C AVENT 03 - Soyez dans la joie !

 


« Réjouissez-vous ! » : c’est le thème de ce 3ème dimanche de l’Avent, celui du « gaudete ».

Est-ce que vous vous souvenez de la dernière fois où vous vous êtes vraiment réjoui ? 

…Mais attention, pas d’une petite joie, d’une simple bonne humeur : la fois où vous avez connu une véritable grande joie ?

Cela vous demandera peut-être un effort de mémoire… J’espère que vous ne devez pas remonter à votre mariage, ou plus loin encore…

En tout cas, si vous ne vous en rappelez pas, ou si vous ne trouvez rien, eh bien c’est vraiment navrant ! J’ai mauvais pour vous.

Bon, j’espère quand même que tout le monde a dans son cœur et dans sa tête au moins un ou plusieurs moments de sa vie où il s’est senti vraiment heureux, joyeux d’une grande joie !

Fermez les yeux pour goûter encore une fois ce moment de joie, et revivre l’événement qui l’a provoqué. Ça fait du bien, c’est même une thérapie recommandée dans les temps de déprime. …On remâche et on rumine tellement les tristesses – je sais bien qu’il y en a aussi ! Mais le climat général dans notre société est tel que la plupart du temps on baigne dans la morosité, on s’enlise dans les cafards… « Ah oui Madame, il n’y a plus rien qui va, n’est-ce pas ? » Et on se plaint ! Sport favori des français, paraît-il – mais il n’y a pas qu’eux qui gémissent…


Malgré toute la frénésie autour des « fêtes de fin d’année » et la surabondance des produits que l’on veut nous vendre pour soi-disant nous rendre heureux, il y a souvent après ces fêtes mais même pendant, comme un arrière-goût de manque, de quelque chose d’inespéré qui ne s’est pas produit. La joie, la vraie grande joie n’est pas forcément au rendez-vous.

Oh bien sûr on se sera sans doute amusé, il y aura eu de l’ambiance, des rires, du plaisir, et on se sera même un peu ému en voyant la joie des enfants qui déballent leurs cadeaux à toute vitesse – leur surprise et leurs yeux qui brillent quand ils découvrent l’objet de leurs rêves sous l’emballage - en tout cas, ça c’est pour ceux qui ont la chance de ne pas être seuls ou d’avoir des enfants.

Mais est-ce cela la vraie joie ? La joie de Noël et de tous les temps, la joie profonde qui s’imprime et reste dans le cœur même quand il pleut et que les personnes qu’on aime ne sont plus là, et qu’on se retrouve tout seul dans son deuil, sa souffrance ? Ou enfermé entre les quatre murs de sa chambre en maison « de repos » ou à l’hôpital… ?

Existe-t-elle cette joie ?


La vraie joie, la joie évangélique est un don de Dieu. Elle ne vient pas de nous, elle ne dépend pas de nos capacités, de nos réussites. La société, le monde moderne essaye au contraire de nous faire croire qu’être heureux, avoir de la joie est de la responsabilité de l’individu. Les librairies regorgent de livres de recettes pour y parvenir. Malheur à ceux qui n’y arrivent pas! Cette responsabilité peut être source d’angoisse voire de mélancolie, car si on n’y arrive pas, c’est qu’on a «tout faux», que l’on est un incapable voire un impuissant, un looser. Et ce sentiment d’échec aggrave le mal-être.

Non, soyons-en convaincus, la joie profonde, la joie intérieure est un don de Dieu. Un don que Dieu veut faire à chacun, car Dieu ne veut rien garder pour lui, et en lui, Dieu, est la Joie parfaite. La joie de Dieu est une source à laquelle chacun peut s’abreuver à tout moment…

Si la vraie joie est un don de Dieu, comment alors peut-on l’éprouver ? Il faut peut-être, pour pouvoir l’accueillir, juste se mettre dans certaines dispositions… lesquelles ?


Jean-Baptiste semble nous donner des pistes dans le passage d’Evangile de ce dimanche : Si tu as deux vêtements, partage avec celui qui n’en a pas ; tu as de la nourriture en abondance ? vois celui qui a faim ; ne faites pas du profit sur le dos des autres, contentez-vous de ce que vous avez ; mettez la violence de côté… Voilà qui est concret. 

Le propre de ce qui est suggéré par le Baptiste, c’est que, d’abord, il ne s’agit pas de faire des choses compliquées, mais bien d’accomplir ce qui est à notre portée, dans notre état de vie. Ce sont aussi des gestes qui doivent venir de l’intérieur de notre cœur, non pas en obéissant à une morale extérieure. Donc, ces gestes sont produits par un intérêt sincère vers l’autre, les autres, qui implique un décentrement de soi-même (*). Je ne me regarde plus le nombril, mais je suis passionné par ce que l’autre vit, et je me conduis envers lui comme un frère, une sœur.

Faisons déjà cela, et nous expérimenterons certainement une joie toute douce, la joie d’aimer et de donner sans attendre de récompense ou de reconnaissance. En évitant surtout d’en tirer orgueil puisque c’est un don de Dieu.

 


Mais il existe aussi une joie qui ne dépend absolument pas de nous, qui nous est donnée gratuitement : c’est la joie des petits, des humbles, de ceux qui se savent dépendants (et s’acceptent comme tels) et donc qui reçoivent tout comme un cadeau. Non pas comme une chose à conquérir, à s’approprier ou à mériter, mais comme un cadeau de Dieu, de la vie, des parents…

N'est-ce pas paradoxal que la fête de Noël qui est sensée être celle qui procure la plus grande joie, n’est-ce pas paradoxal que cette fête a pour origine un enfant pauvre et totalement dépendant, né dans des conditions de précarité, comme l’a souligné Myriam Tonus dans sa conférence d’Avent mardi dernier ?


