B DIM 10 - Fake news
Chers
frères et sœurs, vous avez remarqué que votre serviteur qui a l’honneur de
présider cette célébration porte aujourd’hui une chasuble (étole) verte. N’y
voyez pas une quelconque allusion politique, même en ce jour d’élections !
La couleur liturgique verte qui est celle du « temps ordinaire »,
temps de la croissance, synonyme de vie et de création, nous accompagnera pour
le reste de l’année liturgique jusqu’à l’Avent 2024-25.
Ce
matin, les lectures mettent devant nos yeux une réalité assez dure, mais
constante dans la Parole de Dieu et dans l'enseignement de Jésus. Cette
réalité est celle du combat, de la lutte contre les forces du mal à l'œuvre
dans le monde et dans nos vies. Voilà le fil conducteur que nous
suivrons. Un sujet grave. Mais qui nous concerne tous : c’est
d’ailleurs peut-être la meilleure raison que nous ayons pour aller voter ce
matin !
Alors, vous n’avez peut-être pas envie de vous laisser entraîner dans ce type de réflexion pas très marrante : moi non plus d’ailleurs ; j’aurais préféré un sujet plus léger – mais bon, je vais essayer de vous partager ce qui me paraît plus essentiel et de vous le rendre plus digeste :
Dans
ce combat contre les forces du mal qui nous pèse tant et nous enserre si bien,
il y a heureusement trois bonnes nouvelles qui nous sont données dans
la Parole de ce dimanche.
La
première bonne nouvelle : Le mal n’est pas une fatalité !
Bon,
que les forces du mal sont à l’œuvre dans le monde et dans nos vies, je ne dois
pas vous faire un dessin ! On en parle dès la Genèse, au
tout début de la Bible. C’est une tentative d’expliquer l’origine du mal qu’il
ne faut pas trop vite rejeter sous prétexte qu’Adam et Eve sont des personnages
non historiques mais des images mythiques : ce récit contient de très intéressantes
vérités spirituelles qui nous éclairent.
On
se souvient du début du récit de ce qu’on appelé la « chute
originelle » : Dieu plante un jardin, peuplé d’arbres de toute sorte, et
le confie à l’homme et à la femme ; au centre du jardin, l’arbre de la
vie, et puis, quelque part, dans ce même jardin, un autre arbre, celui de la
connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. La consigne est
simple : « Vous pourrez manger de tous les arbres du jardin, sauf
d’un seul, celui-là, précisément, l’arbre de la connaissance de ce qui rend
heureux ou malheureux. »
Bon,
on connaît la suite ; le Serpent est passé par là et la pomme est croquée.
J’entends déjà certains d’entre vous s’exclamer : « Mais enfin ! C’est du pousse-au-crime ! Dites un peu à un enfant : Tu peux jouer avec tous les jouets, sauf avec celui-là. Qu’est-ce que vous croyez qu’il va faire ? » Justement ! Le poison du Serpent, son argument irrésistible, c’est : « Si vous en mangez, vous serez comme des dieux ». L’enfant, lui aussi, veut être comme les adultes (des dieux !), et ne supporte pas bien les limites qui sont les siennes et sa dépendance. L’humain, depuis le premier péché, est en perpétuelle crise d’adolescence.
La première conséquence de cette volonté de transgression, dans le récit de la Bible, c’est que la nudité qui était auparavant naturelle chez l’homme et la femme est devenue une gêne. Par nudité il faut comprendre : fragilité, vulnérabilité.
Avant, ils pouvaient être transparents l’un pour l’autre, ils n’avaient rien à
cacher et vivaient dans la confiance. À partir de maintenant, ils ont honte
et se méfient l’un de l’autre comme ils se méfient de Dieu : ils se
sont cachés devant lui. Finie la transparence ! Chacun se voulant être son
propre dieu, on ne veut montrer de soi-même que la force, la perfection, l’impeccable,
et on dissimule ou oublie, occulte le reste.
Bien
avant Freud et la psychanalyse, on a déjà ainsi clarifié dans la Bible quelques
ressorts qui animent l’inconscient et provoquent le malheur et avec lui, la
séparation, car le mal isole, rend seul.
Mais le mal n’est pas une fatalité ! La première bonne nouvelle, c’est que l’homme est créé libre, et reste tel. Il peut choisir son chemin, malgré tous les sifflements tentateurs des serpents embusqués dans sa tête. Et parfois il choisit le bien. Il choisit l’amour – Dieu.
Car, et c’est la deuxième bonne nouvelle de ce texte, si l’homme a désormais peur de Dieu et se cache – se coupe de lui, Dieu, lui, ne cessera pas de le chercher. « Adam, où es-tu ? » Toute la Bible est en quelque sorte l’histoire de cette quête inlassable de Dieu qui recherche l’humain et veut renouveler son alliance avec lui. Et Dieu questionne l’homme pour lui faire prendre conscience de ses motivations cachées. « Pourquoi fais-tu cela ? » demande souvent Jésus à ses adversaires qui veulent lui faire du mal.
