C JEUDI-SAINT, nuit d'espérance

 


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Aujourd'hui, nous sommes mystiquement revenus au Cénacle pour revivre la dernière soirée du Seigneur ; nous sommes ici pour nous mettre à l'école du Maître qui nous demande de faire comme lui, ou plutôt de lui ressembler ; nous sommes ici pour renouveler notre promesse d'être ses ministres, c'est-à-dire ses amis de confiance qui, même dans la peur de la mort, osent faire le saut de l'obéissance au Père et du service des frères, sachant qu'il ne s'agit pas d'un saut dans le vide mais en Dieu et dans sa Parole qui promet la résurrection ; nous sommes ici pour que l'onction mystique de l'Esprit nous rende conformes à Lui et à ses choix et fasse de nous des prophètes de l'Espérance et des témoins d'une nouvelle manière de vivre et de mourir.

Nous sommes ici parce que nous voulons continuer à être, malgré la fatigue et l'égarement, « des chrétiens et des prêtres de Pâques », c'est-à-dire, capables de traverser les mille nuits de la vie et du monde, d'oser marcher dans les pas du Seigneur, de partager son intention, d'être capables avec lui d'un amour toujours plus grand, de s'abandonner jusqu'au bout avec confiance et espérance dans le Dieu qui ressuscite les morts.

Ce soir, c’est Jeudi Saint : nous entrons dans la Pâque du Christ pour la revivre avec lui !




HOMELIE


Chers amis, frères et sœurs dans le Christ,

Nous sommes ici pour nous préparer à une longue nuit. Elle commence ce soir, et elle va durer jusqu’au petit matin de Pâques. Elle n’est pas seulement extérieure, cette nuit d’obscurité, elle est aussi intérieure : c’est la nuit du doute, de la peur, du péché… la nuit des cœurs, la nuit du monde… où Dieu semble absent.

Elle représente toutes nos nuits, vos nuits mes amis, les miennes aussi. Celles que nous fuyons en essayant de nous divertir dans la superficialité, l’activité, et même parfois la générosité, mais qui sont toujours tapies au fond de nous-mêmes, sombres et ricanantes. La nuit du Mal. La nuit de l’humanité qui se débat avec elle, la combat mais souvent aussi compose avec elle et s’en fait complice, depuis Caïn et Abel.  

Cette nuit-là, il nous faut l’affronter ce soir. La regarder en face, comme Jésus, et surtout avec lui. Car c’est lui qui a choisi d’y entrer dans cette nuit, d’y descendre pour nous, jusqu’au plus profond de nos noirceurs et de nos lâchetés, là où il n’y a plus d’espoir.

Elle nous mènera, cette nuit, du Cénacle au Jardin des Oliviers, du Jardin des oliviers au Prétoire, du Prétoire au Golgotha. Là où tout sera accompli. Où tout sera achevé. Où tout sera remis entre les mains du Père dans un suprême abandon.



Ô difficile nuit ! Difficile pour nous, car elle nous oblige à revisiter toutes nos ténèbres personnelles et collectives, à les avouer et à avouer notre radicale impuissance. Que ne sommes-nous pas tentés de faire l’impasse, et de fuir, de nous endormir, comme les disciples ! Il faut du courage pour reconnaître ses propres zones d’ombre, ne pas se donner à soi-même le change… et laisser tomber le masque des illusions.

Difficile, cette nuit, encore davantage pour Jésus : Dans la nuit qui commence ce soir - la plus difficile de sa vie, la nuit où il a été trahi, il ne lui a pas été facile de faire confiance au Père, de garder ses amis unis, d'attendre le jour où il boirait avec les siens le vin nouveau du Royaume ;

…il ne lui a pas été facile, malgré le désir brûlant de son cœur, de faire ce repas de Pâques avec ses disciples occupés à partager les premières places et leurs rêves de grandeur ;

…il lui fut difficile de faire comprendre à Pierre qu'en certaines heures qui semblent exiger l'épée, c'est précisément l'épée qui est inutile, parce qu'en fin de compte la vie ne viendra pas de la force, mais du service : « Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres » (Jn 13,14) ;

…il est allé jusqu'à suer du sang pour rester fidèle à son Père qui fait se lever le soleil sur les bons et les mauvais, et qui aime les derniers comme les premiers, les pécheurs comme les justes.

