C DIM 08 - "Je te vois!"

 HOMELIE 8ème DIMANCHE ORD. - "JE TE VOIS..."


À quelques jours de l’entrée en Carême, les textes bibliques de ce dimanche nous proposent un chemin de conversion. Ils nous invitent au discernement et à l’humilité.

Dans la première lecture, Ben Sira nous parle du tamis qui filtre les déchets. Nous avons, nous aussi, à faire le tri dans notre vie : pensons à tous ces bavardages futiles, ces publicités tapageuses, ces slogans que nous entendons à longueur de journée. Tout cela nous empêche de voir clair dans notre vie. Certaines paroles, certains commérages révèlent l’étroitesse d’esprit de celui qui les prononce. C’est ce que dénonce Ben Sira.

À ce propos, la Parole aujourd’hui nous invite à un examen ophtalmologiqueTout le monde connaît la parabole de la paille et de la poutre. Il est question aussi des aveugles qui guident d’autres aveugles, risquant ainsi certainement de tomber dans un trou.

Comment suis-je concerné par ces sentences et ces avertissements ?

Eh bien, je pense que j’ai probablement une poutre ou deux dans mon œil, peut-être même tout un atelier de menuiserie ! Je crois voir clair, alors que mon regard est peut-être obscurci par des préjugés, des cadres de pensée qui me viennent de mon éducation ou de ma formation religieuse.

Par exemple, le mois passé, je suis allé au mariage d’une amie d’une de mes amies. Rien d’étonnant à cela. Sauf que la fille se mariait… avec une autre fille, dans une chapelle au milieu de la forêt du côté de Virton. Je suis allé en partie parce que j’étais intrigué, me demandant comment allait se dérouler la cérémonie. Je dois avouer que si j’avais déjà accompagné pas mal de couples divorcés et prié avec eux pour leur union, je n’avais encore jamais eu affaire à un couple homosexuel, et je redoutais un peu que cela me tombe dessus un jour…

Eh bien, je dois avouer que j’ai été touché et même ému par la célébration et surtout par la sincérité, la profondeur et l’humilité du couple (croyantes toutes les deux), qui se révélait dans toutes leurs interventions ainsi que dans celles de leurs proches, dont une maman qui avait fait tout un chemin pour comprendre sa fille… J’ai rarement vécu une telle intensité spirituelle au cours de tous les mariages que j’ai célébrés ; il est vrai que le prêtre avait mené cela de main de maître, avec des paroles fortes et justes, et l’animatrice de la cérémonie avait introduit des gestes rituels très simples et très beaux... Dieu était véritablement présent dans la cérémonie, et non pas comme une simple garniture (comme c’est hélas souvent le cas dans les mariages classiques que nous sommes appelés à célébrer). Bref, je suis sorti de là bouleversé. Comme des écailles qui tombaient de mes yeux. Je crois que je n’aurai plus peur si on me demandait ce service de prière, qu’il soit ou non sacramentel. J’ai l’impression que Dieu s’en fout.

La première lecture nous recommandait de ne pas faire l’éloge de quelqu’un avant qu’il ait parlé et exprimé ses sentiments. En effet, ses propos peuvent révéler le meilleur et le pire : les « petits côtés » comme les propos racistes, les jugements, la vanité orgueilleuse… Ou une authentique bienveillance, un altruisme et un respect des autres. De plus, c’est aux fruits qu’on estime l’arbre.

L’Évangile nous invite à faire un pas de plus : Nous comprenons bien qu’un aveugle ne peut pas guider un autre aveugle. Or, nous avons tous nos « angles morts », ce défaut de la vision qui nous empêche de voir vraiment qui est l’autre, ce qu’il ressent, de nous mettre à sa place.  

Juger les autres, c’est de l’hypocrisie, c’est vouloir se mettre à la place de Dieu. Nous sommes trop mal placés pour le faire. Le jugement appartient à Dieu seul. À notre jugement, il manque la miséricorde. La miséricorde, nous la découvrons quand nous comprenons que nous avons une poutre dans notre œil, qui demande un examen de conscience de notre part et peut-être une bonne confession.

