C CAR 04 - Revenir à la fraternité

 HOMELIE 4è DIMANCHE DE CARÊME :  « REVENIR… À LA FRATERNITÉ ! »

 


On présente souvent la parabole de ce dimanche comme une parabole de la miséricorde, ce qu’elle est assurément. Mais on oublie que c’est aussi et d’abord une parabole de la fraternité humaine et religieuse, qui condamne tout séparatisme et exclusion. C’est là je crois l’enjeu principal de cette parabole qu’on appelle habituellement la Parabole du fils prodigue, ou du Père miséricordieux, mais dont le véritable nom devrait être la « Parabole des deux fils ».

Elle peut d’ailleurs nous inspirer, en ce moment où deux peuples, proches par l’histoire, la culture et la religion, se livrent pourtant une guerre fratricide.


Pourquoi en effet Jésus invente-t-il cette histoire des 2 fils
 ? Parce que les pharisiens – l’équivalent des juifs orthodoxes ou des salafistes musulmans d’aujourd’hui – lui reprochent de se mélanger avec tout le monde, même avec les pécheurs notoires : « cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et va manger avec eux ! » Les pharisiens – dont le nom signifie séparés - sont ainsi appelés parce qu’ils se coupent des autres et vivent entre eux au nom de la pureté rituelle.

Voilà bien le scandale : Jésus ose se mettre à table avec les mauvais juifs, avec les païens, les voleurs, les collabos et les prostituées ! Or, pour les juifs, on ne peut se mettre à table qu’avec ceux qui observent la Loi, on ne doit pas être vu en mauvaise compagnie sinon on devient impur. Exactement le contraire de ce que fait Jésus ostensiblement ! Souvenez-vous de Marie-Madeleine, de Zachée, et de bien d'autres...  

Il casse un tabou, en mettant sur le même pied les gens bien, les purs, les obéissants - et les gens de mauvaise réputation et de mauvaise vie : tous enfants de Dieu, en fait ! Même celui qui semble le plus perdu, le plus loin (en apparence) de Dieu. Il canonise même in extremis sur la croix le larron qui avait sans doute enfreint tous les commandements. Ainsi, le paradis de Jésus est-il rempli de pécheurs pardonnés, là où le paradis du Coran, de la Tora ou des intégristes est réservé aux croyants obéissants…

Dans notre parabole des deux fils, le fils aîné provoque la même fracture : il refuse de se mettre à table avec son frère pécheur, et se scandalise que le veau gras soit offert au rebelle, revenu par intérêt, et non au fils fidèle. Pour lui, la Loi prime sur la fraternité. Le fils aîné s’enfermera dans son refus, au nom de sa conception de la justice et de son bon droit. Ce faisant, il se coupe de la fraternité et ne peut partager la joie du Père.

N'agissons-nous pas souvent pareillement ?  

Ne nous considérons-nous pas généralement nous-même comme de bons chrétiens ; en tout cas, pas mauvais, parce que nous suivons en gros les prescriptions de l’Eglise, nous avons fait nos communions, nous allons régulièrement à la messe, nous donnons à la collecte du carême de partage… Bref, nous sommes « du bon côté », celui du fils aîné de la parabole.

Ce faisant, sans nous en rendre compte, par notre bonne conscience nous érigeons une barrière derrière laquelle nous plaçons tous les autres, ceux pour qui nos églises ne sont pas faites, et que Jésus fréquentait continuellement : les possédés, les lépreux, les samaritains, les pauvres et les pécheurs, les voleurs et les malades dans leur tête… Et nous pratiquons l’entre-soi où il fait si bon de se retrouver entre gens pareils qui se renvoient sans cesse les uns aux autres leur bonne image de soi ! On est loin des « périphéries » dont parlait le pape François.

Mais voilà, Jésus n’en démord pas : « je suis venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus ». Et malheureux sont ceux qui se croient sauvés par eux-mêmes, par leur bon comportement : ils se privent de la grâce, en restant dans le pur domaine de la Loi ! Ils s’autojustifient, en fait, ils n’ont même pas besoin de Dieu ! Ils croient le connaître, en fait ils n’en savent rien parce qu’ils se sont fabriqués un portrait d’un dieu à leur image, celui qui récompense les bons et punit les méchants.

Le séparatisme (et le communautarisme) tuent dans l’œuf la véritable fraternité humaine qui doit être selon l’exemple du Christ une fraternité universelle et sans frontières. Le pharisianisme a prospéré tout au long des siècles, mettant sans cesse de nouvelles barrières entre les humains, les religions, les races… avec de rares exceptions, comme fut François d’Assise, le frère universel qui osa aller trouver le sultan Saladdin en pleine croisade.  


Entrer dans la joie du père de la parabole, se réjouir pour le frère, c’est ne pas juger l’autre sur son avis, son comportement extérieur ou sa prière. C’est se mélanger avec tous, sans ostracisme, sans prosélytisme non plus. C’est ne pas pratiquer l’entre-soi, mais aller à la rencontre de ceux que l’on repousse ou qu’on ignore, les pauvres en particulier, car le séparatisme n’est pas que religieux mais bien aussi économique (les riches savent depuis longtemps se regrouper à l’écart des pauvres). *

Le mot retenu pour ce dimanche sur notre cheminement de carême, est « REVENIR ». On pense bien sûr au fils prodigue, qui revient vers son père qui l’accueille sans conditions. Cependant, lequel des deux fils aurait finalement le plus besoin de revenir vers ce père dont il s’était fait une si fausse image, et vers le seul frère qui lui est donné à aimer et à accueillir ? N’est-ce pas le fils aîné, celui dont la bonne conscience a endurci le cœur ?

Retrouver la fraternité, abolir les séparations, me semble être donc l’appel essentiel de ce 4ème dimanche de carême. Qui choisissons-nous d’être ? Le fils aîné, sûr de son bon droit et jaloux de ses prérogatives, ou le fils cadet qui accepte d’entrer dans la joie des pardonnés ?

« Seigneur Jésus, toi qui as bien voulu entrer chez les pécheurs et manger avec eux, toi qui n’as rejeté personne, fais-moi revenir à toi et sois miséricordieux à moi pécheur qui te reçois dans la maison de mon cœur. Fais aussi que mon cœur soit ouvert à tous les frères que tu me donnes, quels qu’ils soient, pour que ta joie soit en tous, et que chacun ait sa part du veau gras… Amen ! »

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(*) Nous ne pouvons nous mettre à table avec le Seigneur et communier en vérité au Corps du Christ que si nous acceptons de nous mélanger à l’humanité, comme Dieu lui-même l’a fait le premier (ce que rappelle le rite où l’eau se mélange au vin dans le calice : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité » : comment mieux exprimer que le Dieu de Jésus ne vit pas séparé, mais en communion ?

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