A CAR 01 - Cassons la coquille !

 

« Dis-moi quelle est ta tentation, et je te dirai qui tu es ! »

 



Chaque année, le Carême débute par le récit des trois tentations du Christ, comme pour nous rappeler que la vie chrétienne, la vie dans la ligne de notre Baptême, implique un combat. Un combat pour refaire inlassablement le choix de Dieu, le choix de l’Evangile, que nos parents puis nous-mêmes avons fait au Baptême.

Et c’est pas simple ! Jusqu’à notre dernier souffle, nous serons tentés. Un Père du désert qui avait une grande réputation de sainteté, abba Proumen, très âgé - il avait plus de 90 ans, était sur le point de mourir. Ses disciples, rassemblés autour de lui, pleuraient en priant; l'un d'eux lui dit : "Père, quand vous serez parmi les saints du ciel, ne nous oubliez pas dans vos prières !" Le moine répondit alors : "Arrêtez ! Je n'ai pas encore commencé à me convertir !" (cit. in Apophtegmes des Pères du Désert)

 



Être tenté, nous connaissons tous ce que ça veut dire !  Car nous sommes des êtres faibles face au mal. On a tous des failles, des faiblesses par lesquelles la tentation peut s’insinuer.

Quelle est votre tentation ? (ou vos tentations, car elle est rarement seule ; quand on lui ouvre la porte, elle amène toutes ses amies !)

 

On n’a que l’embarras du choix ! Et il ne s’agit pas seulement d’avoir envie de se gaver de chocolat, ou de rester dans son lit le matin… La société de consommation, de plaisir et de spectacle, sait bien jouer de toutes ces cordes pour nous appâter et nous faire tomber dans ses filets. L’homo sapiens est devenu homo insatiabilis ! – insatiable. (Le philosophe juif HARIRI dit même, lui, qu’il est devenu « homo deus ». L’homme qui veut être dieu.)

 Chacun est à lui-même son petit dieu, n’est-ce pas ? Mon « moi », plus ou moins au centre de mon attention… avant les autres, avant le Seigneur lui-même. On est autocentrés, et cela depuis la toute petite enfance. Le travail de toute une vie, c’est de se décentrer de soi ! – pour se recentrer sur Dieu, sur le Seigneur, et ça, je vous assure, c’est un vrai travail, et un combat de tous les instants !

 

…Et c’est là, précisément, que se glissent, s’insinuent TOUTES les tentations. C’est pour cela que nous avons besoin du Carême, pour apprendre à reconnaître nos tentations et à y résister. Pour se décentrer de soi et s’ajuster à la pensée de Dieu qui n’est pas celle des hommes. Pour apprendre à vivre dans la grâce de nos Baptêmes, en fils et filles de Dieu.

Pour être heureux aussi, tout simplement, en étant des vivants. Car souvent, ce qui nous tente est aussi ce qui nous tue… à petit feu. (Evidemment, quand vous êtes tentés de franchir un feu rouge, ça vous tue plus vite !)

 

Dans l'évangile d'aujourd'hui, le diable attaque les trois grands points faibles de l'homme Jésus et de tout homme : le pouvoir, la possession, la faiblesse de la chair. En tout cela, c'est l'orgueil qui fait notre faiblesse, la tentation de nous croire indépendants de Dieu.

 



On peut être étonné de voir Jésus, le Fils de Dieu, être tenté. Les évangélistes auraient pu faire l’impasse sur ce point délicat, mais tous les quatre en font clairement mention. Cela ne montre-t-il pas que Jésus est un aussi pleinement homme comme nous ? La différence est plus au niveau de la réponse que le Christ oppose au Tentateur.

Alors, le grand Tentateur de l’humanité, on lui a trouvé un nom, celui de Satan. Mais en hébreu, Satan (sheïtan) n’est pas un être particulier. Ce n’est pas non plus un être démoniaque et rival de Dieu. C’est un nom commun qui signifie : l’adversaire, celui qui obstrue. Le grec, lui, parle de Satan ou de «diábolos», issu du verbe «diabállô», et signifie «celui qui divise» ou «qui désunit» ou encore «qui détruit», par la médisance ou la calomnie. C’est bien sûr le terme qui a donné le diable en français. Faut-il y voir une vraie « personne », un personnage faustien mais réel ?

