C NOËL - Si Noël n'existait pas...

 Homélie de Noël


Nous sommes rassemblés aujourd’hui pour célébrer une fête particulière. Une fête qui est attendue, espérée par tant de gens dans le monde, les enfants, bien sûr, mais pas qu’eux.

On a eu peur cette année, encore une fois. A cause de la pandémie, on a eu peur de ne pas pouvoir se rassembler, de ne pas pouvoir partager ces moments avec les personnes qu’on aime. Ç’aurait été une catastrophe, et pas seulement pour les commerçants !

Imaginez un seul instant que Noël n’existe pas

Nous aurions l’impression tout d’un coup que le monde deviendrait plus triste.

Il nous manquerait ce moment de l’année où, sur tous les continents et de toutes les religions, car Noël est la plus universelle des fêtes, des hommes et des femmes apprennent à devenir meilleurs.

Il nous manquerait ces jours où les soldats marquent parfois une trêve dans leurs combats, où l’on se retrouve en famille malgré les dispersions, où l’on s’offre des cadeaux en signe d’amitié.

Oui, frères et sœurs, le mystère de Noël que nous célébrons ce soir porte la marque d’un rêve unique de joie et de merveilleux qui redonne espérance à notre humanité.

C’est dans cet état d’esprit que nous sommes venus ce soir écouter le récit tant de fois entendu de la Nativité, dans cette église (ou une autre) où nous avons aussi tant de fois assisté à la Messe de Noël, avec tous les souvenirs qui y sont attachés… Les sourires des enfants, la joie d’entonner ces chants qui résonnent tellement dans nos cœurs…

Le récit de l’évangile de Luc baigne lui aussi dans la joie et la paix, dans la lumière et le merveilleux, au point où l’on pourrait se dire qu’il paraît bien loin de nos préoccupations quotidiennes. Mais peut-être est-ce cela que nous cherchons, justement, ce soir ! Une parenthèse dans nos difficultés, un moment d’oubli et de rêve… qui nous distrait un temps de la dure réalité de la vie.

Pourtant, frères et sœurs, pourtant si nous le regardons bien, nous verrons que le récit de la nativité de Jésus dans l’évangile n’est pas éloigné de nos vies, et qu’il est bien loin de se réduire à une histoire merveilleuse, à un conte de Noël.

Contemplons de plus près l’évangile de la nativité de Luc. Nous voyons alors que la joie de la sainte famille, la joie des anges, la joie des bergers et, plus tard, celle des mages, a déjà un prix.


Pour qu’advienne la joie de la naissance de Jésus, il aura fallu la longue marche éreintante d’une femme enceinte accompagnée de son époux. Il aura fallu que Joseph et Marie obéissent à la loi implacable d’un empereur romain tout puissant qui veut recenser son peuple comme il compte ses biens. Il aura fallu que Marie et Joseph subissent les refus des aubergistes et trouvent refuge dans une simple étable pour un accouchement dans la précarité... Ils ont dû affronter une expérience peut-être la plus difficile que puisse connaître une famille expatriée : arriver à Bethléem et faire l’expérience que c’était une terre qui ne les attendait pas, une terre où il n’y avait pas de place pour eux.

Comme le dit le prologue de l’évangile de Jean qu’on écoute à la messe du Jour de Noël, « Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu » (Jean I, 11).

Les récits de Noël, tellement connus et apparemment tellement merveilleux, sont traversés en effet par le constat du refus de l’humanité d’accueillir Dieu dans l’Homme, dans l’humain, et la non-reconnaissance du caractère sacré de la vie humaine comme lieu de la Présence divine.

Comme l’écrit le pape François : « Dans les pas de Joseph et de Marie, se cachent de nombreux pas. Nous voyons les traces de familles entières qui, aujourd’hui, se voient obligées de partir. Nous voyons les traces de millions de personnes qui ne choisissent pas de s’en aller mais qui sont obligées de se séparer de leurs proches, sont expulsées de leur terre. Dans beaucoup de cas, ce départ est chargé d’espérance, chargé d’avenir ; dans beaucoup d’autres, ce départ a un seul nom : la survie. Survivre aux Hérode d’aujourd’hui qui, pour imposer leur pouvoir et accroître leurs richesses, n’ont aucun problème à verser du sang innocent. »

Et justement là, dans cette situation qui était un défi, Marie nous a offert l’Emmanuel, le « Dieu-avec-nous ». Là… dans l’obscurité d’une ville qui n’a ni espace ni place pour l’étranger qui vient de loin, dans l’obscurité d’un MONDE en plein mouvement et qui, semble vouloir se construire en tournant le dos aux personnes précarisées, aux faibles, précisément là, s’allume l’étincelle révolutionnaire de la tendresse de Dieu !  

