C DIM RAMEAUX - La joie des Rameaux
Un homme va mourir. Il faudrait pleurer. Mais la foule est en liesse et
Jésus ne repousse pas sa joie. Elle accueille son messie avec des « Hosanna,
béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, béni soit notre roi… »
Nous serions tentés de fustiger l'exubérance des gens, de la réprimer. Est-ce
convenable de se réjouir, alors que la violence va se déchaîner ? L'heure
est-elle à fête et à la joie ?
Pendant longtemps, j’ai pensé que cette joie était hors sujet, juste là
pour faire contraste avec le drame de la Passion qui allait se dérouler ensuite
(liturgiquement, quelques secondes après). Et, que c’est donc la Passion du
Christ avec toutes ses souffrances qui allait donner le ton à cette semaine
sainte, la « pèneuse samaine » (semaine peineuse, comme on le dit
dans notre parler wallon).
Bon. Il y a sans doute plein de raisons d’associer d’emblée, dans la même célébration, le récit de la
Passion de Jésus à celui des « rameaux » et de l’entrée triomphale
dans sa ville de Jérusalem. On est comme dans le prélude d’une grande
symphonie, un opéra dramatique où le thème est donné dès les premières mesures,
thème qui sera développé ensuite dans toutes ses parties…
Mais il me semble qu’à cause précisément de cette association, le sens de cette fête des Rameaux est vite évacué au profit de la méditation de la Passion, et que la joie de ce jour passe d’un coup à la trappe ! Et c’est dommage… La gravité de la Passion ne devrait pas éclipser la joie populaire (terme non péjoratif) de l’Entrée de Jésus à Jérusalem qui aujourd’hui représente l’Eglise. C'est la joie des petits, des pauvres, des enfants... qui sans arrière-pensée acclament Jésus sur son petit âne. Pourquoi la récuserions-nous ? "Si vous ne devenez comme les petits enfants..." (Mt 18,3-4). Les nombreuses personnes qui viennent ce jour-là chercher du buis béni à l'église alors qu'elles ne fréquentent guère nos offices, font partie de ce peuple des humbles pour lesquels Jésus a loué son Père (cf. Mt 11,25).
Je voudrais donc redire en insistant que cette fête des Rameaux est bien
une fête ! Et que les branches, les rameaux de buis que l’on va bénir
sont bien les signes joyeux, les étendards et les bannières que le peuple
chrétien expose de façon à ce que tout le monde puisse les voir, en les
accrochant aux croix des rues et des maisons. Ils figurent déjà la victoire de Jésus
à Pâques, où le bois a refleuri pour un nouveau printemps, un Printemps de vie
qui ne finira jamais… ! Et la foule qui acclame en agitant ces branches
est le peuple des sauvés, comme une répétition générale avant la Pâques et la résurrection…
La procession des rameaux elle aussi – là où on la fait encore, car
malheureusement elle se réduit au fur et à mesure que vieillissent les paroissiens…
- cette procession où l’on marche ensemble, debout, avec la palme à la main vers l'autel, est
déjà celle de la grande Veillée pascale qui voit tout le peuple des croyants,
debout, entrer dans l’église en tenant un cierge allumé…
C’est génial, non…? Le christianisme est la religion qui anticipe - en la
faisant voir et admirer dans ses signes - la victoire et la gloire finales de
Dieu dans l’Homme ! Le Ciel est déjà sur la terre, on le fait advenir alors que les peines et les misères encerclent toujours l’humanité. La Vie est triomphante,
alors que les forces de la mort et du mal exercent encore un pouvoir mais qui est déjà
perdu, fini…
Les Rameaux, c’est Pâques avant la lettre ! Et c’est bien, c’est très
heureux de la part de l'Eglise, d’anticiper, de nous mettre sous les yeux et dans le cœur l’aboutissement
du projet d’amour de Dieu, sa victoire sur la mort, avant d’entrer dans les
affres et les douleurs de la Passion - celles du Christ et aussi les nôtre, car
« c’est bien nos souffrances qu’il portait » écrivait Isaïe.
Il faut donc faire la fête, aujourd’hui ! Sans réserve et sans pudeur !
Manger et boire de bonnes choses car le carême est fini, les 40 jours sont terminés, on entre maintenant dans autre chose. Et il faut des forces pour suivre Jésus jusqu’à la croix et passer avec Lui dans la vie nouvelle ou la nouveauté de vie. On jeûnera seulement le Vendredi Saint, quand « l’Epoux nous sera enlevé ». Mais le ton est donné dès maintenant : à bas le désespoir ! La victoire est au bout, et elle est déjà présente maintenant, dans les sacrements que Jésus nous offre par l’Eglise.
La fête des Rameaux est bien dans le thème du Jubilé de l’année sainte :
« pèlerins d’espérance », puisqu’elle nous fait croire et déjà nous
réjouir pour ce que nous ne voyons pas encore : notre propre salut, notre
propre résurrection ! (Épitre aux Romains,8 :24-25)
Cette
attitude, frères et sœurs, peut et doit aussi nous aider dans nos deuils,
nos pertes, nos épreuves en tout genre. Oui, nous devrons aussi affronter notre
mort et celle de nos proches, nous vivrons notre passion. Mais nous la vivrons
avec le Christ, c’est lui qui la vivra en nous et qui en fera un chemin de
lumière, qui débouche dans la lumière. C’est pour cela qu’aujourd’hui, avec
ces petits rameaux et des hosanna (qui seront bientôt des alleluia), il faut chanter
et faire la fête !
Hosanna !
Hosanna !
« Fais
la fête, Église du Christ ! Mène la danse, non en figure ni de façon
matérielle, mais fais la fête en esprit et dans ton cœur. Car pour toi, je
m’écrie avec Paul d’une voix sainte et forte : « Les choses anciennes ont
disparu, voici que tout est nouveau » (2Co 5,17). Oui, réjouis-toi dans le
Seigneur, troupeau du Christ.
Ô jour
de fête admirable par sa nouveauté, surprenant et étonnant : les enfants
acclament le Christ comme Dieu et les prêtres le maudissent, les enfants
l’adorent et les docteurs méprisants le calomnient. Les enfants crient : «
Hosanna ! » et les hébreux vocifèrent : « Crucifie-le ! » Ceux-ci se
rassemblent autour du Christ avec des palmes, ceux-là se jettent sur lui avec
des épées. Ceux-ci coupent des Rameaux, ceux-là préparent une croix. »
Épiphane
de Salamine
Homélie
pour la fête des Palmes
« Seigneur
Jésus, que ton visage apparaisse glorieux ou humilié, toujours on y voit luire
la sagesse. De ton visage rayonne l’éclat de la lumière éternelle. Que brille
toujours sur nous, Seigneur, la lumière de ton visage dans les tristesses comme
dans les joies… Tu es la joie et le salut de tous, qu’ils te voient monté sur
l’âne ou suspendu au bois de la croix. »
Bienheureux
Guerric d’Igny (v. 1080-1157)
3° Sermon pour le dimanche des Rameaux
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