C PÂQUES 02 - D'un même coeur !
Beaucoup de personnes, depuis lundi dernier, m’ont
partagé leur émotion à l’annonce du décès du pape François. Sa mort ne laisse
personne indifférent, même chez ceux qui se disent ou se sentent loin de l’Eglise.
Il est clair que pour beaucoup de catholiques, le pape –
et François tout particulièrement - est une figure paternelle, chaleureuse et
rassurante. On se sent un peu orphelin, du coup. Un peu moins sans doute que
lors du décès du pape Jean-Paul II dont le pontificat avait été si long que
beaucoup surtout parmi les jeunes n’avaient connu que lui comme pape…
François appartient désormais à l’histoire qui jugera
son action. Mais il laisse aussi une trace profonde dans le cœur de très
nombreux fidèles, de toutes races, langues, peuples et nations. De toutes
catégories sociales, de toute orientation sexuelle et même de toute tendance
politique, à certaines exceptions près car la politique n’est-elle pas malheureusement
souvent l’art de diviser plutôt que celui de rassembler ? De cristalliser et
durcir les oppositions plutôt que de chercher les terrains d’entente et de
favoriser le dialogue ?
Un évêque interrogé à propos du décès du pape François
et de la perspective prochaine du conclave qui va élire son successeur,
martelait fort à propos qu’il ne fallait pas que cette élection soit vue
comme une pure et simple affaire de politique, comme peut l’être par
ex. l’élection d’un président des Etats-Unis ou un dirigeant d’une
multinationale quelconque.
En effet, dès l’annonce du décès du pape, et même
avant, les commentaires allaient déjà bon train dans les médias et les « cafés
du coin » pour mettre en avant les jeux de pouvoir et d’influence à la
Curie, les calculs de type politique, justement, et les rivalités entre factions
progressistes, conservatrices et traditionnaliste qui se disputeraient le droit
de choisir celui qui incarnera le pouvoir suprême dans l’Eglise et donc
favoriserait leur tendance…
Je dois dire que ces considérations nauséeuses me font
mal au cœur. Ce n’est pas ainsi que je vois l’Eglise ma mère,
même si parmi ses hauts dignitaires les cardinaux il doit bien avoir quelques-uns
de ces froids calculateurs, comme dans toute société humaine, hélas. Mais je
suis persuadé, au risque que l’on me considère comme un naïf ou un doux rêveur,
que l’Esprit Saint est bien l’acteur principal des conclaves, comme le
montre à mon avis le choix des 5 ou 6 derniers papes qui – chacun à sa manière
et avec ses accents propres - ont tous été de grands serviteurs de l’Eglise de
Dieu pour la faire avancer sur les chemins du Royaume, et des défenseurs de l’Homme,
l’humain dans sa dignité intrinsèque. Bien sûr, ils ont été aussi des hommes
avec leurs limites et des faiblesses, comme l’ont été Pierre et les Apôtres,
mais c’est toujours le même Esprit qui à travers eux conduit l’Eglise du
Christ.
Alors, de grâce, ne confondons pas l’Eglise
catholique avec une mafia napolitaine ou sicilienne qui se choisit un nouveau
parrain, comme semblent la décrire certains journalistes qui
cherchent uniquement à caresser les instincts du public avec leur plume au vitriol !
Mais bon, pour les fans de séries télé genre Da Vinci Code ou de films comme celui intitulé « Conclave », il sera toujours difficile ou impossible de les persuader que l’Eglise n’est pas seulement humaine…
Tout ça donc pour souligner qu’il ne fallait pas voir
l’élection du prochain pape comme une pure et simple affaire de politique
politicienne ou ecclésiastique.
En fait, c’est de la nature même de l’Eglise qu’il
est question :
-
Soit on la regarde comme une pure
entreprise humaine, une institution comme peuvent l’être tant d’autres, de
surcroît multinationale et multiculturelle, avec une hiérarchie et une
structure de fonctionnement, des ministères, des lois et des tribunaux comme un
Etat – et c’est aussi ce qu’elle est ; si on ne considère que cet
aspect, on peut évidemment supputer toutes les tractations sordides qui
dans nos sociétés précèdent la nomination d’un dirigeant…
-
Soit on la voit aussi et surtout comme une communauté d’appelés
et de sauvés par le Christ, lesquels, ensemble, avec les pasteurs qui leurs
sont envoyés par Dieu, forment son Corps mystique ; une communion
fraternelle dans laquelle les dons de l’Esprit-Saint sont reçus et partagés
pour être au service de toute l’humanité et en particulier des plus faibles, des
pauvres, des souffrants et pour annoncer au monde entier la Bonne Nouvelle du
Royaume où Dieu veut rassembler tous ses enfants dans la justice et la paix et
leur donner la vie éternelle.
Cette communauté (idéale) trouve
son modèle et son archétype dans la première communauté chrétienne du
Nouveau Testament, celle que décrit St Luc dans les Actes. Elle est fondée
sur le commandement du Christ : « Aimez-vous les uns les autres comme
je vous ai aimés ». « À cet amour on verra que vous êtes mes
disciples ». « Que tous soient Un ». « Que celui qui veut
être parmi vous le premier soit le serviteur de tous. » etc.
