B DIM 24 - Coup de froid !

 

Comme il fait froid le matin quand on se réveille, n’est-ce pas ? On est passé d’un coup de l’été à l’automne… Et, comme pour en rajouter, dans l’Evangile d’aujourd’hui, Jésus jette un coup de froid : « Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté, qu’il soit tué, et que trois jours après il ressuscite. »

Comme Pierre, nous aurions préféré que le Seigneur fasse l’économie de ces souffrances et de cette mort ignominieuse ! N’aurait-il pas pu nous sauver d’une autre manière ? C’est un enseignement quand même dur à avaler. « Il fallait… »

Cela heurte aussi notre conception de la religion et de la vie chrétienne, que nous confondrions volontiers avec une réussite sociale et familiale, un bonheur garanti par un ensemble de règles enseignées au catéchisme : sois gentil, aime ton prochain, ne fait pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse… Je ne me souviens pas qu’on nous ait enseigné qu’il fallait prendre sa croix ? …Sûr que si Jésus voulait faire de la politique, attirer des candidats et récolter des voix, ce n’est pas vraiment le bon moyen !

À toutes les époques, on a retrouvé cette confusion. À part chez une seule espèce de chrétiens, les saints, l’Eglise a toujours voulu s’installer dans un fonctionnement et une respectabilité confortables : cela a produit de magnifiques monuments, mais aussi des relations tendues avec la société civile car entre l’Eglise et les princes il y a eu constamment des luttes de pouvoir. Le cléricalisme est le fruit de cette confusion où l’on privilégie davantage un bonheur terrestre (avec son corollaire le pouvoir et la domination, le prestige), que le Royaume des cieux, moins évident. Nous n’en sommes pas encore sortis : après 20 siècles, ce désir de sécurité, d’être intouchables, à l’abri, et donc aussi ce désir de structures fortes, d’une Eglise-forteresse, est encore si profondément inscrit chez les chrétiens, que le cléricalisme a encore de beaux jours devant lui, malgré les appels du pape François à opérer une décléricalisation de toute l’Eglise dans son entièreté.

Pour François, il lui paraît évident que tous les problèmes actuels de l’Eglise, entre autres les abus sexuels commis par des prêtres, proviennent en grande partie de ce cléricalisme qui a marqué tant de générations. Personnellement, je rejoins cette analyse ; la question des abus (enfin révélés mais combien n’en a-t-il pas eu dans le passé ?) -cette question n’est pas simplement liée au célibat obligatoire des clercs, mais aussi et surtout, me semble-t-il, à une forme d’organisation et de fonctionnement de l’Eglise, qui met des hommes en situation de pouvoir sans partage et sans contrôle direct. Surtout, le pouvoir sur les consciences, qui est une forme extrêmement puissante et dangereuse, car elle peut tourner à la manipulation – et ouvrir la porte aux abus. Un triste exemple vient de nous être donné avec l'abbé Pierre, malheureusement.

C’est ce qui ressort d’une formation que tous les acteurs pastoraux du diocèse ont eue à Liège avec une experte belge enseignant au Canada à l’université de Monréal, Mme Karlijn Masure. Je ne veux pas m’étendre sur le sujet, c’est suffisamment douloureux, surtout pour les victimes ; mais je voulais juste établir le lien avec l’attitude du Christ qui refuse tout pouvoir, même sur sa propre vie, sa propre intégrité, pour laisser seulement l’amour être manifesté : un amour qui accepte d’être pauvre, vulnérable, qui s’offre sans contrepartie, jusqu’à souffrir et même mourir – d’abord à soi (le fameux « qu’il renonce à lui-même ») puis à ses biens, ses capacités ou pouvoirs, sa liberté, sa vie enfin. C’est exactement l’inverse du cléricalisme.

Il n’y a pas de véritable amour, que ce soit en Eglise ou dans les couples, les familles, les associations… autre que celui -ci où l’on se vide de soi, où l’on se rend vulnérable pour accueillir l’autre, jusque même dans sa violence quand elle surgit. Ce qui n’empêche pas de se protéger ou de se défendre, en sauvegardant sa dignité. C’est une question de respect de soi-même. C’est ce que fait Jésus : il ne répond pas à la violence par la violence, ni au mépris par le mépris – dans ce cas-là, le mal gagnerait deux fois - , mais il s’est tenu droit devant ses agresseurs, leur imposant son Humanité qu’ils ne voulaient pas voir : il a demandé la justice : « si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » (Jn 18,23) - Il a fait face à Pilate, jusqu’à le déstabiliser par ses paroles, son regard, son silence.

Bien sûr, cela ne l’a pas empêché d’être crucifié. Mais le ver a été dès ce moment introduit dans la pomme, le pouvoir des méchants n’est plus automatiquement le plus fort : le combat de la non-violence digne subvertit de l’intérieur le cycle infernal des représailles, des vengeances, des violences pour com-panser d’autres violences. La Résurrection du Christ a en quelque sorte signé la victoire de l’amour sur la haine, promesse qui s’appliquera à tous ceux qui s’engagent sur ce chemin.

L’amour désarme la haine, d’accord, mais il faut en payer le prix. Et ce n’est certes pas facile, car tant qu’on n’y est pas confronté en personne, qui sait comment nous allons réagir vraiment en cas d’insultes, de harcèlement, de dérision meurtrière ?

On ne peut lire sans trembler : « heureux êtes-vous si l’on persécute… ». Et pourtant c’est en le lisant, en le disant, que la force nous est donnée d’en-haut : « Quand on vous livrera, ne vous inquiétez pas de savoir ce que vous direz ni comment vous le direz : ce que vous aurez à dire vous sera donné à cette heure-là. Car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous » (Mt 10,19-20).

Oui, se défendre en croyant défendre Dieu ou l’Eglise, ce n’est pas invectiver ‘’les autres’’, adversaires présumés ou déclarés de la foi chrétienne, ni les caricaturer comme nous nous sommes sentis quelquefois caricaturés et incompris, moqués. Tendre l’autre joue à celui qui me frappe, n’est-ce pas lui montrer une joue non meurtrie par son insulte, non salie par son crachat - lui montrer ma vraie dignité d’enfant de Dieu, et en appeler à notre humanité commune ?

Pour conclure, je cite Monique Baujard sur RCF ce matin qui commente la parole ‘Qu’il prenne sa croix et qu’il me suive’ : « Soyons honnêtes, dit-elle, pour la pensée humaine, c’est contre-intuitif ! Comprendre qu’un renoncement à soi, à ses intérêts, à ses plaisirs, peut ouvrir un chemin de vie demande un effort, une réelle conversion pour quitter nos pensées humaines et adopter le point de vue de Dieu. »

Chers frères et sœurs, puisque nous sommes dans le « mois pour la Création » (et en plus dans la cité de saint Remacle qui a eu aussi affaire à un "méchant loup"), prenons exemple sur François d’Assise qui a su apprivoiser le loup qui terrorisait les gens du village de Gubbio. Croyons qu’il nous est également donné d’apprivoiser les loups violents de notre société, peut-être aussi celui qui sommeille en nous… en commençant par les aimer, en les considérant du point de vue de Dieu et non du point de vue des hommes.

…Et surtout, évitons de hurler avec les loups ! Amen.

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