B DIM 13 - Foule sentimentale

 


Aujourd’hui, c’est la cohue à Francorchamps. Comme chaque année, les "24 heures" attirent des milliers de personnes pour voir le spectacle et admirer les belles mécaniques, les exploits des sportifs.

Je ne sais pas si vous avez déjà été pris dans une foule, un rassemblement comme celui-là ou une autre manifestation : vous remarquerez immédiatement que tout le monde est braqué sur l’événement, et ne s’intéresse absolument pas à tout le reste, que ce soit l’écologie, la pollution, ou les autres problèmes du monde : les malades, les pauvres, ceux qui souffrent… Les spectateurs sont dans leur bulle, leur monde à eux. Ils ont d’ailleurs payé pour y être !

La foule des admirateurs qui se pressent autour de Jésus est un peu dans la même situation : On vient voir le magicien, le guérisseur, le prophète ; peu importe le reste du monde. Les foules sont anonymes et rejettent aussi les autres dans l’anonymat.


Les spectateurs n’ont donc pas remarqué la pauvre femme qui se glisse parmi eux, discrètement, le dos voûté et le visage masqué d’un voile pour ne pas attirer l’attention. Car elle est dans la honte : elle souffre d’une affection gynécologique, l’écoulement de sang – des règles ininterrompues qui la rendent impure aux yeux de la Loi de Moïse et qui la bannit de la société. L’impureté rituelle se transmet en effet à tout qui entre en contact avec la personne impure, ne serait-ce qu’en étant touché de son ombre ; et pour pouvoir à nouveau être déclaré pur et participer aux sacrifices religieux, celui qui aurait été contaminé par ce contact devait s’infliger de nombreuses ablutions et offrandes aux prêtres…

(Entre parenthèses, soulignons au passage la situation discriminatoire et peu enviable de la gent féminine, dans cette culture qui a perduré des siècles et dans de nombreuses régions du monde, où les femmes sont mises à l’écart durant toute la période de leurs règles.)

Arrêtons-nous là. Chers frères et sœurs, depuis que je suis aumônier à la clinique de Malmedy, j’observe plus intensément encore combien les malades sont en-dehors du monde, en-dehors de la vie sociale. Le monde tourne à toute vitesse, les foules courent par-ci, par-là, avides de spectacles et de sensations ; eux, les malades - mais aussi les pauvres, les mal-logés, les minimexés, les handicapés, les vieillards dans les homes… tous ceux-là sont relégués chez eux ou dans des institutions, et ne se mêlent pas à l’effervescence des autres qui courent les boutiques de shopping, les salles de théâtre, les concerts, les voyages… soit parce qu’ils ne peuvent pas se le permettre, soit tout simplement parce qu’ils sont honte de ce qu’ils sont – et qu’ils redoutent le regard des autres !

On est là dans la situation de la pauvre femme qui souffre d’hémorragies, et de la foule qui se presse autour de Jésus. Situation banale : on ne voit pas les malheureux, soit parce qu’ils se cachent, ou parce qu’on n’a pas envie de les voir.


C’est ce qui rend le geste de la femme encore plus étonnant : elle a l’audace – le culot, non seulement d’oser se glisser au milieu de cette foule qui l’aurait peut-être lapidée si elle avait été reconnue pour ce qu’elle était - une impure, donc c’est déjà une action très téméraire ; mais de plus elle ose toucher (par derrière) le Maître, l’homme de Dieu, ou en tout cas les franges de son vêtement * - ce qui rend automatiquement Jésus impur !  Car la femme se disait : « Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée. »


Ce qu’elle fait, donc. Et là, Jésus s’arrête, et avec lui le monde et la foule s’arrête aussi. « Qui m’a touché ? J’ai senti une force sortir de moi. »

Et d’un coup, toute cette foule, tous ces regards sont braqués sur la femme qui s’avance face Jésus, consciente du changement dans son corps mais aussi dans son esprit : elle se sent comme les autres maintenant, elle n’a plus honte. Elle n’est plus ignorée, plongée dans l’anonymat : elle existe enfin. Mais elle craint les réactions des gens, de la foule, et peut-être aussi celle de Jésus à qui elle a en quelque sorte forcé la main… Elle avoue la vérité, prosternée devant le Seigneur qui lui dit : « Ma fille, ta foi t’a sauvée ; va en paix et sois guérie de ton mal » (tu dois continuer à croire au don que tu as reçu).

C’est pour moi frappant de voir comment Jésus sort les gens de l’anonymat, de l’indifférence : spécialement les pauvres, les souffrant, les « invisibles ». Quand une personne s’approche de lui ou qu’il s’approche d’elle, il la fait exister. ‘Ex-stare’, étymologiquement, mettre debout, tirer du néant. Rendre à la vie (cf la fresque de la création au plafond de la chapelle Sixtine au Vatican, qui montre Dieu donnant la vie à Adam en l’effleurant de son doigt tendu).


