B DIM 21 - Quelle soumission ?

 


« Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » s’exclament les Juifs dans l’évangile de ce jour.

 

Je plains sincèrement tous mes confrères prédicateurs qui doivent commenter la Parole, et spécialement celle contenue dans la seconde lecture d’Ephésiens chapitre 5, qui fera se hérisser la moitié au moins de l’assemblée dans leur église : « Que les femmes soient soumises à leur mari. »

 

Depuis au moins un demi-siècle, les courants féministes et l’évolution globale de la société occidentale ont rendu complètement inaudibles ces versets, que certains qualifieraient volontiers de « sataniques » ! En tout cas, ils rajoutent de l’eau au moulin de ceux qui affirment péremptoirement qu’il faudrait enfin se décider à purger les textes sacrés (et spécialement l’A.T.) de tous ce fatras culturellement dépassé et scandaleux…


 

J’ai la chance d’être en congé -pour une fois – et je ne devrai donc pas m’aventurer sur ce terrain de mines devant une assemblée goguenarde, mais l’occasion est trop belle pour que je n’en dise pas quelques mots dont chacun prendra ce qu’il voudra en lisant posément mes réflexions sur ce blog.

 

Si appliquer aveuglément et de façon littérale ces versets et quelques autres (Col 3,18 ; 1Co 11,6 ; 1Tm 2,11–15…) comme le font les Mormons, les Amishs, les Témoins de Jéhovah et certains protestants puritains évangélistes est évidemment hors de question, faut-il pour autant jeter au bac tous les passages un peu rugueux et dérangeants du Nouveau ou de l’Ancien Testament ?

… Il risque de ne plus rester grand-chose ! Tant il est vrai que la Parole de Dieu est coupante « comme un glaive à deux tranchants, pénétrant jusqu’à la division de l’âme ainsi que de l’esprit, et des jointures ainsi que de la moelle, elle juge les dispositions et les pensées du cœur… » (He 4,12). Et si la Parole ne tranche pas toujours du premier coup, elle gratte et démange souvent jusqu’à provoquer un prurit, un abcès qui oblige chacun et chacune à se confronter à soi-même, au fond de son cœur et de son âme.

 


Donc attention ! Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ; et ne tuons pas le patient pour éradiquer ce que nous prenons pour la maladie… La Parole nous provoque ? Tant mieux ! Cela nous oblige à réfléchir et à prier pour comprendre ce que le Seigneur veut nous dire à chacun. Et surtout ne pas en rester à une compréhension superficielle.

 

On a beaucoup dit et écrit que Paul est resté tributaire d’une culture patriarcale « machiste », celle de son époque et qui a encore cours dans de nombreuses régions du monde. C’est certainement vrai en partie ; nos structures mentales sont toujours marquées par la culture dans laquelle nous baignons, c’est inévitable, et nous ne faisons pas exception à la règle : que diront les générations futures de nos mentalités consuméristes et hédonistes ?

Mais si Paul ne songe pas à révolutionner la société de son temps en dénonçant les systèmes oppressifs qui empêchaient l’égalité hommes/femmes (ce n’est pas son objectif ; lui il témoigne du Ressuscité qui a bouleversé sa vie), en fait, ce qu’il veut, c’est la conversion des cœurs et non pas la réforme des structures. Pour lui, l’évangile doit d’abord devenir vivant chez chacun qui se convertit, et alors, en accueillant la grâce de l’esprit qui vivifie, cela doit transformer à terme toutes nos relations hommes-femmes, nos rapports éthiques, ecclésiaux, sociétaux… Paul déduit en effet de ce statut de l’Homme nouveau qui a revêtu le Christ, une égalité fondamentale : « Il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3,28).

 


Cependant, les lettres de Paul n’ont rien à voir avec la Déclaration des Droits de l’Homme ou celle des Droits de la Femme, ni avec le Manifeste du Parti Communiste de Marx. Pour lui, pour Paul, la transformation de la société doit se faire de l’intérieur, en commençant par le cœur de chaque homme touché par la grâce.

 

Avant d’être trop critiques sur cette espèce d’angle mort qui rend apparemment l’apôtre aveugle par rapport à certaines discriminations ou injustices, rappelons-nous que nous avons mis des siècles nous-mêmes à identifier et refuser certaines de ces inégalités sociales, comme l’esclavage et la ségrégation raciale par exemple, et qu’aujourd’hui encore certaines inégalités, certaines structures d’oppression ne semblent pas trop nous choquer au point qu’elles nous feraient descendre dans la rue ou entamer des grèves de la faim, comme par ex. celles qui opposent les pays riches du Nord à ceux du Sud exploités pour leurs métaux précieux, leurs ressources… et celles qui détruisent la planète ou nous vivons, et dont les premières victimes sont les plus pauvres.

Et notons quand même que, si Paul baignait dans cette culture à dominance masculine du Moyen-Orient du 1er siècle et qu’il ne la remettait pas directement en question, lui-même n’a pas hésité – tout comme Jésus – à s’entourer de femmes dont plusieurs ont été qualifiées par lui de collaboratrice (Priscille), de diaconesse (Phoebe), et même d’apôtre (Junie, avec son mari Andronicos) – cf. Rm 16,7 ; Rm 16,1-2 ; Rm 16,3. Des femmes ont eu ainsi un rôle éminemment important et reconnu dans la vie de l’Eglise naissante, entre autres en accueillant dans leurs maisons les assemblées de chrétiens, les premières églises domestiques.


