C PRESENTATION AU TEMPLE - Nunc dimittis

 


Pour beaucoup, la Chandeleur c’est la fête des crêpes. On en déguste dans toutes les chaumières, et les enfants s’amusent avec leur maman ou mamie à les faire sauter dans la poële…

Le hasard ou la Providence fait que cette année le 2 février, fête de la Présentation du Seigneur au Temple appelée aussi Chandeleur - fête des chandelles, tombe un dimanche. Autrement, il y aurait probablement moins de monde à l’église pour célébrer dans la prière cet événement… Mais de quel événement est-il question ? Celui de la RENCONTRE entre deux vieillards, Syméon et Anne, qui représentent l’Ancien Testament ou Alliance, et Jésus présenté comme le Messie, la Lumière du monde, qui ouvre le Nouveau Testament, la Nouvelle Alliance.

En effet, l’Esprit Saint avait révélé à Syméon qu’il ne mourrait pas avant d’avoir vu le Christ ou Messie du Seigneur. Toutes les promesses des prophètes de l’Ancien Testament, sont en train de s’accomplir, et donc c’est la fin de cette longue attente.

C’est en quelque sorte un « passage de flambeau ». Ça tombe bien, avec la procession des cierges que nous avons faite au début de cette messe… !


Au passage, remarquons que Jésus et ses parents s’insèrent dans le contexte juif et humain de l’époque, appliquant les prescriptions de la Loi qui voulaient que tout premier-né soit présenté au Seigneur Dieu dans le Temple à Jérusalem, geste accompagné d’une offrande symbolique. Cela nous évoque un peu quelque part les baptêmes de nos petits bébés, vécus par certains parents comme une présentation à Dieu du fruit de leur amour.

On ressent la joie du vieillard Syméon qui reçoit l’enfant dans ses bras, et qui s’exprime par cette prière spontanée : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. »


C’est le fameux « Nunc dimittis », en latin, la prière qu’à la suite de Syméon tous les religieux et religieuses, moines prêtres ou laïcs fervents récitent le soir avant de s’endormir : « Tu peux me laisser m’en aller dans la paix », comme un abandon de leur vie entre les mains de Dieu. C’est vraiment une prière de confiance et de lâcher prise, quand vient la nuit et qu’on ne peut plus rien faire par soi-même. On entre dans la paix de la nuit de Dieu. (Je vous la recommande, c’est une excellente préparation au sommeil, surtout si vous souffrez d’insomnie et que vous n’arrivez pas à lâcher vos écrans ou vos pensées qui tournent en boucle dans votre tête !)

« Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. »

Tout à l’heure, je parlais du « passage de flambeau » à propos de Syméon et de Jésus, de l’AT et du NT. Cette expression associée à la prière du ’’Nunc dimittis’’ m’inspirent une réflexion à propos de celles et ceux qui s’accrochent à leurs fonctions, leurs attributions ou rôles, et n’arrivent pas à passer la main à ceux qui pourraient prendre le relais.

En effet, il n’y a pas que les présidents et les chefs d’Etat africains, du continent asiatique ou d’Amérique qui rempilent mandats sur mandats et parfois sont toujours en place même après avoir atteint l’âge de 70, 80 ou même 90 ans ! Il y a tant de gens qui restent scotchées à leurs galons, à leur poste en entreprise ou association, et aussi, reconnaissons-le, en paroisse dans une fonction qu’ils occupent depuis des décennies, tant et si bien qu’on n’arrive jamais à les décoller !  


Parfois on les appelle des « berniques », du nom de ces coquillages en forme de chapeau chinois qui se fixent sur les rochers ou sur les coques des bateaux, et qui sont extrêmement difficiles à détacher. Mais nous pouvons nous aussi nous sentir concernés par cette difficulté à lâcher prise et à passer le flambeau : Que ce soit pour laisser nos enfants continuer leur trajectoire sans nous et sans nous mêler de leur vie, pour remettre à d’autres la responsabilité de ce que nous avons bâti, pour susciter des vocations nouvelles et des talents nouveaux au lieu d’être l’indéboulonnable, l’indispensable… Comme le répétait un confrère, les cimetières sont pourtant remplis de gens ‘‘indispensables’’ !

Tôt ou tard, nous ferons chacun ou chacune cette expérience : il est temps pour moi de partir en transmettant les clés. Ne pas consentir à cet effacement, c’est préférer la reconnaissance sociale à l’efficacité-fécondité, c’est instrumentaliser les responsabilités pour sa propre gloire au lieu de servir, c’est compromettre l’avenir de ceux qui viendront après – et souvent on agite le prétexte fallacieux qu’il n’y aurait pas de relève suffisante, ou compétente, pour prendre la place. En fait, la réalité, c’est qu’on refuse qu’il puisse y avoir du neuf, du changement, des idées nouvelles et d’autres façons de faire que celles que l’on a toujours pratiquées. Or, la vie, c’est le changement. En refusant de partir, ces gens « indispensables » refusent et empêchent la vie. J’ai admiré la décision du pape Benoît XVI, qui a renoncé en 2013 à sa charge pontificale pour raison de santé et sans doute parce qu’il voyait que l’Eglise avait besoin d’une autre gouvernance : c’était un geste très humble et très courageux et qui a surpris tout le monde, car c’était un fait presque unique dans l’histoire.


