C DIM 02 - L'Heure H
« Il y eut un mariage à Cana en Galilée. » Habituellement, nos histoires à nous, elles, finissent par un mariage : ‘’Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants…’’
Ici, tout commence par
une noce.
Tout, parce que l’Heure, l’Heure
H est venue. Et parce que Marie, la maman de Jésus, Marie la finaude, l’a
pressentie. L’Heure où Jésus allait se manifester en tant que venant de Dieu.
Il ne le savait pas encore,
Jésus. « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. »
Marie ne discute pas. Elle dit
seulement aux serviteurs : « Faites tout ce qu’il vous dira. »
Marie, la croyante. Marie qui voit loin : elle voit l’embarras des époux
et du traiteur qui se rendent compte que le complément essentiel d’une fête de
mariage, le vin commence à manquer ; et en même temps, Marie voit son
fils et comprend que c’est lui, Jésus, c’est son fils qui est la
solution pour sauver l’honneur des jeunes mariés et la réputation du traiteur. Et
sauver la fête par la même occasion. Elle ne sait bien sûr pas comment, mais
elle a déjà ce réflexe : Il y a un problème ? Des hommes souffrent ou
vont souffrir ? Je vais en parler à Jésus. Et Jésus qui a les mêmes yeux
que sa maman, des yeux pleins d’amour qui voient tout, ne peut qu’accomplir l’Heure
H.
On peut juger que cette
première intervention de Jésus pour entamer sa vie publique, l’Heure H, est
bien insignifiante, voire futile pour quelqu’un dont la mission est de sauver
le monde, rien que cela ! On peut penser que le Christ a autre chose à
faire que de s’occuper de ces petits détails d’intendance. Faire cadeau d’une quantité
astronomique de vin de qualité supérieure à un jeune couple au cours d’une
petite noce de village, cela a l’air quand même assez superficiel, voire
ridicule, non ? D’ailleurs, on ne s’est pas privé d’en tirer des tonnes de
plaisanteries douteuses…
Alors, pourquoi l’a-t-il fait ?
Oui, bien sûr, à cause de sa maman Marie ; mais il y a bien plus que cela,
si j’ose dire :
Ce que Jésus a fait à Cana, il
a voulu que ce soit un SIGNE pour ses disciples et pour toutes les générations
à venir. D’où la conclusion de l’évangéliste Jean : « Tel fut le
commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée ;
il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui. »
Mais, signe de quoi ?
Non pas de montrer Jésus comme
un magicien qui tire des lapins de son chapeau, mais SIGNE que désormais, à
travers l’Homme Jésus, une nouvelle ère commence ; et alors que la
joie des alliances précédentes d’Israël avec Dieu s’épuisait, comme le vin de la noce,
à cause de ses péchés qui l’ont éloigné de son Seigneur, Jésus indique par ce
SIGNE à Cana, qu’en lui, Dieu épouse dans une nouvelle Alliance son peuple
infidèle ; et il lui rend la joie, le bonheur de vivre avec lui !
Vous voyez qu’on est en plein
dans la noce, et qu’au final c’est lui Jésus le véritable époux qui s’est lié à
l’humanité pour toujours. C’est bien l’Heure H ! Elle s’accomplira d’ailleurs
totalement sur la Croix, par ce témoignage suprême d’amour…
Il fallait bien un vin de
qualité extra-supérieure AOP, fourni en surabondance (on a calculé que les
jarres faisant cent litres, il y a eu 600 litres à la disposition des invités),
il fallait bien cela pour témoigner de la plénitude surabondante de l’amour de
Dieu qui se donne à travers son Fils pour toujours !
Le fait que ce soit à la base de l’eau qui a été changée en vin a aussi une signification profonde. Que représente l’eau, sinon notre humanité ? Et le vin, ne serait-ce pas la divinité de Dieu elle-même ? Comme à l’Eucharistie, quand le prêtre avant la consécration coupe le vin du calice avec de l’eau en disant : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l'Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité… »
Le Christ
vient donc changer l’eau insipide de nos vies souvent empreintes de tristesse
et de dégoût, en vin capiteux de joie divine, comme le promettait déjà le
prophète Isaïe : « Le
Seigneur de l’univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un
festin de viandes grasses et de vins capiteux... Sur cette montagne, il
fera disparaître le voile de deuil qui enveloppe tous les peuples... Il fera
disparaître la mort pour toujours. » (Isaïe
25, 6).
