Jésus dans la barque. Ils n’en peuvent plus d’écoper, l’eau monte aussi vite qu’ils la rejettent par-dessus bord. Alors ils vont trouver Jésus qui dort sur le coussin à l’arrière, comme un bienheureux. Comment se fait-il que lui n’ait pas été réveillé par tout ce fracas ? Ils le secouent : « Maître, nous sommes perdus ! Cela ne te fait rien ? »
Réveillé, Jésus aurait pu leur rétorquer : Si vous êtes perdus, pourquoi vous tracasser puisqu’il n’y a plus rien à faire ? Laissez-moi dormir !
Jésus, sur son coussin, est d’un très grand calme contrairement aux disciples paniqués. Il se lève enfin et commande au vent et à la mer : « silence, tais-toi ! ». Et, de suite, le vent tomba et les vagues s’apaisèrent. Stupeur – les disciples sont médusés et saisis d’une autre crainte devant l’incompréhensible. « Pourquoi êtes-vous si peureux ? Vous n’avez pas encore la foi ? » Et ils se demandaient qui est celui-là, pour que même le vent et la mer lui obéissent.


 
On pourrait tirer de cet évangile une simple leçon de confiance en Dieu dans les épreuves, en Jésus, et ce serait bien sûr tout à fait juste.   
Nous n’avons pas envie d’accabler les disciples et leur frousse devant tout ce qui peut évoquer la mort : nous leur ressemblons trop. Et le réflexe de crier vers la divinité pour réclamer du secours – et même en la culpabilisant, en la rendant responsable de ce qui arrive: « Cela ne te fait rien Seigneur ? » - ce réflexe nous est trop familier. Soit. Ayons donc la foi. Mais c’est quoi avoir la foi ? Croire aux miracles ? Pour cela, il faut aller à Lourdes, à Medjugorje ou je ne sais pas où… ! Tout le monde attend, espère des miracles. En ce moment, plein de jeunes qu’on ne voit ordinairement jamais dans les églises viennent mettre des bougies ou s’asperger d’eau bénites pour demande la réussite de leurs examens. Les proches des personnes atteintes du cancer font des neuvaines et font dire des messes pour leur guérison – espérée miraculeuse. Pourquoi pas ? Mais, est-ce cela, avoir la foi ?


Je crois qu’il y a encore un autre enseignement dans ce récit, et c’est le coussin qui nous l’offre : le fameux coussin sur lequel Jésus dormait. Vous ne trouvez pas ça bizarre, vous, pour quelqu’un qui n’avait pas de pierre pour reposer sa tête (cf. Mt 8,20) ? – De plus, cette mention du coussin, c’est un hapax, c’est-à-dire la seule occurrence du mot dans toute la bible. Pourquoi l’évangéliste fait-il mention de ce coussin ? S’il s’y trouve, c’est que cela doit avoir une signification, ce n’est pas un détail anodin.
Le Christ dort sur un coussin alors que la tempête fait rage autour de lui. Je risque une hypothèse : Et si Jésus voulait tout simplement nous apprendre à dormir ? Cette hypothèse peut paraître étonnante, mais c’est peut-être moins farfelu qu’on pourrait le croire.

Je fais appel à votre expérience personnelle : Je ne sais pas comment sont vos sommeils, frères et soeurs; je pense qu'on peut trouver dans une assemblée comme la nôtre à peu près toute la gamme des dormeurs, depuis les insomniaques chroniques qui n'arrivent pas à trouver le sommeil -ou seulement après de longues heures qu'ils occupent comme ils peuvent-, jusqu'aux bienheureux roupilleurs qui s'endorment tout de suite d'un sommeil profond avec le sourire aux lèvres et la tête dans les nuages, en passant par ceux qui chaque nuit ont des rêves agités ou passent par des réveils successifs... 

En fait, et les spécialistes du sommeil nous le confirment, pour pouvoir s’endormir paisiblement, nous devons faire confiance : confiance en la vie, dans laquelle nous allons nous réveiller dans quelques heures ; confiance à entrer dans une monde de démaîtrise où nous ne contrôlons plus rien ; le sommeil c’est en effet comme une petite mort – et d’ailleurs les moines qui chaque soir aux complies avant de s’endormir chantent le « nunc dimittis » de Syméon (« maintenant Seigneur tu peux me laisser m’en aller dans la paix car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à tous les peuples… »), les moines le prient comme un abandon de toute leur vie aux mains du Seigneur, comme s’ils ne devaient jamais se réveiller… Je vous conseille cette prière, c’est déjà un excellent moyen pour s’endormir en paix ! 