Célébrer la Présentation au Temple ce dimanche nous invite donc à rechercher cette liberté spirituelle : savoir discerner quand c’est le moment de raccrocher et comment le faire avec panache. Sacré enjeu! Et Syméon peut sans doute nous aider, lui qui est l’anti-bernique par excellence !

Mais il faut bien comprendre son « Nunc dimittis », « maintenant je peux m’en aller » : Ce n’est pas pour fuir ses tâches quotidiennes et le rôle que Dieu et la vie continuent à confier à toute personne selon ses capacités, comme peuvent l’être des grands-parents par rapport à leurs petits-enfants par exemple. Syméon n’invite pas tout le monde à démissionner en bloc pour jouir du farniente – et en ce cas évidemment toute la société s’écroulerait ! C’est tout autre chose :

Ce qui motive Syméon, ainsi qu’Anne la prophétesse, c’est leur regard. Un regard d’ESPERANCE, un regard de FOI. La spontanéité de Syméon correspond à la joie d’une attente qui enfin se réalise et qu’il concrétise sans attendre davantage. Il prend l’enfant à sa mère, sans s’informer sur qui il est, comment il s’appelle… Il sait, il est en extase devant le plan de Dieu. Ses yeux sont en présence de la lumière qui éclaire et n’éblouit pas, la lumière qui permet aux mal-voyants de voir la réalité (Isaïe 42. 6).

Le regard de Syméon est un regard qui s’était exercé pendant des années, toute sa vie, à discerner le moindre rayon de lumière dans la nuit du temps, la nuit du monde. Tant de choses laides et tristes obscurcissent notre monde. On peut être tenté par le désespoir ou le fatalisme, la résignation. Mais Syméon ne veut pas tomber là-dedans : il attend, il scrute le moment où la nuit fait place au jour, comme les veilleurs guettent l’aurore. Il croit de toute la force de son âme que la lumière viendra. Que le Sauveur viendra. Sa foi est déjà comme une clarté, faible peut-être mais assurée.

Et comme il s’est entraîné à voir la lumière dans l’obscurité, quand Jésus est entré dans le Temple porté par ses parents, il a su tout de suite que le plus grand jour de sa vie était arrivé. Il pouvait désormais passer le flambeau, son rôle était achevé, dans une plénitude de vie.


Frères et sœurs, avons-nous ce regard de Syméon, savons-nous discerner là où il y a un peu de lumière dans le noir et les ténèbres qui enveloppent souvent le monde et nos vies ?

Il faut du temps pour que nos yeux s’habituent à la moindre lumière. Et il faut accepter ce temps si on veut discerner les objets. Dans nos vies, il en est de même. Il y a toujours un peu de la lumière de Dieu et c’est vers elle, et par la foi, que je dois et que je peux ouvrir grands les yeux, même s’il nous faut à nous aussi une longue et patiente attente. La Lumière qui est le Christ viendra aussi un jour – et déjà maintenant, aujourd’hui, à notre rencontre. Les cierges de la procession évoquent tout cela – une tradition qui remonte au 11è siècle.


Dernière chose : je pense à nos vieux parents ou grands-parents. Eux aussi ont pu dire au moment de quitter ce monde, après une vie remplie d’amour et de don d’eux-mêmes : « Maintenant, ô Maître, tu peux laisser ton serviteur – ta servante s’en aller dans la paix, car j’ai vu ton salut, la Lumière qui éclaire les nations. » Mais parfois cela ne se passe pas ainsi : Combien de fois n’ai-je pas entendu dans les maisons de repos ou chez elles des personnes très âgées et souffrant de plein d’infirmités se plaindre en disant : « Le bon Dieu m’a oubliée. Je connais plus de monde là-haut qu’ici-bas. Je ne sais pas ce que je fais encore ici. Je ne sers plus à rien. Je prie Dieu chaque jour de venir me chercher. »

Il ne faut pas se le cacher, avec l’allongement de la durée de la vie du aux progrès de la médecine : c’est un vrai problème, et même un drame pour beaucoup de nos vieillards qui n’ont plus de raisons de vivre - surtout s’ils se sentent abandonnés des leurs. Pour eux, la lumière est au plus bas, et parfois ils ne la voient même plus du tout. Cela nous renvoie à notre responsabilité, car c’est grâce à eux que nous pouvons voir la lumière puisqu’ils nous ont transmis leur foi : 

Aussi, sans nous détourner de cette question en l’évacuant, par exemple en prônant le suicide assisté, il nous revient, je pense, de leur rendre, à ces aînés diminués et affaiblis, un peu de cette lumière qu’ils nous ont partagée si généreusement quand nous étions petits : une présence d’amour qui allège leur fardeau, une écoute qui ne les juge pas sur leurs capacités cognitives et physiques défaillantes, un témoignage et un merci exprimé devant eux de ce qu’ils nous ont apporté quand ils étaient vaillants et plein d’espoir pour nous. Alors ils pourront dire eux aussi : « Mes yeux ont vu la lumière qui éclaire, je suis dans la paix, quand tu veux Seigneur : je suis prêt. »

Amen.

CHANT A ECOUTER AVANT DE DORMIR : cliquez sur l'image






Commentaires

LES HOMELIES - ANNEE B

LES HOMELIES - ANNEE A