 

La Bible a tendance à personnaliser le Mal, dans la ligne de la culture antique et sémitique ; c’est un fait. Mais la malignité dont on affuble ce personnage n’est-elle pas à situer dans les failles de notre psyché, de cette race à peine sortie des cavernes et qui s’est mise à s’auto-penser dieu en même temps qu’elle acquérait des pouvoirs toujours plus importants ? Et, aujourd’hui, à pouvoirs extrêmes, tentations extrêmes !

 

Jésus a été tenté, oui, mais là où Adam avait failli, là où Israël avait failli, lui n'a pas failli. Jésus a eu la force de résister. Pendant toute sa vie, Jésus s'est trouvé devant un choix : il avait deux voies pour vivre dans l'humanité sa condition de Fils de Dieu. Soit se comporter selon l'image que les hommes se font de Dieu, une image de puissance, de pouvoir, de richesse et de domination. Soit plutôt se soumettre totalement à la condition humaine mais pour la transformer de l'intérieur avec eux. Jésus a refusé de sortir de sa condition d'homme.

 


Il n'y a pas de pilule magique contre la tentation. Pour avancer, il faut se lever. Pour vaincre la tentation, il faut prier, jeûner et pratiquer la charité. Nous ne sommes pas seuls dans les tentations, face au mal ou à la mort. Nous sommes avec Jésus qui les a vécues pour nous, qui a combattu pour nous, qui est mort pour nous. Le Carême c'est consentir à être ce que nous sommes, accepter de vivre avec nos contemporains, nos voisins dans la solidarité susceptible de bouleverser notre superflu.

 

Jésus, pris dans la tempête des tentations au désert, nous montre le chemin. Il s'appuie sur la parole de Dieu pour rejeter le tentateur : « Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre. » On pourrait traduire : ce n'est pas seulement d'argent et de biens matériels que l'homme doit vivre, et ajouter « mais de toute parole qui vient de la bouche de Dieu ».

 Pendant ce Carême, il s'agit de se mettre à l'école de Jésus. Le Carême n’est pas un appel à l’austérité, ni un appel à tester ses capacités. C'est une provocation à l'espérance et à changer le monde en se changeant soi.

Le Carême est un voyage spirituel et sa destination est Pâques : la Résurrection du Christ, prémisse et annonce de nos propres résurrections, qui commencent chaque fois que nous résistons à une tentation et que nous agissons en enfants de Dieu. La résurrection, elle est aussi en nous, mais il faut la laisser éclore, en cassant la coquille comme nous le faisons pour les œufs de Pâques que nous dégusterons bientôt dans la joie !

 

Alors, à chacun-chacune de nous, bon voyage !

 

Les textes de ce jour, premier dimanche du temps du Carême :

Le récit fondateur de la Genèse nous révèle, mieux encore que les psys et les sociologues, notre anthropologie profonde : l’homme désire ce qu’il ne peut pas posséder, la vie, la maîtrise du bonheur et du malheur, il veut devenir Dieu. Mais quand il s’empare de la vie, quand il décide ce qui est bien et ce qui est mal, il se voit nu, il prend conscience de sa vulnérabilité, de sa finitude, de son péché. Au bout de la tentation, la chute. 

La lettre de Paul aux Romains nous annonce la grâce de Dieu : le salut est possible, l’Evangile nous rend justes, c’est-à-dire bien ajustés à Dieu, à nous-mêmes, aux autres. Comme par un seul homme (Adam, archétype de l’Humanité), la condamnation est arrivée – c’est-à-dire : comme au cœur de notre humanité est tapi le mal –, par un seul (Jésus) est offert notre salut – c’est-à-dire s’ouvrent des brèches dans les forces de mort et s’épanouit la vie véritable !

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