A AVENT 04 - adoptunchrist.com
Nous voici au 4ème et dernier dimanche de l’Avent – peut-être le plus important, celui qui nous dévoile le plus le mystère de la Nativité en nous y faisant déjà entrer… avec cette Parole forte, essentielle : « Ne crains pas de prendre Marie -et l’Enfant qu’elle porte- chez toi ! »
Pauvre
Joseph, si souvent mal compris dans son chemin intérieur. On l’a même parfois
tourné gentiment en dérision, comme le montre une chanson de Georges Moustaki (de 1969), « Joseph » :
Voilà c'que c'est, mon vieux Joseph
Que d'avoir pris la plus jolie
Parmi les filles de Galilée
Celle qu'on appelait Marie
Tu aurais pu, mon vieux Joseph
Prendre Sarah ou Déborah
Et rien ne serait arrivé
Mais tu as préféré Marie
Tu aurais pu, mon vieux Joseph
Rester chez toi, tailler ton bois
Plutôt que d'aller t'exiler
Et te cacher avec Marie
Tu aurais pu, mon vieux Joseph
Faire des petits avec Marie
Et leur apprendre ton métier
Comme ton père te l'avait appris
Pourquoi a-t-il fallu, Joseph
Que ton enfant, cet innocent
Ait eu ces étranges idées
Qui ont tant fait pleurer Marie?
Parfois je pense à toi, Joseph
Mon pauvre ami, lorsque l'on rit
De toi qui n'avais demandé
Qu'à vivre heureux avec Marie...
De Joseph, on a voulu faire le portrait d’un homme déjà vieux, veuf, pour insister sur sa chasteté et la virginité de Marie. On explique le plus souvent son choix de renvoyer discrètement Marie chez elle sans la dénoncer en public, par une délicatesse encore empreinte d’amour -et de peine sans doute-, manifestant ainsi sa qualité d’homme juste comme le souligne Matthieu.
Cependant, je
suis tombé sur une toute autre interprétation, et elle vient de saint Bernard :
« Pourquoi Joseph voulut-il renvoyer
Marie ? Prends cette interprétation, qui n’est pas la mienne mais celle des
Pères : Joseph voulut la renvoyer pour la même raison qui faisait dire à Pierre
: ‘Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur’ ; et au
Centurion : ‘Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit’. Pierre trembla
devant la puissance divine et le Centurion trembla en présence de la Majesté.
Joseph fut saisi de crainte – comme il était humainement normal – devant la
profondeur du mystère ; c’est pourquoi il voulait renvoyer Marie
secrètement » (Homélie 2 sur le Missus est, PL 183, 68).
Aujourd’hui, en langage de coach ou de psychologie, on dirait que Joseph
souffre du syndrome de l’imposteur : il ne veut pas faire d’ombre à la paternité divine de Jésus en
laissant croire aux autres que c’est lui le père de l’enfant. C’est tout à
son honneur. Mais, guidé intérieurement par son cœur, ses songes et l’écoute de
l’Esprit, il va finalement accepter la mission que Dieu lui confie, alors qu’il
en sait d’avance la difficulté.
Ce « syndrome de l’imposteur »
ou sentiment d’illégitimité se rencontre chez des personnes généralement modestes
et humbles -voire timorées, qui ont tendance à ne pas s’approprier leurs
réussites ou succès mais à les attribuer à des facteurs autres qu’elles-mêmes et leur
propre valeur (comme la grâce de Dieu p.ex.). J’en ai connu autrefois de ces
« timides », et il m’est arrivé moi-même de souffrir de ce syndrome à
certains moments de ma vie, ne me sentant pas à la hauteur de la vocation qui
m’était échue – heureusement, de braves paroissiens amis m’ont convaincu du
contraire ! En tout cas, je me sens proche de Joseph qui hésite devant la
grandeur du mystère qu’il est appelé à protéger… !
Il fallait donc un électrochoc de confiance pour
que notre brave Joseph, secoué dans sa vie affective et bouleversé face à l’énormité
de ce qui lui est demandé, mette un stop à sa peur et accepte enfin avec la
parole libératrice de l’ange sa mission : « Ne crains pas
de prendre chez toi Marie, ton épouse. »
La peur, chers frères et sœurs, est souvent ce qui nous empêche d’accueillir l’imprévisible de Dieu et ses invitations ! On peut avoir peur du « qu’en-dira-t-on » (« pour qui se prend-il celui-là ? »), peur de ne pas être à la hauteur, ou peur que Dieu dérange notre confort, nos repères, nos fonctionnements bien rodés…
« Je ne veux prendre la place de personne ! » : combien de fois n’ai-je entendu cette réponse quand un appel était lancé. « Je n’en suis pas capable, il y a des personnes bien plus douées que moi ! » « Et puis, qu’est-ce qu’on va dire… ? ». Le syndrome de l’imposteur est un des grands problèmes qui étouffe et bloque notre vie spirituelle.