À Bethléem, s’est ouverte une petite brèche pour ceux qui ont perdu leur terre, leur patrie, leurs rêves ; une brèche aussi pour tous ceux qui sont « expatriés » d’eux-mêmes, de leur corps à cause de la maladie, de la vie sociale à cause de la pauvreté, du rejet et de l’exclusion… Cette brèche, c’est que désormais et pour toujours Dieu est parmi eux, Dieu est avec eux, en eux. L’Enfant de la crèche révèle ce que sera Jésus : L’homme Jésus en effet ne s’épargnera rien de nos peines. Il prendra sur lui nos misères. Il prendra sur lui notre péché et les conséquences malheureuses du mal. Il ira à la rencontre de l’humanité blessée qui souffre du manque de foi, d’espérance et de charité. Il ira rejoindre les égarés, les pécheurs, les malades pour leur révéler la proximité étonnante de Dieu pour eux. Si Jésus s’enfonce ainsi dans le lieu de la douleur ou du mal des hommes, c’est pour y faire naître la force plus puissante encore de l’Amour de Dieu ! Un chemin résurrectionnel qui appelle la solidarité. L’ouverture. La fraternité.


Pouvons-nous fêter tranquillement Noël, frères et sœurs, alors que des milliers, bientôt sans doute des millions de migrants sont aujourd’hui devant notre porte, dans la nuit ? Autant de Jésus, autant de Marie et de Joseph ! Quelle somme de malheurs et d’injustices a-t-il fallu pour que toutes ces personnes à qui on ne reconnaît pas le statut d’humains, soient déracinés de leur chez-soi, exposés à tous les dangers, et, affront suprême, rejetés comme des indésirables, des encombrants ? « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu ».

« En lui était la vie, poursuit St Jean dans sa méditation, et la vie était la lumière des hommes ; la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. »

Mystère étonnant que l’Eglise célèbre cette nuit de Noël : dans l’obscurité froide d’une grotte, la chaude lumière de l’Amour de Dieu vient vaincre nos ténèbres. Le Seigneur plonge dans notre humanité misérable. Il s’enfouit en elle pour y insuffler le souffle puissant de l’Amour et de la Joie de Dieu.


Cette lumière elle est confiée ce soir à chacun de nous, frères et sœurs ; elle a l’air fragile comme les bougies que nous allumons sur l’autel ou dans nos maisons, mais si elle se communique aux autres, de cœur à cœur, de main à main, elle devient un feu énorme capable d’embraser le monde entier du feu de l’Amour et de la Fraternité, ce feu que Jésus aspirait à voir répandu sur la terre :  « C'est un feu que je suis venu allumer sur la terre, et comme je voudrais qu'il soit déjà allumé ! ». (Luc 12,49)

Car, frères et sœurs, ce beau mystère de Noël que nous célébrons ce soir ne date pas seulement de plus de 2000 ans. Cette nuit, l’Eglise ne célèbre pas seulement l’anniversaire de la naissance d’un homme hors du commun, survenue dans un lointain passé. Lorsque l’Eglise fête Noël, elle célèbre un évènement d’aujourd’hui. Car la naissance de Jésus dans notre monde est de chaque lieu et de chaque instant ! 

Les chrétiens qui croient en la Résurrection de Jésus discernent sa présence vivante dans leur vie et dans celle de leurs frères, surtout les plus fragiles, vers lesquels ils sont envoyés pour leur venir en aide. Et cela les remplit d’une joie que rien ne peut détruire.

Marie et Joseph, pour qui il n’y avait pas de place, sont les premiers à embrasser Celui qui vient nous donner à tous le document de citoyenneté : « À ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu. » Voilà nos papiers d’identité, nos titres de séjour, les vrais, ceux qui portent le sceau de Dieu. Ceux-là, personne ne peut les retirer !


Ce bébé nu dans la crèche, dans sa pauvreté et dans sa petitesse, manifeste que le vrai pouvoir et la liberté authentique sont à ceux qui honorent et secourent la fragilité du plus faible.

Frères et sœurs, en cette nuit de Noël, prions le Seigneur pour que, par-delà tous les plaisirs de la fête, ce soit vraiment cette joie-là, la joie des bergers reçue des anges, la joie d’aimer, d’être aimé et de partager, une joie pure et inaltérable qui soit donnée à tout homme.

Les occasions ne manquent pas pour la communiquer, cette joie : c'est l'étranger qui frappe à notre porte, c'est la personne seule que nous choisissons d'inviter à notre table ; c'est l'ancien qui demande de l'attention, c'est notre fils, notre frère qui passe un mauvais moment et qui veut être écouté... Ce sont eux les « périphéries » dont parle le pape François qui n'a pas peur de nous rappeler à la réalité, nous et nos hommes politiques qui s'accrochent à la « prudence ».

Avec ces mots du pape François, je nous invite à la prière :


« Émus par la joie du don, petit Enfant de Bethléem,

nous te demandons que tes pleurs

nous réveillent de notre indifférence,

ouvrent nos yeux devant celui qui souffre.

 

Que ta tendresse réveille notre sensibilité

et fasse que nous nous sentions invités à te reconnaître

dans tous ceux qui arrivent dans nos villes,

dans nos histoires, dans nos vies.

 

Que ta tendresse révolutionnaire

nous amène à nous sentir invités à prendre en charge

l’espérance et la tendresse de nos gens.

 

Que personne ne soit oublié,

et ce sera Noël,

aujourd’hui,

demain,

et tous les jours de notre vie. Amen. »

Commentaires

LES HOMELIES - ANNEE A