B NOEL - Une aube d'humanité

 


Chers frères et sœurs,

Cette fête de Noël revêt cette année une atmosphère toute particulière ; bien sûr, vous le savez, pour vous et moi, c’est la dernière fois que nous aurons l’occasion de la célébrer ensemble. Je ne puis vous cacher mon émotion, et je pense bien que vous devez ressentir quelque chose de semblable. Mais Noël doit rester Noël ! Et la vie doit continuer, comme la lumière de l’étoile de Noël, cette lumière intérieure qui attire les gens vers ce mystère de la Nativité.

Et je pensais en préparant cette homélie : mon Dieu !  Dans quelles circonstances allons-nous vivre ce Noël ? Rarement, elles ont été si dramatiques et épouvantables, avec ces guerres, à Gaza, en Ukraine, qui font des dizaines de milliers de morts ; ces bouleversements du climat qui impactent des millions d’autres personnes ; et ces flots de réfugiés qu’on voit à la télévision mais parfois aussi dans nos rues, qui fuient la guerre, la pauvreté, la faim, le malheur… Sans oublier tous ceux qui, chez nous, n’ont pas de travail, pas de pain ou pas de toit, qui sont seuls, abandonnés, et qui n’en peuvent plus, les enfants maltraités...

 Oui, il fait froid, il fait sombre, aujourd’hui, dans notre monde, où résonnent toujours le bruit des bottes des tyrans, et où coule sans arrêt le sang de l’innocent, le sang du pauvre. Et cela fait ressortir d’autant plus par contraste l’indécence de tout le faste, les bombances et le gaspillage, le luxe insolent qu’on étale tous les jours au travers de la publicité et qui choque ceux qui n’ont rien.

Comment vivre Noël cette année ? Se dire que de toute façon, on n’y peut rien, fermer les yeux et faire la fête parce que Noël est une fête du bonheur obligatoire ?

J’ai été très surpris par notre pape François (qui est toujours surprenant, n’est-ce pas, et puis vous le savez, il va venir en Belgique en 2024 ; on devrait l’inviter au Couquemont !) J’ai été surpris par une déclaration qu’il a faite à l’occasion de la préparation à la fête de la Nativité :

Lui, François, ce pape qui est sur tous les fronts, celui du climat comme celui de la pauvreté, et qui ne cesse pas d’appeler à la paix et de dénoncer l’injustice du système capitaliste et les travers de la société, l’égoïsme des possédants, les dérives d’une Eglise trop cléricale…, eh bien ce pape, en ces temps si sombres et troublés, nous invite simplement à contempler silencieusement la crèche, cette crèche de Noël qui est dressée dans nos maisons, loin des vitrines et du bruit.

C’est surprenant, vu le contexte. On pourrait trouver cela naïf, décalé, bon pour les enfants qui s’extasient devant les petits personnages… Mais après avoir réfléchi et médité, j’ai compris qu’il n’en était rien. Qu’au contraire, elle peut nous enseigner beaucoup de choses, cette crèche qui n’est ni folklorique, ni enfantine. Crèche qu’un certain saint François d’Assise a inventée pour la première fois il y a 800 ans, pour aider les paroissiens du village de Greccio à ressentir le mystère de Nativité.

Je pense que François (le pape) veut nous inciter à cultiver, à développer un autre regard, une autre attitude existentielle. Nous sommes tellement immergés dans une tension extrême, une agitation de tous les instants avec en plus les écrans qui nous envahissent et captent sans cesse notre attention, nous distraient et perturbent notre vie relationnelle… La vie va de plus en plus vite (peut-être un peu moins vite ici au Couquemont) : Tout cela nous coupe de notre vie intérieure et crée un brouillage (un écran !) qui empêche nos yeux de voir la vraie Beauté, et d’admirer, de découvrir Dieu présent au cœur de sa création et de ses créatures, au cœur de moi-même.

La crèche, elle nous enseigne d’abord parce qu’elle est là, calme, silencieuse. Les santons ne s’agitent pas dans tous les sens ! Les moutons ne courent pas partout ! Tous les personnages forment ensemble un tableau, avec la nature, les animaux, les humbles bergers, la cabane ou l’étable qui sert d’abri (et cette année c’est une tente, pour nous rappeler que comme la sainte Famille, beaucoup de gens chez nous n’ont pas de maison confortable). Dans ce tableau, disais-je, toute l’attention converge vers un point focal : un enfant dans les bras de sa mère ou dans la paille.

Notre attention est aussi dirigée vers lui, nous sommes attirés par le regard puis par le cœur vers ce détail d’une simplicité extrême. Quoi de plus banal – de minuscule à l’échelle du monde et de l’univers – que cet enfant tout petit, avec ses parents et tous ces pauvres gens qui l’entourent et qui sentent la bête ?  

Et puis tout à coup, notre cœur est pris : on ressent une émotion intérieure, comme un sanglot. Ce point focal, cet Enfant, c’est l’Amour qui est venu sur terre, comme le chant Douce Nuit le proclamait : « Cet enfant sur la paille endormi, c’est l’amour infini… ». C’est ça le miracle de Noël ! C’est quand votre cœur s’éveille, quand il est touché par cette scène tellement banale et qui a été reprise des millions de fois, par des peintres, des sculpteurs, des santonniers, et la plus petite crèche dans la plus humble de nos maisons est un écrin qui abrite un joyau indicible. C’est pour cela que la crèche se dit en silence. Chut, pas de bruit !  Il faudrait des panneaux « silence » comme devant les hôpitaux (je ne sais pas si ça existe encore) : Silence, ici on contemple !