Le message
de l’ange est clair : ce qui semble être un obstacle ou un scandale est en
réalité l’œuvre de l’Esprit Saint. Mais savons-nous le reconnaître ? Sommes-nous prêts à dire "oui" aux changements de direction que la vie nous impose? à en faire des tremplins pour plus d'amour et de générosité, plus de vie à donner et à partager?
Joseph est
invité à prendre Marie chez lui. Au fond, dans chaque appel, c’est toujours la même
invitation que nous recevons. Car prendre Marie chez soi, ce n’est pas
seulement accueillir Marie comme une figure de piété, c’est aussi accepter d’accueillir
le Christ qu’elle porte. Pour Joseph, dans son cas, cela signifie renoncer
à ses propres plans de paternité pour devenir le gardien du Sauveur.
Dans nos
vies, chers frères et sœurs, nous traversons aussi ces moments de brouillard où
nos projets s’effondrent et où il nous faut prendre une autre voie que nous n’aurions
peut-être pas choisie. Joseph nous enseigne que le silence et l’écoute du cœur (de
l’Esprit) sont le premiers pas vers une décision « juste », ajustée à
Dieu. (Même le sommeil peut nous y aider – les fameux songes de Joseph ;
et certainement le retrait dans un lieu d’isolement propice à la prière et au
décentrement de soi.)
Il y a
quelques années, lors d’une campagne pour les vocations, un site chrétien avait
lancé ce slogan ressemblant à celui de certains sites de rencontre : « www.adopteuncuré.com » :
il s’agissait de porter dans la prière en l’adoptant en quelque sorte un
jeune qui se posait la question de la vocation ou se préparait à l’ordination
sacerdotale. On pourrait tirer plus loin la suggestion en la paraphrasant :
« AdopteUnChrist.com » . Car ce qui est en jeu, à Noël,
c’est bien d’adopter Jésus !
Qu’est-ce que c’est, adopter ? Adopter un enfant par exemple, c’est donner un nom, son nom, qui enracine dans une lignée familiale, dans une histoire, une généalogie, une culture, un pays. Dieu a besoin de Joseph pour que Jésus soit reconnu « fils de David », donc de la descendance messianique annoncée par les prophètes. Adopter le Christ, c’est l’inscrire dans notre famille, dans notre histoire personnelle et collective, en faire l’égal et le parent de ceux qui portent le même patronyme que le mien.
Adopter, c’est également donner des droits à cet enfant, et notamment le droit d’hériter de ses parents. Jésus hérite de moi le droit de recueillir mon patrimoine, mes œuvres et mes réalisations, ma richesse et mes succès. Si j’accumule, c’est pour lui transmettre. Si je porte du fruit, c’est pour qu’il récolte.
Adopter, c’est
encore « prendre chez soi », c’est-à-dire dans son
intimité, une intimité et une connivence pleine d’affection et de respect,
d’amour et de proximité, comme seul un père-mère peut en avoir avec son enfant.
Laisser le
Christ habiter « chez moi » ; le
laisser patiemment grandir en moi ; l’accoutumer à mes manières tout en le
laissant prendre toute sa place, en acceptant qu’il soit autre : l’adoption est
une aventure de compagnonnage mutuel, où rien n’est garanti par avance – en un
sens, tout enfant venant au monde est aussi à adopter par son père, sa mère,
ses propres parents. Car, comme le dit le poète Khalil Gibran, « vos
enfants ne sont pas vos enfants ». Ils ne vous appartiennent pas.
En prenant
Marie chez nous avec l’Enfant qu’elle porte, en adoptant le Fils qu’elle
nous donne, nous devenons pour Dieu, dans le Christ, une humanité de
surcroît (expression de sainte Elisabeth de la Trinité) par laquelle il se
rend présent au monde. Du coup, nous réalisons que nous sommes aussi chacun et
chacune des fils et des filles adoptifs du Père en qui il met son amour, nous
réalisons la profondeur et la dimension extraordinaire de notre baptême qui
nous a fait – par adoption - , enfants de Dieu ! Quel échange merveilleux et
gratuit !
Alors :
« Adoptes-tu un Christ » à Noël ? Es-tu prêt à entrer ou à
rentrer à nouveau dans cette « avent-ture » d’amour extraordinaire
qui va, si tu le veux, durer toute la vie et même au-delà ?
« Quand
Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit. »
La
foi de Joseph ne se perd pas en paroles, il agit. Il devient le premier
serviteur de l’Incarnation. En ces derniers jours de l’Avent, l’invitation, l’appel
nous est lancé : « Ne crains pas ». Prends chez toi. Adopte.
Ne craignons pas d’ouvrir nos maisons et nos cœurs à la présence de Dieu, même quand
elle nous déroute. Comme Joseph, laissons-nous conduire par la main de l’Ange,
pour que, par notre accueil-adoption, le « Dieu-avec-nous » puisse
enfin trouver une demeure en ce monde et en ce temps.
Bonne
préparation à la Nativité du Sauveur !
à écouter :
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