Oui, la Pâque de Jésus a été aussi difficile que l'est l'amour quand il est vrai, quand il s'accomplit dans le don de soi jusqu'au bout, sans s'arrêter jamais. Le péché, en effet, présent depuis les tout débuts de la bible, le péché a rendu l'amour difficile, le chemin de la vérité fatigant, les douleurs de l'enfantement à la vie nouvelle, pénibles.

C'est pourquoi Pâques est toujours difficile pour les chrétiens, c'est pourquoi il est difficile d'être des chrétiens de Pâques, des hommes de la Résurrection !




Aujourd’hui un grand nombre de chrétiens, sauf dans les régions du monde où ils sont persécutés, beaucoup de chrétiens ont réduit Pâques à une tradition, une simple fête parmi d’autres. Un moment de détente dans la grisaille du quotidien et de retrouvailles familiales pour les uns, d’évasion dans des lieux touristiques pour les autres… Chasse aux œufs pour les enfants, barbecue pour les grands.

Quoi de mal à cela ? Rien, évidemment. Sauf que si nous refusons de regarder en face la nuit du monde, notre propre nuit, nous vidons totalement Pâques de sa substance, cette commémoration qui nous rend présent, ici et maintenant, le passage de la mort à la vie, de la nuit à la lumière, que Jésus nous a ouvert par sa mort et sa résurrection. Célébrer la Pâque du Christ, en effet, c'est y participer, c'est la faire nôtre : le Christ notre Pâques ! Mais pour ressusciter avec lui, il faut mourir avec lui, et mourir avec le Christ n'est jamais facile.

« Pas de Pâques sans Vendredi-Saint », avait écrit jadis notre ancien cardinal Gottfried Dannels ; c’est vrai ! Mais il faut ajouter aussi : pas de Vendredi-Saint sans fête de Pâques, sans résurrection - pour ceux qui ont mis leur confiance, leur espérance dans le Christ Jésus.



Jésus, lui, traverse la pire nuit de sa vie avec le plus grand amour, se donnant jusqu'au bout, d'abord dans l'eau versée sur les pieds des disciples, puis dans les signes du pain rompu et du vin offert, et enfin dans le sacrifice de lui-même sur la Croix. Traverser la nuit – notre nuit, celle du monde – en aimant davantage, en croyant davantage, en espérant davantage, en donnant et en pardonnant sans se lasser : tel est le chemin de la Vie, le chemin passionnel et résurrectionnel qu’il nous faut emprunter à la suite du Maître.


« Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19). Ce que nous célébrons sur l'autel doit ensuite se transformer en actes concrets qui expriment la charité du Christ et son salut à l'œuvre dans le monde. Les paroles et les gestes du Cénacle, les paroles et les gestes de Pâques doivent devenir les nôtres, afin que nous puissions apporter la lumière dans les ténèbres, la réconciliation dans les conflits, le réconfort dans l'épreuve. À l'exemple du Maître, nous voulons et devons nous lever de la table eucharistique pour apporter au monde le même désir de bien que le Maître, et pour continuer dans le monde à être le ferment qui fait grandir l’amour.



Et tout cela ne pourra jamais être le fruit d'un effort purement humain. C’est pourquoi nous allons communier tout-à-l’heure à la source de l’amour du Cœur ouvert du Christ, à son Eucharistie, et nous nous laisserons laver les pieds symboliquement par le Maître qui nous donne l’exemple et son Esprit.

« Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant, après, plus tard, tu comprendras » (Jn 13,7). Oui, il nous est difficile d'entrer dans ce mystère, de nous laisser convaincre que ce n'est pas dans le pouvoir, la force et la domination que passe le bien du monde, mais dans la douceur, le service et le don. Nous ne pouvons comprendre cela qu’« après ». Après que nos pieds ont été lavés par Celui qui nous aime malgré tout, après que nos trahisons ont été librement pardonnées. Après que nos vies ont été réanimées par notre rencontre avec le Ressuscité.


Frères et sœurs, voulez-vous être ces hommes - ces femmes de résurrection, ces hommes et ces femmes d’Espérance dont le monde a besoin aujourd’hui ?  

Alors, laissons-nous toucher, laver, guérir, aimer par le Maître qui nous sert cette nuit. AMEN !

 


« Lumière pour l'homme aujourd'hui qui viens depuis que sur la terre il est un pauvre qui T'espère, atteins jusqu'à l'aveugle en moi : touche mes yeux afin qu'ils voient de quel Amour Tu me poursuis. Comment savoir d'où vient le jour si je ne reconnais ma nuit ? » (E61-3 Rimaud Akepsimas)


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