Si l’évangile insiste sur la
qualité du « bon vin gardé pour la fin », c’est aussi pour faire
contraste avec la piquette d’une religion toute extérieure et formaliste, faite
d’observances sans véritable amour, comme la pratiquent encore certains aujourd’hui
et les pharisiens du temps de Jésus.
Bon. Vous voyez que ce SIGNE revêt une toute autre
profondeur qu’un simple miracle ou un tour de magie époustouflant ! Mais
je voudrais en tirer une leçon pour nous aujourd’hui.
Dans son livre « Stupeur et tremblements », la romancière Amélie
Nothomb écrit ceci : « Moi, quand j'étais petite, je voulais devenir
Dieu. Mais vers l'âge de cinq ans, j'ai compris que mon ambition était
irréalisable. Alors, j'ai mis un peu d'eau dans mon vin et j'ai décidé de
suivre le Christ. »
Citation curieuse et amusante, mais j'ai l'impression que c'est l'inverse qu'il
faut faire ! Suivre le Christ, c'est mettre du vin dans son eau.
C'est mettre de la joie et du goût là où il n'y en a pas.
C'est agir non par devoir, de manière rituelle, mais par amour, par gratuité.
Oui, permettez-moi la formule, mais comme chrétiens, nous sommes invités non
pas à mettre de l'eau dans notre vin, c'est à dire à mettre du devoir et des
obligations partout, mais plutôt à mettre du vin dans notre eau !
à mettre un peu d'ivresse dans la vie; à mettre un peu de joie dans nos
existences parfois pleines de larmes - et dans celle des autres !
à mettre un peu d'évangile de nos vies… L'évangile est le meilleur vin qui
soit. Mais il faut le boire. Pas le conserver bien au chaud. Avouez qu'il
n'y a rien de plus triste qu'une belle cave de vin quand toutes les bouteilles
sont passées et éventées !! Alors, reprenons un peu d'évangile s'il vous plaît !
Pour mettre de la joie divine dans notre humanité blessée !
Et cet évangile de liberté et de joie passera toujours par nous !
D'ailleurs, l'eau se change en vin non pas dans les jarres mais, précise Jean,
lorsqu'on la sert. C'est donc bien dans la relation et dans le don que se
réalise cette promesse du Christ. Pour cela, il ne s'agit pas de s'illusionner
soi-même, de faire comme si la tristesse n'était pas là ou affirmer que le
devoir et les limites n'ont pas de sens.
Mais si nous voulons prendre l'évangile au sérieux, il s'agit plutôt de
découvrir que l'espérance chrétienne veut que la tristesse peut toujours être
transfigurée en joie, pour de vrai. Que le premier signe que Jésus opère à Cana
n'est pas une manifestation de puissance, mais l'unique signe, celui de
Pâques, où l'eau de nos larmes fait place à la joie de Pâques, où un
tombeau vide (comme les jarres du début) nous invite au festin des noces. (Dommage
que la traduction liturgique ait omis le début du texte évocateur de la
résurrection : « Le troisième jour, il y eut un mariage
à Cana ».)
Oui, vous comme moi :
nous avons à vivre cette transformation de Cana au quotidien. Vivre Cana, c'est quitter
l'eau d'une vie stagnante, transformer l'homme ancien qui sommeille en nous, pour
découvrir cette joie profonde, ce vin de la fête, qui se risque à croire que le meilleur est devant !
: Nous sommes invités à voir le bon pour la fin, à avoir cette conviction, --qui
n'est justement pas une illusion— qu’avec Jésus, avec le Christ, du meilleur
est toujours possible - et à faire advenir ! Allons, pèlerins d’espérance !
Pour nous aussi, c’est l’Heure H !
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ADDENDUM : à propos de la seconde lecture
Ce qu’écrit Paul aux Corinthiens convient à merveille pour introduire la semaine de prière pour l’unité des chrétiens qui commence. Il présente le grand principe qui structure l’Eglise dès ses débuts : l’unité vitale qui vient du Seigneur et de l’Esprit dans l’infinie variété des activités, des ministères, des services, des charismes. Pour prendre une image, c'est un peu comme un bouquet aux multiples fleurs colorées : chacune sert à mettre les autres en valeur, et c'est l'ensemble qui prend sens.
Chacun de nous ici présents, nous avons
reçu au moins un don, un charisme : le sourire, la compassion, le service, la
prière, l'écoute, la foi… Merci d'apporter votre fleur au bouquet ; merci à nos
frères orthodoxes, réformés, anglicans, syro-chaldéens ou d'autres confessions
chrétiennes, d'être ce qu'ils sont : c'est avec nos spécificités propres, que
se construit dans l'Esprit le Corps du Christ pour que Dieu soit glorifié !
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