Est-ce que ce ne serait pas au fond pour nous faire comprendre que la vraie joie est rarement là où nous la cherchons – dans la force, la réussite, l’autonomie et le succès ou la richesse ; mais dans l’accueil d’une main tendue, celle de Dieu qui se penche sur notre humanité au point de la faire sienne, de se faire homme lui-même avec tout ce que cela comporte comme faiblesse et dépendance – afin de nous apprendre la fraternité ?

Que la vraie Joie de Noël soit déjà en vous ! AMEN.

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(*) À propos du décentrement comme chemin vers la vraie joie, je voudrais vous raconter une histoire. Vous la connaissez peut-être, elle vient des fioretti de saint François d’Assise.


Un jour, à Sainte-Marie, le bienheureux François appela frère Léon et dit :

– Frère Léon, écris.

Et lui répondit :

– Voilà, je suis prêt.

– Écris, dit-il, quelle est la vraie joie. Un messager vient et dit que tous les maîtres de Paris sont venus à l’Ordre [des frères mineurs] ; écris : ce n’est pas la vraie joie. De même, tous les prélats d’outremonts, archevêques et évêques ; de même, le roi de France et le roi d’Angleterre; écris : ce n’est pas la vraie joie. De même, mes frères sont allés chez les infidèles et les ont tous convertis à la foi ; de même, j’ai de Dieu une telle grâce que je guéris les malades et fais beaucoup de miracles : je te dis qu’en tout cela n’est pas la vraie joie.

– Mais quelle est la vraie joie ?

– Je reviens de Pérouse et, par une nuit profonde, je viens ici et c’est le temps de l’hiver, boueux et à ce point froid que des pendeloques d’eau froide congelée se forment aux extrémités de ma tunique et me frappent sans cesse les jambes, et du sang coule de ces blessures. Et tout en boue et froid et glace, je viens à la porte, et après que j’ai longtemps frappé et appelé, un frère vient et demande : «Qui est-ce ?» Moi je réponds : « Frère François. » Et lui dit : « Va-t’en ! Ce n’est pas une heure décente pour circuler ; tu n’entreras pas. » Et à moi qui insiste, à nouveau il répondrait : « Va-t’en ! Tu n’es qu’un simple et un illettré. En tout cas, tu ne viens pas chez nous ; nous sommes tant et tels que nous n’avons pas besoin de toi. » Et moi je me tiens à nouveau debout devant la porte et je dis : « Par amour de Dieu, recueillez-moi cette nuit ! » Et lui répondrait : « Je ne le ferai pas. Va au lieu des Croisiers [hôpital des lépreux] et demande là-bas. »    –  Je te dis, frère Léon, que si je garde patience et ne suis pas ébranlé, en cela est la vraie joie et la vraie vertu et le salut de l’âme.

 


Ce texte peut nous étonner, nous choquer peut-être. Personne n’aimerait se trouver dans la situation évoquée par François, le petit pauvre : se faire rabrouer et rejeter à la porte de son propre domicile dans la nuit avec des engelures n’a rien d’agréable ! Il faut prendre ce récit comme une parabole pour en saisir le sens.

D’abord, en interrogeant comme dans une quête ce qu’est la joie « vraie » ou « parfaite », le récit nous montre qu’il ne s’agit pas d’un état mais bien d’un chemin de croissance et de libération spirituelle. Un chemin que nous pouvons parcourir nous aussi, au travers des aléas de l’existence. Il parle des blessures intérieures et extérieures – François n’est pas un lettré, il n’a pas fait d’études. On n’a plus besoin de lui, on lui a retiré la direction de son Ordre. Tu n’es plus chez toi ici, lui dit-on en le chassant. Et dans son dénuement, il fait l’expérience de la pauvreté radicale. Rien ne lui appartient - ni son projet, ses initiatives, ses réalisations, ses frères et compagnons de route... C’est une totale désappropriation, ou non-appropriation. En cela, il ressemble au Christ pauvre et dépouillé de toute volonté personnelle qui se confie, s’abandonne totalement dans les mains du Père.

Ici, on n’est plus dans le faire, mais dans le laisser-faire. Renversement de perspective.

Je voudrais que les choses soient bien claires : Il n’y a absolument aucun masochisme dans l’attitude de François. Rien à voir avec les discours jansénistes qui ont couru à certaines époques, du genre : ‘Plus tu souffres, plus tu te sanctifies, donc réjouis-toi…’  Non, absolument pas ça ! – Ce dont François témoigne, au contraire, c’est que la vraie joie donnée par Dieu et la vertu (force intérieure) qui s’exerce par la patience et la douceur, permettent de passer, de traverser l’épreuve de la souffrance, et même de la transfigurer – et ainsi de ne pas tomber dans l’amertume, la colère, le dégoût, la tristesse qui font perdre leur âme à ceux qui se crispent sur eux-mêmes.


 « Je te dis que si je garde patience et ne suis pas ébranlé, en cela est la vraie joie et la vraie vertu et le salut de l’âme »
explique François. Pas ébranlé parce que fondé, enraciné sur le roc de l’amour (car la patience n’est qu’une des formes de l’amour-charité) : Je choisis d’aimer, de continuer à aimer même dans l’épreuve et le malheur. En cela est la vraie joie, nous enseigne le petit pauvre d’Assise. Lui-même, par sa pauvreté, se place résolument dans la main du Père, attendant tout de lui sans rien exiger, rien vouloir…

N'est-ce pas là le secret de la vraie Joie ? 


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