Dans les caractéristiques de cette communauté, ses notes principales, Luc souligne 4 éléments qui sont toujours à l’heure actuelle les quatre bases de la vie communautaire, comme une quadruple fidélité :
·
à l’écoute de l'enseignement des apôtres.
…
·
à la communion (amour) fraternelle et au
partage des biens. ...
·
à la fraction du pain, c'est-à-dire à
l’Eucharistie. ...
- aux
prières.
Luc résume cette façon de
vivre en tant que communauté rassemblée par et autour du Christ par cette
expression : « Ils n’avaient qu’un seul cœur et qu’une seule âme ».
On la retrouve dans l’extrait de ce dimanche : « Tous les croyants, d’un
même cœur, se tenaient… etc. … s’attachant au Seigneur », - et
dans beaucoup d’autres passages. J’adore cette expression, car elle me fait
penser que l’Eglise a un cœur, et que ce cœur c’est Jésus, c’est l’Amour.
Ce n’est d’ailleurs pas anodin de constater que l’ultime encyclique du pape
François, un peu comme son testament, porte sur le Sacré-Cœur de Jésus : « Dilexit nos », « il nous a aimés ».
On a évidemment compris
que cette description des Actes est idyllique : l’Eglise est une
utopie en marche, toujours constamment en voie de réalisation – mais jamais
achevée. Des tensions, des conflits, il y en a eu dès les débuts aussi – et Luc
ne les cache pas. Pierre, le premier pape, s’est fait par exemple rabrouer
vertement par Paul à propos de son attitude chèvrechoutiste envers les
chrétiens d’origine païenne et ceux d’origine juive…
Mais Luc, en disciple bien
formé et inspiré, n’arrête jamais en même temps de témoigner que c’est l’Esprit
Saint, lui d’abord et en tant qu’acteur principal, qui est à l’œuvre et
qui construit l’Eglise, en la conduisant entre autres par ses pasteurs. Luc en
est totalement convaincu et veut nous faire partager cette conviction de foi.
Il est vrai que le bel idéal d’une unité communionnelle s’est effectivement bien lézardé sinon écroulé dans la longue histoire mouvementée de l’Eglise, déchirée par les schismes, les guerres de religion et tant d’autres rivalités et ruptures qui ont fait éclater la Communion en une multitude de grandes ou petites Eglises particulières éparpillées comme un puzzle. (D’après le Center for the Study of Global Christianity, il existe plus de 45 000 dénominations chrétiennes dans le monde, incluant des Églises orthodoxes, anglicanes, vieux-catholique, protestantes évangéliques, luthériennes, réformées, baptistes, pentecôtistes, adventistes etc.). (*)
On voit que le rêve d’être « un seul cœur, une seule âme » est bien compliqué à réaliser ! Comme celui de former une assemblée autour du même pain, du même vin, pour devenir ensemble le Corps du Christ où tous les membres ont leur place et sont nécessaires aux autres… Quand quelqu’un manque à l’appel, il fracture l’Unité, il fait un trou dans la Tunique sans couture du Christ.
C’est apparemment ce que l’apôtre Thomas a mis du temps à comprendre, lui qui était absent lors de la première assemblée dominicale où Jésus ressuscité s’était montré aux autres. Il lui a fallu rejoindre la communauté le dimanche suivant, c’est-à-dire aujourd’hui, pour faire avec elle l’expérience de la Présence du Ressuscité parmi les frères qui n’ont qu’un cœur… On le voit, cet absentéisme à la pratique dominicale ne date pas d’hier ! Il pose toujours et plus que jamais question à l’heure où cette désertion devient majoritaire, massive : Sans cette rencontre pascale, cette expérience fraternelle de prière et de partage, comment aimer l’Église, la pratiquer, vivre en communion avec elle ?
« Un seul cœur, une seule âme » : nous n’avons pas fini de laisser résonner cet appel de Luc !
Je termine avec ce tout dernier mot du pape François adressé dimanche aux fidèles du monde entier depuis le balcon de la basilique Saint-Pierre : « Buona Pasqua ! » ...Merci cher pape François, et priez pour que nous aussi, et tous les disciples de Jésus Christ, nous soyons un seul cœur, une seule âme, autour de votre futur successeur ! Amen.
« Le Concile nous rappelle que l’Église, à l’image de la Trinité, est communion (cf. Lumen gentium, n. 4.13). Le diable, au contraire, veut semer l’ivraie de la division. Ne cédons pas à ses flatteries, ne cédons pas à la tentation de la polarisation. Combien de fois, après le Concile, les chrétiens se sont-ils efforcés de choisir un camp dans l’Église, sans se rendre compte qu’ils déchiraient le cœur de leur Mère ! Combien de fois a-t-on préféré être « supporter de son propre groupe » plutôt que serviteurs de tous, progressistes et conservateurs plutôt que frères et sœurs, « de droite » ou « de gauche » plutôt que de Jésus ; s’ériger en « gardiens de la vérité » ou « solistes de la nouveauté », plutôt que de se reconnaître comme enfants humbles et reconnaissants de la Sainte Mère l’Église. Le Seigneur ne nous veut pas ainsi. Tous, nous sommes tous fils de Dieu, tous frères dans l’Église, tous Église, tous. »
Homélie du
Pape François pour le 60° anniversaire du Concile Vatican II,
Basilique
Saint-Pierre, Mardi 11 octobre 2022
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