 

Bon. Paul n’est donc pas un réformateur politique ni un militant, d’accord ; il cherche seulement à inviter à l’attachement au Christ pour revêtir l’Homme nouveau à son image et adopter un comportement nouveau sous la guidance de l’Esprit. Ok. Mais maintenant, que faire de ces versets gênants : « Femmes, soyez soumises à vos maris » ?

 

L’Eglise ne va pas changer ces mots ou les effacer, c’est sûr, même s’il y avait un référendum. En plus, elle n’en a pas le droit. Par contre, il est certainement intéressant pour nous de nous pencher sur la signification du mot « soumission » tel qu’il est employé dans la Bible, plus particulièrement dans le Nouveau Testament.

 

Contrairement à l’Islam dont le nom arabe signifie justement ‘soumission’, le Christianisme dans son essence (l’esprit de l’évangile) n’a pas pour vocation de régenter la société pour en faire une théocratie et imposer une charia.

 

Le terme grec soumission (hypotasso) est utilisé 40 fois dans 32 versets du N.T.

Le mot signifie : être au-dessous de, être subordonné à, obéir à. Ce qui traduit un rapport d’autorité.

Surprise : quand pour la première fois l’évangile parle de soumission, c’est Jésus qui se soumet volontairement à ses parents à Nazareth (Lc 2,51) ! Le premier soumis serait-il donc Dieu lui-même ? Dans les évangiles, Jésus se soumet aux juifs et aux païens (lavement des pieds, sacrifice de la croix) pour leur donner la vie.

 

Paul, Pierre et Jacques, dans leurs lettres, insistent d’abord sur une soumission mutuelle, de tous envers tous, dans l’amour et le service fraternel : « Que tout chez vous se passe dans l’amour » (1Co 16,14). Cette attitude concerne chacun et chacune dans la communauté : « Par respect pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres » dit le début de notre seconde lecture (Ep 5,21).

 

Cette soumission généralisée dans l’amour et le service qui doit s’étendre à tous les rapports sociaux, a pour modèle la relation de l’Eglise au Christ, se plaçant sous lui comme le corps sous la tête, afin de lui être unie en une seule personne (le « Christ total » de saint Augustin, tête et corps). Rien à voir avec la soumission servile et humiliante des esclaves devant les tyrans !

 

Même si le mot de soumission a très mauvaise presse aujourd’hui dans notre société individualiste qui revendique l’autodétermination, l’indépendance vis-à-vis de toute autorité et l’égalité même si elle n’est que de façade et qu’en fait ce sont les rapports de force et de domination qui prévalent dans les rapports économiques et sociaux – et même si le terme soumission donne des boutons à certains catholiques marqués par l’esprit de mai 68, il me paraît indispensable de bien expliquer ce mot dans son acception évangélique et lui redonner ses lettres de noblesse.

 

=>Est-ce que les vœux d’obéissance prononcés et pratiqués par d’innombrables religieux, prêtres, moines et moniales au cours des siècles passés, n’auraient aucune valeur et ne seraient que des outils de manipulation perverse des consciences ?  

 

=>Est-ce que la soumission d’amour de ces mamans (encore des femmes ! mais il y a aussi parfois des papas maintenant) qui acceptent d’organiser leur emploi du temps en fonction des besoins de leur bébé, leurs enfants, et souvent de ‘sacrifier’ des loisirs ou d’autres activités gratifiantes pour le bien-être de ceux qu’elles aiment – est-ce que cette ‘soumission’ volontaire ne serait qu’un esclavage insupportable ? (Pensons aussi aux grand-parents, aux éducateurs, aidants proches…)

 

=>On peut citer dans ce registre tous ceux et celles qui dans un cadre familial, professionnel ou de bénévolat, se sous-mettent à des obligations, des contraintes en vue d’un service pour le bien-être et le bonheur d’autres que leur seule personne, pour une harmonie et un progrès collectif : sont-ils des fous ? des malades ?

 

Il n’y a de vraie et légitime soumission au sens chrétien, que librement consentie et dans l’amour, et ce en vue d’un épanouissement plus grand du « nous », impliquant les différents termes de cette relation, et donc une forme de réciprocité.

 

En fait, chacun est invité à se soumettre d’abord librement à Dieu, c’est-à-dire à se placer sous sa bienveillance, son amour, sa puissance de vie. Ce qui a pour conséquence de se soumettre mutuellement, librement et natuellement, dans l’amour et le service, les uns aux autres, afin de laisser l’Esprit de Dieu faire de nous des Christs les uns pour les autres. Y compris dans la relation conjugale.

 

Encore une chose : Paul parle de se soumettre et non d’être soumis. La différence est essentielle : choisir librement d’être serviteur de l’autre n’est pas se voir imposer un statut inférieur ou subordonné avilissant. Au contraire, c’est là qu’est la véritable grandeur, comme l’enseigne Jésus Christ, lui qui « n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la multitude. »

 

C’est toujours la relation Christ-Église que nous sommes appelés à vivre, en particulier dans la relation homme-femme. Tous sont membres d’un même corps, sans séparation ni confusion, sans domination ni asservissement. Traiter un esclave comme un frère, une femme comme sa propre chair, un mari comme son propre visage, c’est toujours « renverser les puissants de leur trône » et « élever les humbles », comme le chantait Marie dans son Magnificat.

 


Alors finalement, si je devais me soumettre à quelqu’un dans les jours qui viennent, ce serait qui et comment ?

Symétriquement, si je dois être le « chef » (responsable) de quelqu’un, comment l’être dans l’Esprit du Christ, dans l’amour, le service, jusqu’à donner ma vie pour lui/elle ? 

 

Et vous, qu’allez-vous faire de ces versets gênants ?…

 

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