A DIM 06 - En même temps...

Homélie pour le 6° Dimanche du temps ordinaire A – 12/02/2023

"En même temps..."



Notre pays (mais la France aussi) est connu pour son fameux « en même temps ».


-Il veut soutenir l’Ukraine et en même temps s’assurer une sécurité énergétique.

-Le gouvernement s’engage à soutenir les boulangers, les PME, les citoyens à faible revenus, et en même temps il cherche à limiter les déficits publics ;

-D’un côté on affirme soutenir l’hôpital et le personnel infirmier et de l’autre on libéralise le secteur à l’extrême ;

-On veut combattre l’inflation et en même temps diminuer la dette ;

-fermer Tihange 2 et relancer le nucléaire ; relancer le nucléaire et investir dans l’éolien et le solaire ; être pour les énergies renouvelables et en même temps refuser les implantations d’éoliennes dans le paysage ;

-combattre la corruption et en même temps accorder des émoluments somptueux à certaines fonctions politiques ;

-vouloir une Belgique unie et en même temps ne pas promouvoir l’enseignement de la langue néerlandaise en Wallonie ; scinder la Belgique en deux et vouloir en même temps une Europe plus forte etc.

Ce petit jeu des contraires fait que le fonctionnement de notre pays est un miracle permanent !


Mais ne sommes-nous pas tous quelque part un peu schizophrènes ? On voudrait bien une planète propre, préserver le climat et la biodiversité et en même temps on achète de la viande produite en Nouvelle-Zélande et on prend l’avion pour faire du ski pendant les congés de carnaval sur des pistes artificiellement enneigées… Et qui veut se priver de sa chère voiture (dans tous les sens -l’essence- du terme) ? 


Bien souvent il nous arrive de vouloir une chose, et en même temps l’inverse ! Il en va de même en matière religieuse : Nous proclamons notre Credo de chrétiens la main sur le cœur, avec sincérité et conviction, et en même temps nous considérons que la conversion, les exigences de l’évangile c’est pour les autres… Il nous arrive de réclamer une Eglise vivante où les jeunes puissent se sentir bien et en même temps de ne pas accepter le moindre changement dans nos habitudes…

La sentence qui conclut notre évangile de ce dimanche heurte de plein fouet ces louvoiements habiles : « que votre oui soit oui, que votre non soit non. Tout le reste vient du Mauvais ».


C’est vrai que Jésus n’y va pas de main morte dans ce passage : « Si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le ; si ta main droite entraîne ta chute, coupe-là… »

Vous imaginez nos parlements, nos ministères, nos églises, pleins d’yeux arrachés et de mains coupées ? Il y en aurait des borgnes et des manchots si on prenait ces mots à la lettre !

Bien sûr, cette radicalité nous effraie, et nous avons depuis longtemps pris l’habitude d’adoucir ou carrément édulcorer ces invectives en parlant de « style oral provoquant », d’ « exagération prophétique »… pour passer à autre chose.


D’accord, Jésus ne souhaite pas nous estropier. Mais si le Seigneur est si radical en matière de péché, et nous secoue autant, c’est qu’il y a de bonnes raisons !

Le péché, c’est ce qui tue l’âme. C’est ce qui conduit à la mort spirituelle, et parfois la mort tout court. Au début, on ne sent rien. C’est comme les polluants toxiques que nous respirons tous les jours ou que nous ingérons dans notre nourriture, à petites doses cela ne nous fait rien, mais peu à peu ils s’accumulent dans notre organisme, et au bout d’un certain temps, les maladies vont se déclarer, et les dégâts peuvent à terme raccourcir la vie de plusieurs années.

« Il vaut mieux entrer borgne dans le Royaume que d’aller tout entier dans la Géhenne » (le dépotoir de Jérusalem, image de la perdition).

En fait, la sur-radicalité de Jésus fait contrepoint (ou contrepoids) à notre tendance très humaine de concilier la chèvre et le chou, le bon et le moins bon (ou le mauvais), et surtout, ce défaut mortel de ne pas choisir entre ces deux options.

On trouve beaucoup de ces avertissements en forme d’exclusive dans les Evangiles :

-      « Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. » (Luc 16,13)

-      « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi. » (Mt 12,30)

-      « Celui qui ne porte pas sa croix et ne me suis pas ne peut pas être mon disciple. » (Luc 14,27) 

-      « Celui qui ne rassemble pas, disperse. » (Luc 11,23 et Mt 12,30)

-      « Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le Royaume de Dieu. » (Luc 9,62)

-     

Ces ultimatums ont le pouvoir de nous énerver… ou de nous laisser indifférents. Parfois, un peu de sentiment de culpabilité… qu’on essaye d’oublier bien vite.

Est-ce que ce n’est pas contre-productif de la part de Jésus ? Ne sait-il pas qu’on n’attire pas les mouches avec du vinaigre ?

En fait, il pratique une pédagogie qu’on a délaissée depuis une cinquantaine d’années chez nous en Occident : Il essaye de nous apprendre à choisir, et à nous tenir à notre choix.


Avec nos enfants, dans beaucoup de familles, on a abandonné cette éducation. Sous un faux prétexte de liberté, on laisse les enfants faire tous les choix qu’ils veulent (habillement, loisirs, activités culturelles ou sportives, et même parfois gestion de leur temps et de leurs études…). Il sont en fait devant une multitude de possibles, -beaucoup plus qu’à notre époque- qui rend le choix difficile ; ce qui les incite parfois à accumuler les activités, les jeux vidéos, les appareils etc. C’est le « en même temps » qui est en fait le résultat d’un non-choix. Mais là où le bât blesse vraiment, c’est après, quand ceux-ci veulent abandonner ou changer leur choix sous un prétexte ou un autre et que les parents laissent faire.