Bon, certains vont sans doute me dire que je tombe dans le pathos, l’émotion de bazar à bon marché, comme dans les films de Noël. Oui, mais il y a aussi des gens qui n’ont pas de cœur ! Et puis ce n’est pas du tellement « bon marché » que cela : On est touché par la crèche, parce qu’on sait aussi que là, dans cette scène que raconte l’évangile de Luc, se joue un drame dont l’Enfant et ses parents sont les premiers protagonistes mais qui s’inscrit dans un contexte aussi sombre et violent, un peu comme celui que traverse l’humanité d’aujourd’hui :

La scène de la Nativité a lieu dans un pays occupé par une puissance étrangère et brutale, qui oblige les habitants à se déplacer pour se faire recenser et payer davantage d’impôts. La mère et l’enfant qu’elle porte en elle, avec l’homme qui les soutient, doivent subir un long trajet pénible sur des chemins peu sûrs, de la Galilée jusqu’à Bethléem en Judée, et c’est quasi sur la route que la naissance arrive, il faut vite trouver un abri, mais plus de place dans le caravansérail, surtout pour des pouilleux de galiléens : ils trouvent refuge dans une étable, une grotte, et l’accouchement a lieu dans ce lieu destiné aux animaux, fréquenté par des gardiens de troupeaux mal considérés. Et malgré toute la description joyeuse des anges laudateurs par l’évangéliste Luc qui solennise l’événement, les menaces viendront vite s’appesantir sur le destin de ce nouveau petit être et de ses parents, par la jalousie meurtrière du roitelet Hérode et le massacre des Innocents qui va provoquer la fuite en Egypte de la petite famille. Bien belle époque, en vérité !

La crèche n’est pas si romantique que cela ! Ce n’est pas dégoulinant de sucre, et la contemplation du petit nouveau-né dans la paille n’est pas une bulle de rêve ou d’évasion !

Mais alors, si c’est vraiment vrai – et je le crois, je le crois parce que tout ce qu’a fait ensuite cet enfant appelé Christ le prouve, – si c’est vrai que ce petit que je contemple, c’est Dieu lui-même qui a pris sur lui toute notre fragilité et la précarité de notre existence, et qui va les assumer jusqu’à la croix, eh bien alors il y a quelque chose de fondamentalement neuf qui est arrivé et qui va transformer le monde tout entier. Oh, pas d’un seul coup, non, mais comme un germe, un levain, une force quoi que rien ne peut arrêter. Cette force, c’est l’Amour.

Quand je regarde la crèche, l’amour grandit dans mon cœur, et la paix peut se répandre dans le monde, mais pour cela il faut changer notre regard ; je vous laisse pour terminer cette histoire juive qui nous dit l'essentiel :

 Un rabbin demande à ses disciples « Quand est-ce que qu’on sait que la nuit prend fin et que le jour commence ? »

Les disciples répondent : « quand on reconnait un chat et un chien, un vieux et un jeune, un gros arbre et un petit arbre… »


Non, dit le maitre, on sait que la nuit prend fin et que le jour commence lorsque l’on reconnait en chaque visage celui d’un frère ou d’une sœur, avant cela le jour ne s’est pas encore levé ! »

(Conte reconstruit à partir du précédent et  partagé parfois dans les  amphis :)


Un enseignant demande un jour à ses étudiants « Quand peut-on dire que la nuit s’achève et que le jour se lève ? »

 

Quatre étudiants répondent tour à tour : « lorsqu’on y voit plus clair autour de soi et en soi, lorsqu’on a diplômes, métier, argent, et surtout santé, amour, amitié, lorsque dans la rosée du matin on cueille le souffle du monde, lorsque les enfants  souffrent moins et que toutes les personnes et les animaux  seront réunis au paradis s’il existe. » « Oui, dit l’enseignant, mais encore ? »

 

 Une petite voix se risque : «  je crois que la nuit s’achève et que le jour se lève lorsque l’on distingue un être humain d’un arbre, un arbre d’un canon, un canon d’une charrue, une charrue d’un morceau de pain. » « Oui, dit l’enseignant, mais essayez d’aller plus loin. »

 

 Quatre étudiants répondent tour à tour : « Le jour se lève quand on ne distingue plus l’arbre malade de celui qui va bien parce que tous respirent, lorsqu’on ne distingue plus un canon d’une charrue parce que tous les canons ont été transformés en charrues, lorsqu’on ne distingue plus les pauvres des riches parce que tous ont assez de pain, lorsqu’on ne distingue plus ceux qui commandent de ceux qui sont commandés parce que tous décident. »

 

Ainsi, dit l’enseignant, « se connaitre, être, avoir, aimer, moins souffrir, construire un monde écologique, pacifique, juste et démocratique, tout cela et bien des choses encore font que la nuit s’achève et que le jour se lève.

 Peut-être pourrait-on ajouter que la nuit s’achève et que le jour se lève lorsque l’on peut voir dans le visage de chaque être humain celui d’un frère et d’une sœur. Alors la nuit s’achève, l’aube apparait, une aube d’humanité. »

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