A PAQ 05 - Une place pour chacun

 

HOMÉLIE DE LA MESSE DU 5ÈME DIMANCHE DE PÂQUES 2023

« Je pars vous préparer une place ». Voilà la phrase que j’ai retenue de l’Evangile de ce jour. De quelle place s’agit-il ?

L’événement, ce week-end, c’était le couronnement du roi Charles III au Royaume-Uni. Déjà depuis plusieurs jours, des citoyens britanniques venus du monde entier s’étaient installés sur les trottoirs le long du chemin que le cortège royal devait emprunter pour être sûrs de voir, le temps d’une seconde, passer sa majesté. Cette place était extrêmement précieuse à leurs yeux et ils ne l’auraient cédée à personne ! Et je ne parle même pas des places dans la cathédrale de Westminster, réservée aux têtes couronnées et à tout ce que le monde compte comme présidents et chefs d’état… Sûr que Charles et Camilla avaient une place bien préparée, sur des trônes tendus de velours rouge. Cela ne veut pas dire forcément que c’étaient les sièges les plus confortables…


Dans la vie, nous autres humains ordinaires, nous cherchons souvent notre place, et pas seulement lors des fêtes et des invitations que nous recevons en ce temps de communions, de baptêmes et de mariages :

Trouver sa place dans la société est une préoccupation importante, essentielle, pour un homme, une femme, pour un jeune, car d’elle dépend à la fois la reconnaissance de sa valeur par le groupe social, et l’image que l’on a de soi-même. Si on ne se sent pas à sa place ou si on ne trouve pas sa place, on est en quelque sorte comme un étranger, quelqu’un d’inutile voire même un parasite. Et du coup, on est très mal dans sa peau !

Ce qui est en jeu, c’est l’intégration sociale. Une société qui n’arrive pas à intégrer tout le monde mais seulement une classe de privilégiés, ne fonctionne pas bien, elle produit de l’exclusion, et, à terme, elle devient fragile, instable, menacée d’éclatement. Le critère d’une société humaine juste et heureuse, c’est : « Y a-t-il une place pour chacun ? Tout le monde peut-il y trouver sa place et s’y sentir bien ? » On peut aussi se le demander de n’importe quel groupe social, tout comme d’une Eglise, d’une communauté, d’une famille…


Alors, quand Jésus dit : « Je pars vous préparer une place », moi je trouve ça formidable ! Vous vous rendez compte ? On a déjà une place soigneusement préparée pour chacun, pour moi, pour vous, avec notre nom dessus, auprès de Dieu ! Génial !



« Quand je l’aurai préparée, je reviendrai vous chercher. » Ça c’est moins génial… Enfin, si on pense que c’est pour abandonner notre vie ici-bas (que nous n’avons pas très envie de quitter) pour aller s’installer sur un vague strapontin là-haut dans ce ciel inconnu. C’est vrai que ce texte est souvent lu lors des funérailles. Mais est-ce que ce n’est pas un peu réducteur ? Je crois que la pensée de Jésus que nous rapporte l’évangéliste Jean va beaucoup plus loin en profondeur…


En fait, on est à un moment décisif. Jésus leur a annoncé son départ bientôt auprès du Père. Que vont devenir les disciples en l’absence de leur Maître ? Après sa mort et plus encore après les rencontres lumineuses du temps pascal ? Les disciples sont déboussolés. Pour Jésus, il est important de les rassurer, et de leur donner la certitude qu’ils ne sont pas abandonnés, qu’ils ne resteront pas seuls dans ce monde pas franchement accueillant.

Alors oui, il leur promet une place, mais de quelle place s’agit-il ? … Une place au paradis, parmi les nombreuses demeures de la maison du Père ? Oui mais pas que.

« Je vous emmènerai auprès de moi afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. » Où est Jésus aujourd’hui ? Absent de notre monde ? Non. Il est partout présent, particulièrement dans le frère ou la sœur que nous côtoyons chaque jour et auquel nous ne pensons pas, celui qui souffre ou qui tend la main… Il est dans l’Eglise, la communauté fraternelle ; il est aussi en-dehors, dans cette humanité qu’il a épousée définitivement sur la croix, pour qu’elle découvre de quel Amour Dieu l’aime et la veut sauvée.

La place que Jésus promet, c’est d’abord celle que lui-même vit intensément : une vie en communion avec le Père, une vie selon l’Esprit. C’est là le secret de sa liberté, ce qui le rend capable de choisir, au milieu de nous, la dernière place, celle du serviteur. Ne vient-il pas de le signifier en lavant les pieds de ses disciples ? Cette place, Jésus nous la propose. Par le baptême, nous vivons de sa vie. Nous sommes pierres vivantes, membres du corps du Christ, solidaires de toute l’Eglise et de l’humanité.

Si Jésus insiste sur sa relation au Père : « Qui m’a vu a vu le Père… Je suis dans le Père et le Père est en moi », c’est pour que nous aussi, nous vivions en fils de Dieu, – c’est là notre place auprès de Lui – en ayant la même audace que lui pour aimer sans compter. Voilà pourquoi Jésus peut se présenter comme « le chemin, la vérité, la vie ». La vérité dont parle Jésus n’est pas un concept. C’est une expérience, comme celle que nous pouvons faire, ainsi que j’en ai eu l’occasion quelquefois dans ma vie, en accompagnant des malades qui m’ont beaucoup enseigné grâce à leur faiblesse et à leur confiance.


J’ai découvert par eux que ma place, je ne me la donnais pas à moi-même, mais je la recevais d’eux. En leur prodiguant le soin dont ils avaient besoin, et surtout en leur offrant ma personne, comme j’étais, sans artifice ni posture, j’apprenais l’humilité et je recevais autant que je donnais. C’était là ma place, et j’étais là auprès de Jésus, comme Jésus était aussi là pour la personne malade dans le geste de soin ou la parole de réconfort…

Pour moi, cette expérience m’a marqué à vie. Nous avons besoin les uns des autres, pour trouver Jésus, pour nous donner Jésus, pour être avec Lui. L’instauration des diacres, rapportée dans la première lecture, des Actes des apôtres, illustre cette réalité du don à l’autre qui manifeste, rend présente la tendresse et la miséricorde du Seigneur ; l’appel à s’offrir comme le Christ s’est offert au Père, et ça passe par le frère : le petit, le faible, le souffrant. Telle est la mission des diacres, que l’Eglise appelle de nouveau depuis le Concile Vatican II pour être signes du Christ serviteur notamment dans leurs lieux de travail ou des engagements caritatifs.


De bien d’autres façons l’Esprit suscite jour après jour des réponses qui permettent aux hommes de découvrir que leur place, leur vraie place, est dans le cœur de Dieu ! J’allais dire, qu’ils soient baptisés ou non, mais le baptême le manifeste d’une merveilleuse manière. Quand je baptise un enfant, un adulte, je pense souvent qu’il a désormais sa place pour toujours dans le cœur de Dieu, Jésus est en lui et demeure avec lui chaque jour de sa vie. Qu’est-ce que ça doit nous donner de l’assurance et de la force, à nous qui sommes aussi baptisés, alors que tant de choses semblent s’écrouler en ce moment ! Je comprends l’impatience des catéchumènes qui aspirent à recevoir le baptême et trouver leur place dans la vie nouvelle des enfants de Dieu et dans une communauté d’Eglise accueillante et joyeuse. Avec eux, accueillons l’Esprit du Ressuscité. Qu’il ait raison de nos angoisses et de nos découragements afin que beaucoup puissent chanter avec nous alléluia. Amen !



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