Ainsi, les futurs adultes deviennent inconstants, peu fiables et peu persévérants. Ils suivent l’inclination du moment, leurs envies qui à peine assouvies sont remplacées aussitôt par d’autres. Beaucoup de chances que ces personnes soient d’éternels insatisfaits...

Or, grandir, devenir adulte (ou adulte dans la foi), c’est apprendre à choisir et à se tenir à son choix, à son engagement. Et choisir une chose, c’est toujours forcément renoncer à d’autres choses. St Paul parle dans sa lettre de la sagesse de ceux qui sont adultes dans la foi (1 Co 2,6).


Il en va bien sûr pareillement dans l’amour humain. Au point qu’on peut affirmer qu’aimer, c’est choisir. Et être fidèle à celui ou celle qu’on a choisi.

« Que votre oui soit oui, que votre non soit non. »

Aimer Dieu, le choisir, c’est accepter les conséquences de ce choix en étant fidèle aux promesses de son baptême. Bien sûr, Dieu nous laisse libres de le choisir ou non ; cette liberté est affirmée dans la première lecture tirée du Siracide (Si 15,15-20) : « il dépend de ton choix de rester fidèle. Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu : étends la main vers ce que tu préfères. » Mais il prévient de l’enjeu : « La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix ». CHOISIS DONC LA VIE ! (Deut 30,19)

Jésus ne reproche rien aux non-croyants. Mais à ceux qui se disent « les enfants d’Abraham », aux disciples qui l’ont suivi, il impose d’être fidèles et conséquents avec leur choix.

Dans la Bible, le peuple de Dieu se laisse ballotter entre YHWH et les idoles, entre la justice et la convoitise, entre le droit et la loi du plus fort. Josué est ainsi obligé de mettre les tribus au pied du mur avant d’entrer en Terre promise : « S’il ne vous plaît pas de servir le Seigneur, choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir : les dieux que vos pères servaient au-delà de l’Euphrate, ou les dieux des Amorites dont vous habitez le pays. Moi et les miens, nous voulons servir le Seigneur » (Jos 24,15).


Le prophète Élie constatera plus tard avec amertume qu’Israël n’a toujours pas réellement choisi en son cœur qui il veut servir. D’où sa colère : ‘dites oui ou non, mais dites-le !’

« Élie se présenta devant la foule et dit : ‘Combien de temps allez-vous clocher des deux jarrets ? Si c’est le Seigneur qui est Dieu, suivez le Seigneur ; si c’est Baal, suivez Baal.’ Et la foule ne répondit mot » (1 R 18,21).

Il faut choisir ! Ne pas décider est révélateur (ou conséquence) d’une immaturité, spirituelle et psychologique, contre laquelle Jésus nous prévient dans l’évangile de ce dimanche :

Si tu aimes ton conjoint, respecte ton engagement, non pas seulement en évitant l’adultère, mais aussi dans tes pensées : La fidélité, c’est aussi dans les petites choses !

Si tu choisis Dieu (et donc sa loi), tu seras fidèle jusque dans les plus petits commandements, même les choses apparemment insignifiantes, car c’est cela l’amour !

Si tu veux aimer ton frère, et c’est le choix que tu fais en décidant d’aimer Dieu, tu feras attention à la moindre de tes paroles, éviteras l’insulte, maîtriseras ta colère.

Si tu gardes de la rancune, si tu refuses de te réconcilier, c’est que tu n’es pas fidèle à ton engagement initial de choisir Dieu et sa loi d’amour et de miséricorde. Va d’abord te réconcilier avec lui, puis reviens présenter ton offrande !

Jésus est d’une logique implacable ! On ne saurait être plus clair sur l’exigence d’être clair sur ses choix…

Ne pas décider, c’est « clocher des deux pieds » toute sa vie. C’est n’être ni chaud ni froid, de ces tièdes dont l’Apocalypse nous dit que le Christ les vomit de sa bouche (Ap 3,16). C’est abdiquer de sa liberté et ressembler à un poisson mort emporté par le courant.


D’où l’importance d’être fidèle à son oui (à son non).

Fidèle au oui du mariage, je ferai tout pour le nourrir et le faire grandir.
Fidèle au oui à moi-même, j’aurais le courage de refuser ce qui ne me ressemble pas (au travail par exemple), de résister à des opinions ou des modes de vie qu’on m’impose.
Fidèle au non de mon baptême (« je renonce à Satan »), je combattrai avec humilité pour ne jamais être complice du mal.
Fidèle au non des commandements négatifs du Décalogue, je dénoncerai sans relâche le meurtre, le vol, le mensonge, la convoitise, l’instrumentalisation du Nom de Dieu, et d’abord en moi-même. 

Que mon oui soit oui, que mon non soit non : L’Apocalypse qualifie le Christ d’Amen de Dieu, c’est-à-dire que tout son être est structuré par le Oui à Dieu qu’il incarne : 

« le Fils de Dieu, le Christ Jésus, que nous avons annoncé parmi vous, n’a pas été ‘oui et non’ ; il n’a été que ‘oui’. Et toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur ‘oui’ dans sa personne. Aussi est-ce par le Christ que nous disons à Dieu notre ‘amen’, notre ‘oui’, pour sa gloire » (2 Co 1,17-20).


Pensons-y, en cette Eucharistie, chaque fois que nous répondrons : « Amen » !

Seigneur, aide-moi par ton Esprit à être fidèle à mon « oui ».  AMEN !

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