Enfin,
la troisième bonne nouvelle que je vois dans ce récit, c’est qu’il
annonce déjà la victoire du bien sur le mal quand Dieu s’adresse au Serpent en
lui annonçant qu’il sera atteint à la tête et la femme seulement au talon :
cela dit bien, de manière imagée, que l’humanité, avec l’aide de la grâce, aura
le dessus. Le mal n’aura pas le dernier mot.
Alléluia ! Seul le Serpent est maudit par Dieu dans le récit biblique. Ce n’est pas l’homme ni la femme qui sont maudits, mais le mal. La colère de Dieu est toujours contre ce qui détruit l’humain. Cela veut dire aussi que le mal est complètement étranger à Dieu : voilà encore une question que nous nous posons souvent : d’où vient le mal ? Est-ce Dieu qui l’a voulu ?
La
Bible répond deux choses : le mal ne vient pas de Dieu, et il ne fait pas
non plus partie de la nature de l’homme. Donc, rien n’est perdu. Mais il y aura
un COMBAT SPIRITUEL, une lutte qui traversera, dans chaque génération, chaque
être humain, vous et moi compris…
C’est
là que le Christ va intervenir, puisque Dieu n’a pas voulu nous laisser au
pouvoir du mal et de la mort. Lui-même, le Fils de Dieu devenu pleinement
homme, va vivre ce combat et en triompher, en se laissant écraser par le mal sur
la Croix pour ressusciter ensuite et enlever à la mort son pouvoir par le pardon
des péchés.
Jésus
a livré ce combat contre le mal non pour lui-même mais pour tous ses frères
humains. Chaque fois qu’il guérissait des malades, pardonnait aux pécheurs
et les libérait de leurs démons, il manifestait que c’était la puissance de
Dieu qui opérait par lui ; mais en même temps, ce faisant, il accumulait
sur lui la haine et la colère de ceux qui se prenaient pour des justes, les
scribes et les pharisiens.
Alors
dans l’Evangile d’aujourd’hui, on assiste justement à un paroxysme de
cette haine et de cette incompréhension. Les gens de la propre famille (le
clan) de Jésus disent de lui : « Il a perdu la tête » et ils
veulent l’enlever, le récupérer ; tandis que les scribes l’accusent d’être
possédé par Satan (Béelzéboul) qui lui aurait donné son pouvoir.
Vous savez, en politique, il est très courant de ‘diaboliser’ ses adversaires afin de les disqualifier totalement aux yeux des électeurs, et pour cela on va leur prêter des intentions qui ne sont pas forcément les leurs, en noircissant tout ce qu’ils réalisent ou projettent de réaliser, même les bonnes choses : il ne peut y avoir rien de bon chez eux. Ces derniers jours, beaucoup de politiciens semblent s’être livrés à ce petit jeu, alors que le reste du temps, avant les élections, ils s’entendaient malgré tout pour diriger ensemble le pays.
Pareillement, lorsque des couples sont en instance de
divorce, il est malheureusement fréquent aussi de voir l’une ou l’autre partie
diaboliser l’autre – et parfois les deux parties.
Mais
ici, dans le cas de Jésus, c’est infiniment plus grave : Jésus parle
d’un péché contre l’Esprit, qui ne peut pas être pardonné.
Auparavant, avec humour, il tourne en dérision les scribes qui l’accusent d’être manipulé par Satan, en leur balançant une sorte de parabole : « Comment Satan peut-il expulser Satan ? Un royaume s’il est divisé contre lui-même, il ne peut pas tenir… ».
Et il enfonce le clou en se comparant à celui qui a ligoté l’homme fort pour entrer dans sa maison et piller ses biens. Comprenons : « L’homme fort, c’est Satan ; si moi, Jésus, je me suis rendu maître dans la maison de Satan, puisque j’expulse les démons, c’est que je suis plus fort que Satan, par la main de Dieu. »
Et
Jésus en profite alors pour nous donner un enseignement extrêmement
important : il parle d’un péché qui ne peut pas être pardonné. Or
il dit bien pour commencer que « tout sera pardonné aux enfants des hommes,
leurs péchés et les blasphèmes qu’ils auront proférés. Mais, ajoute-t-il, si
quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon. Il est
coupable d’un péché pour toujours. »
La première partie de la phrase ne nous étonne pas ; nous sommes bien persuadés, heureusement, que Dieu pardonne toujours – la miséricorde de Dieu est sans limites, l’Ancien Testament l’a tant de fois répété : « Oui près du Seigneur est l’amour, près de lui abonde le rachat, dit le psaume 129 ; c’est lui qui rachètera Israël de toutes ses fautes. »
Mais alors, la deuxième partie de la phrase de Jésus nous choque et nous fait peur : Jésus dit qu’il existe un péché impardonnable, ce qu’il appelle 'le blasphème contre l’Esprit'. Pourquoi emploie-t-il cette expression si dure ? Et qu’est-ce qu’elle veut dire ?