Donc, s’endormir, c’est un ‘lâcher prise’ qui implique une paix intérieure.  


Mais, et sans doute beaucoup d’entre vous l’avez déjà expérimenté, il n’est pas toujours aisé de trouver le sommeil lorsque nous sommes envahis par des soucis et des peurs, quand une angoisse nous taraude… En fait, il ne nous est pas possible de trouver le sommeil lorsque notre esprit est agité – comme la mer. « Silence, tais-toi ! – mon esprit qui bat la campagne. » C'est la raison pour laquelle je pense que le Christ vient, par son coussin, nous apprendre à dormir - à lâcher prise, c'est-à-dire à comprendre au plus profond de notre âme qu'il n'y a rien à craindre, qu'il n'y a pas lieu de nous laisser envahir par toutes ces forces contraires qui s'agitent en nous. En d'autres termes, il nous suggère de rechercher et de trouver la paix intérieure, celle-là même qui nous permet de garder notre sérénité en toutes circonstances, même au milieu des tempêtes.


Facile à dire, me direz-vous, mais tellement difficile à vivre lorsque nous sommes au cœur de ces tempêtes et que les vagues de l'adversité heurtent et secouent la barque de notre vie. Et ce qui nous perturbe encore plus à ces moments, c’est de découvrir que le Fils de Dieu dort paisiblement alors que nous nous débattons au milieu des tourbillons tumultueux de notre existence. Il ne fait rien d’autre : il dort ! Comme c’est déstabilisant. « Cela ne te fait rien ? » 

On voudrait le secouer pour le réveiller, et envoyer ce foutu coussin à la baille – à la mer. Mais écoutons ce que ce coussin a à nous dire, avant de l’envoyer au diable ou chez Neptune. C’est un peu come si ce coussin nous susurrait à l’oreille : « Pourquoi t’agites-tu, mon ami ? Regarde-moi : il n’y a rien à faire ! Tu te tracasses en cherchant des solutions à tes problèmes, des actions qui peuvent te sauver. Et cela perturbe ton sommeil, cela t’empêche de dormir. En fait, si Jésus a voulu s’endormir sur moi, le coussin, c’est pour t’apprendre à tout abandonner dans les mains du Père et à fermer tes deux oreilles au bruit de la tempête. Ce n'est pas la tempête en elle-même qui t'empêche de dormir et de trouver la paix, c'est le bruit qu'elle fait (dans ta tête). ce bruit est nocif car il engendre la peur; il te fait fantasmer des catastrophes, ou amplifie les désagréments que tu redoutes.

Or, pour trouver le calme, il suffit de desciendre plus profondément, sous la surface agitée de la mer au plus profond de ton coeur où se trouve DIEU. Dieu est toujours là, il est au fond de l'océan de notre vie. Et il sait toutes choses, pas besoin de discours : simplement, tu descend en lui. 

"Nada te turbe, nada te spante, solo Dio, basta" disait Thérèse d'Avila. "Que rien ne te trouble, que rien ne t'épouvante, tout passe : Dieu seul suffit ! Arrête de te torturer l'esprit en cherchant des solutions : ne fais rien, dit le coussin, mais fais comme Jésus - lui qui dort car il sait que le Père est en lui, et lui dans le Père. 

Dieu est toujours là, bien plus présent que nous aurions pu l’imaginer, sous les tempêtes de nos vies. Du coup, remplis de confiance, nous pouvons nous endormir comme un enfant le fait dans les bras de ses parents. N’est-ce pas merveilleux de pouvoir se dire : « tu es là, Seigneur », et de s’endormir dans les bras de Dieu, tout en confiance et en paix car nous savons qu’il est au-dessous de tout ce qui nous bouscule, au-dessous de tout ce qui nous encombre, au-dessous de tous les vents de nos peurs et de toutes les vagues de nos angoisses… !

Si demain tu te réveilles, la tempête sera peut-être passée (elle finit toujours par passer), ou bien une solution simple te sera venue à l’esprit en dormant, parce que ton cœur était apaisé en Dieu, en profondeur.
… Et quoi qu’il arrive, si tu ne devais pas te réveiller, si la mort venait te chercher : Sans rien vouloir d’autre que rester en Dieu, il ne te resterait alors plus qu’à passer sur l’autre rive, endormi à ton tour sur ce coussin divin ! 


« En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit. » Amen.



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