Mais tout le monde a entendu la confession de la femme hémorroïsse ; Jésus est donc impur pour les gens. Jaïre, ce chef de synagogue qui était venu supplier Jésus pour sa fille mourante avant d’être interrompu par cette intervention de la femme, Jaïre donc n’a pas dû manquer de le remarquer. Et ce n’est pas anodin : Je crois que l’évangéliste Marc a fait exprès d’imbriquer les deux récits, celui de la femme impure car souffrant d’hémorragies et celui de la fille du chef de la synagogue – autrement dit, un représentant officiel du judaïsme et en quelque sorte garant de la Loi. Marc a voulu sans doute qu’on y lise le passage de la synagogue (le judaïsme) - à l’église, des prescriptions de la Loi - à l’esprit qui rend libre, de l’autojustification orgueilleuse qui exclut - à l’amour qui réintègre.


Donc, lui le chef respecté de la synagogue, va lui aussi se mouiller totalement en faisant entrer Jésus dans sa maison. Il ose désobéir à cet interdit de la Torah sur la pureté rituelle, car la vie de sa fille est en jeu. Voilà une condition pour bénéficier de la résurrection offerte par le Christ : se libérer des interdits religieux qui sont contre la vie. Interdits alimentaires, vestimentaires, sexuels, sociaux, rituels, liturgiques… : tant de prescriptions purement humaines – présentées comme divines – dans beaucoup de cultures juives orthodoxes, islamiques, chrétiennes, hindouistes… et qui continuent d’étouffer les peuples (les femmes en particulier) et de les minoriser, de les empêcher d’être adultes !

Ces relevailles de la fillette se font dans l’intimité de sa chambre, à la maison, et non en public devant l’assemblée de la synagogue. La maison sera le lieu des premières assemblées des chrétiens où se donnera l’enseignement de la foi aux catéchumènes, les nouveaux convertis. « Talita koum » ; avec beaucoup de douceur, Jésus prend la petite par la main, comme il nous prend chacun pour nous relever de nos morts. Accompagner quelqu'un vers le baptême, c'est aussi le prendre par la main...


Dernier détail enfin : Jésus demande en finale aux parents de faire manger leur fille. Il faut en effet nourrir les catéchumènes adultes (ou enfants) après leur baptême. Notre responsabilité en Église est de ne pas les laisser tomber, mais de les accompagner, en les nourrissant du pain de la Parole, de l’amitié partagée dans la communauté locale, de la solidarité vécue avec les plus démunis. Tant de paroisses baptisent sans nourrir après ! Si nous n’offrons pas en Église une nourriture solide (sur tous les plans) à ceux qui entendent l’appel du Christ, nous ne nous rendrons même pas compte qu’ils repartent sur la pointe des pieds, en silence…

Et tous ceux qui s’approchent – même de loin – du Christ ou de l’Eglise pour en toucher les franges, par une curiosité qui pourrait être une ouverture future à une foi authentique, au nom de quelle prétendue « impureté » ou non-conformité les repousserions-nous ?  

… Ces touristes qui visitent nos églises en été, ces jeunes qui posent des questions sur la religion chrétienne sans être baptisés ou qui sont issus de famille musulmane, ou encore ces gens du peuple qui ont la foi du charbonnier et qui vont à Harre à Banneux ou ailleurs invoquer les saints du paradis car ils n’osent s’adresser à ce Dieu des églises qui leur paraît trop lointain… comment les regardons-nous, comment les accueillons-nous ?

 


=> Ces rencontres que nous pouvons faire en été peuvent toutes devenir créatrices de vie et d’inclusion dans nos communautés, nos ‘maisons’. À condition de passer de la foule -quelle soit ou non sentimentale- à la rencontre personnelle, et en y associant évidemment le Seigneur.

 Bonnes vacances !


Foule Sentimentale par Alain Souchon


Oh la la la vie en rose
Le rose qu'on nous propose
D'avoir les quantités d'choses
Qui donnent envie d'autre chose
Aïe, on nous fait croire
Que le bonheur c'est d'avoir
De l'avoir plein nos armoires
Dérisions de nous dérisoires car

Foule sentimentale
On a soif d'idéal
Attirée par les étoiles, les voiles
Que des choses pas commerciales
Foule sentimentale
Il faut voir comme on nous parle
Comme on nous parle

 

Il se dégage
De ces cartons d'emballage
Des gens lavés, hors d'usage
Et tristes et sans aucun avantage

On nous inflige
Des désirs qui nous affligent
On nous prend faut pas déconner dès qu'on est né
Pour des cons alors qu'on est
Des
Foules sentimentales
Avec soif d'idéal
Attirées par les étoiles, les voiles
Que des choses pas commerciales
Foule sentimentale
Il faut voir comme on nous parle

 

On nous Claudia Schieffer
On nous Paul-Loup Sulitzer
Oh le mal qu'on peut nous faire
Et qui ravagea la moukère
Du ciel dévale
Un désir qui nous emballe
Pour demain nos enfants pâles
Un mieux, un rêve, un cheval

Foule sentimentale
On a soif d'idéal
Attirée par les étoiles, les voiles
Que des choses pas commerciales
Foule sentimentale
Il faut voir comme on nous parle
Comme on nous parle

 

(*) Les « tsitsits » en hébreu, qui représentent les commandements de la Loi de Dieu).

 

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