Pour nous aider dans cet examen ophtalmologique, nous avons heureusement le Christ, il est « le Chemin, la Vérité et la Vie » ; c’est par lui que nous allons au Père ; c’est en mettant nos pas dans les siens que nous sommes assurés et évitons de tomber dans les trous nombreux autour de nous ; Jésus est notre lumière ; il nous guide pour nous aider à discerner et à sortir de notre aveuglement.

Le malvoyant ne peut avancer dans la vie qu’en s’appuyant sur quelqu’un qui y voit bien, quelqu’un qui sait anticiper les moindres obstacles. C’est pour cela que Jésus recommande à ses disciples de bien choisir leur maître, celui qui sera leur guide sur la route du règne de Dieu.

Cette recommandation m’interpelle aussi comme prêtre, pasteur du peuple qui m’est confié. Suis-je assez bien formé, comme dit Jésus, et ai-je le souci de me former (pas seulement intellectuellement!) continuellement pour « être comme mon maître » ? C’est une vraie interpellation ! Je peux sans m’en rendre compte transmettre de façon tronquée l’enseignement de Jésus à cause de mes aveuglements peut-être…

Interpellation aussi pour tous ceux qui ont mission de former et d’éduquer, dans la foi et dans les valeurs chrétiennes, ceux qui leur sont confiés : parents, enseignants, catéchistes… ! « Quelle responsabilité », confiait une catéchiste de notre groupe de lectio divina ce vendredi.

Après l’examen ophtalmologique, l’examen cardiologique : « L’homme bon tire le bien de son cœur qui est bon, et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c’est ce qui vient du cœur. »

Comment va votre cœur, frères et sœurs ? Bat-il bien au rythme de celui de Jésus ?  Comme le bon arbre qui ne peut donner « de fruit pourri », ce qui est visé, c’est la cohérence entre la foi et la vie, entre ce qui est extérieur et ce qui est intérieur. Il ne suffit pas d’avoir de bons sentiments : notre qualité chrétienne se manifeste en vérité dans notre capacité d’amour fraternel, de service et de témoignage. Au jour de la Pentecôte, l’Esprit Saint a été répandu en abondance pour produire des fruits qui demeurent.

Cet Évangile rejoint notre Église dans ce qu’elle vit actuellement. Tout au long des siècles, elle a connu des crises très graves, des hérésies, des abus, des contre-témoignages de toutes sortes. Mais le Seigneur a toujours mis sur sa route les personnes, les saints qu’il fallait pour l’aider à se remettre en accord avec l’Évangile. Nous chrétiens d’aujourd’hui, nous sommes envoyés non pour dénoncer ou accuser mais pour être les témoins et les messagers de l’Évangile auprès de tous ceux et celles qui nous entourent.

Pour comprendre cet Évangile, c’est vers le Christ qu’il nous faut regarder : tout au long des Évangiles, nous le voyons accueillir les publicains, les pécheurs, les infréquentables de toutes sortes. Il aurait pu leur reprocher leur mauvaise vie et les rejeter. Mais lui-même nous dit qu’il est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus. L’Eglise, comme dit Tim Guénard, un gangster converti, l’Eglise c’est la plus grande mafia du monde, et c’est Jésus le chef de gang : Il veut emmener tout le monde au ciel, il a fait un grand ‘casse’ par sa mort sur la croix, pour sauver tout le monde, c’est sa victoire dont parle Paul (2è lecture). Et dans l’Eglise, il accueille tous les tordus, les salauds et les malades du cœur, pour les guérir et les sauver. C’est un hôpital de guerre, disait le pape François.


Seigneur, tu es la Lumière du monde. La Lumière par qui nous voyons la lumière, celle de ton Evangile que nous voulons accueillir en nous.

Guéris et élargis nos regards, ouvre nos cœurs à toutes les souffrances et à tous les besoins de nos frères et de nos sœurs… Nous te prions particulièrement pour ceux qui ont des responsabilités dans l’Eglise : qu’ils soient d’humbles serviteurs de leurs frères et les guident avec sagesse. Nous te prions pour nous tous ici rassemblés, et pour ceux qui n’ont pu nous rejoindre : Fais de chacun un arbre fort que Dieu nourrit, un arbre chargé de fruits très beaux : tendresse, bonté, justice, paix, amour…

Enfin, Seigneur, nous te confions la Russie et l’Ukraine : protège tous les peuples dans la tourmente, et inspire de justes décisions à tous les responsables mondiaux pour rétablir la paix. Amen.

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