Il faut se reporter encore une fois au récit dans la Genèse : Le Serpent avait introduit chez l’homme et la femme le soupçon contre Dieu, en insinuant que Dieu était malveillant et trompeur, car il aurait interdit les fruits de l’arbre en prétextant qu’ils étaient vénéneux alors que c’était pour les garder pour lui-même et brimer les humains. Or, c’est la même accusation que celle du serpent qui revient dans la bouche des scribes : leur discours contre Jésus revient en effet à jeter le discrédit sur lui en le soupçonnant d’agir pour le compte de Satan, et de tromper les foules qui le suivent.
Prêter des arrière-pensées malveillantes à Celui qui n’est qu’Amour, c’est cela que Jésus appelle « blasphémer contre l’Esprit ». Car c’est au moment même où Jésus guérit que les scribes le traitent de démon ; c’est n’avoir vraiment rien compris à l’amour de Dieu ! Voilà pourquoi Jésus dit que ce péché-là est impardonnable : ce n’est pas que Dieu refuserait de pardonner, ce sont les cœurs des scribes qui se sont fermés et ne veulent pas accueillir l’Amour.
Terrifiant constat :
le voleur, la pécheresse, le fils prodigue, le brigand crucifié, Matthieu,
Zachée…, tous ces gens simples s’ouvrent au pardon ; tandis que des
savants, des autorités renommées portent des jugements faux et s’excluent
eux-mêmes de la miséricorde ! Le péché d’esprit est bien pire que le péché
de chair.
Décréter
que soigner les malades, guérir les handicapés, rendre la justice…, est une
œuvre satanique, c’est pervertir l’ordre des valeurs, c’est appeler
« mal » ce qui est « bien », c’est détruire le socle de la
morale et du vivre ensemble harmonieux, de la cohésion sociale. Condamner un
bienfaiteur, c’est s’enfermer dans la prison du mensonge.
J’imagine
que vous devez penser à bien des situations analogues aujourd’hui, qui
sont amplifiées par un monde médiatique débridé où les réseaux sociaux
diffusent à une très grande échelle une quantité de « fake news »,
de rumeurs et colportages calomnieux fabriqués dans des buts très peu glorieux,
mais destructeurs de vies et manipulateurs des consciences.
Certaines
personnes
– je ne vous décrirai pas un personnage à la mèche blonde d’outre-Atlantique que
vous devez connaître – semblent ne plus pouvoir faire autre chose que mentir,
avec une assurance telle qu’eux-mêmes doivent être convaincus de ce qu’ils disent.
Ce sont des manipulateurs extrêmement dangereux, qui conduisent les gens à ne
plus pouvoir reconnaître où est le bien et où est le mal. Ils sont fauteurs de
guerres et de malheurs.
On comprend que Jésus affirme que « sa vraie famille », sa mère, ses frères, ce sont ceux qui font la volonté de Dieu, qui mettent sa Parole (véridique) en pratique !
Après
le communisme, le nazisme et le capitalisme sauvage, le règne maintenant de la
fausse information et de la manipulation des masses, n’est-ce pas le 4ème
tsunami qui menace l’avenir de l’humanité ? Dans ce monde qui perd le
sens des valeurs, l’Evangile nous propose non pas une vie conventionnelle
calquée sur les façons ordinaires du monde, mais une conduite contradictoire
qui appelle heureux, les pauvres, les doux, les miséricordieux…
Bien
sûr, si nous ne suivons pas les modes des idées et des comportements, nous aussi
nous nous entendrons dire : « Il a perdu la tête » ; des
membres de notre famille feront pression pour nous ramener dans le rang ;
des autorités compétente et distinguées – même d’Eglise – jetteront le
discrédit sur nos initiatives ; on tournera en dérision ceux qui essaient
de vivre l’Evangile ; on complotera pour que la foi reste privée, enfermée
dans les sacristies, évacuée des réseaux d’enseignement, on voudra démontrer
qu’elle est incompatible avec la modernité… Mais que l’on fasse bien attention
en tout cas à cet avertissement gravissime du Seigneur : « Dieu
pardonnera toutes vos faiblesses…Mais il ne peut pardonner à celui qui
pervertit les valeurs, qui diabolise le travail de guérison et de salut de
l’homme qu’insuffle l’Esprit ».
En ce moment où tant de choses vitales pour l'avenir de l'Humanité se jouent dans les urnes, l’heure n’est-elle pas venue où, sans arrogance, il nous est demandé d’afficher l’originalité chrétienne ? Quitte à être la cible de moqueries. « Tu es fou » : n’est-ce pas un « compliment » que nous devrions entendre plus souvent ?
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