B DIM 16 - Le mur de la haine
Il y a, chers amis, dans les lectures de ce
dimanche une phrase qui n’a pas dû manquer de vous faire réagir ; en tout
cas, moi, elle m’a interpellé. C’est dans la lettre de saint Paul aux éphésiens : « Le Christ,
par sa chair crucifiée, a détruit le mur de la haine ».
Elle m’a interpellé, cette phrase, parce que tout ce que nous voyons autour de nous dans le monde, semble la nier. En fait, on n’a peut-être jamais construit autant de murs qu’aujourd’hui !
Et ce n’est pas ce cher Donald
Trump qui va le démentir, lui qui a promis que dès qu’il sera réélu, il fera
terminer le mur qu’il a ordonné d’édifier sur la frontière entre le Mexique et
les Etats-Unis, et il fermera complètement cette frontière.
Des murs pour séparer les gens,
les peuples, l’humanité n’a jamais cessé d’en construire : l’un des plus
anciens est sans doute la Grande Muraille de Chine (6.000 km). Mais bien
d’autres ont apparu depuis sur toute la surface du globe :
- Le mur de Corée, entre la
Corée du Nord et la Corée du Sud (238 km) ;
- Le mur des sables, construit par le Maroc dans le
Sahara occidental (2700 km, 3 m de hauteur) ;
- Mur Inde-Bangladesh, construit par l’Inde (3200 km
de fil de fer barbelé) ;
- La « Ligne verte »,
mur surveillé par la Force des Nations Unies qui coupe l’île de Chypres en deux
entre Turcs et Grecs ;
- On a peut-être oublié les « Peace
Walls » qui en Irlande séparent encore certains quartiers catholiques
et protestants depuis 1970.
- On pourrait ajouter les fameuses
ligne Maginot et ligne Siegfried ;
- Enfin, celui qui nous est le
mieux connu sans doute, le fameux « mur de Berlin » et le
rideau de fer qui séparaient l’Allemagne de l’Est de l’Allemagne de
l’Ouest, mais aussi tout le continent européen de l’URSS.
- Même si ce dernier est tombé le
9 novembre 1989, que dire de ceux qui se dressent actuellement entre la
Russie et les pays de l’OTAN, que Poutine cherche à élargir et dont
l’Ukraine fait les frais ?
Tous ces nouveaux murs (-il y en a 70 construits depuis 1989) font aujourd’hui 41.000 km, soit exactement la distance du tour de la Terre !
Et nul doute que les habitants
de la Palestine occupée (Cisjordanie et Jérusalem), les Israéliens des colonies
mais aussi les habitants de Gaza, les familles juives des otages et celles des
victimes de l’attaque terroriste du 7 octobre, dans ce pays ou Paul et le
Christ lui-même ont vécu, ce pays qui est complètement fracturé et hachuré de
murailles, de barbelés et de check-points…, tous auraient certainement bien à
redire sur cette phrase qui semble plus que jamais totalement décalée : « Lui,
le Christ, a fait tomber le mur de la haine ; il a tué la haine. »
Notons que si la peur, la haine ou la simple précaution sécuritaire dressent partout des murs, on se rend compte cependant que ces protections contre le terrorisme, l’immigration massive, les trafics illégaux, etc, qu’elles soient ou non légitimes, ces soi-disant protections sont fragiles et même illusoires, elles s’exposent tôt ou tard à la faillite, comme celles qui entouraient la bande de Gaza : ce « mur de fer » comme on l’appelait, en métal et haut de 8 m, qui a coûté plus d’un milliard de dollars, ce mur bardé de capteurs, radars, surveillance vidéo, etc, un sommet de technologie, n’a pas tenu 10 minutes devant l’assaut des combattants du Hamas le 7 octobre.
Ce mur n’était qu’un leurre,
comme tous les murs d’ailleurs : Tôt ou tard, ils finissent tous par
tomber. Mais en attendant, ils n’occasionnent que des souffrances, des
frustrations, de la colère et encore de la haine.
« En sa personne, le Christ
a tué la haine, il a détruit le mur de la haine » : Comment comprendre cette
phrase ? Quelle est sa pertinence ? Le sacrifice du Christ n’a-t-il
pas été vain quand refleurissent de plus en plus les divisions et les
séparations meurtrières ?
Je vais tâcher de répondre à
cette question qui me paraît essentielle.
Remarquons d’abord que Jésus est venu « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,52). Les textes de ce dimanche y font d’une certaine manière écho comme on peut le lire dans la première lecture de Jérémie où Dieu reproche aux pasteurs sensés conduire le peuple de ‘disperser les brebis apeurées et effrayées’, et promet un roi juste descendant de David qui fera en sorte qu’Israël ‘habitera en sécurité’. Dans l’évangile Jésus enseigne les foules dont il a pitié parce qu’elles sont ‘comme des brebis sans berger’.
Jésus s’est
progressivement identifié à ce berger d’Israël ; plus tard, par ex. suite
à sa rencontre avec la cananéenne (Mt 15,21-28), il comprendra qu’il a été
envoyé aussi pour toutes les nations païennes. Mais c’est bien ce qu’on lui
reprochera, précisément : c’est d’avoir élargi l’héritage et les
promesses de Dieu faites à Israël, à ce monde dont les Juifs veulent rester
séparés et avec lequel ils ne veulent avoir rien en commun.
Car, chers amis, ces fameux murs
dont nous parlions, c’est avant tout dans notre tête qu’ils sont !
Paul sait qu’il y a un mur
invisible séparant les juifs des non-juifs : il se manifeste dans la
nourriture (casher), les rites (la circoncision) et les prescriptions juridiques
(comme le shabbat), l’habillement, les papillotes, la kippa, les franges, etc. Tout
cela a pour but et pour effet de séparer les uns des autres !
Et ces différences volontairement affichées nourrissent la peur, la méfiance, voire la haine. Les Juifs en ont d’ailleurs été très souvent victimes eux-mêmes.
On mesure mal aujourd’hui la
révolution apportée par le christianisme qui abolit ces différences, n’imposant
plus la circoncision, l’abstinence d’aliments dits impurs comme le sang, les
vêtements et tout le reste ! ça
n’a d’ailleurs pas été si évident dans les débuts et cela a donné lieu à de
grosses discussions qui sont relatées dans les Actes des Apôtres…
Mais ne dressons-nous pas aujourd’hui
d’autres murs dans nos têtes, aussi imperméables que ceux qui existaient au
temps du Christ ?
Le séparatisme progresse à pas de géants, porté par une extrême-droite identitaire renaissante et les courants nationalistes. Chacun se réfugie sur son îlot ou son quartier, tenaillé par la méfiance et le rejet de l’autre, de ses façons de vivre. Le multiculturalisme a du plomb dans l’aile ! Et pas seulement entre wallons et flamands : Il suffit de voir dans nos villes les ghettos arabo-musulmans, marocains, turcs, africains, italiens, belgo-belges, etc. Chacun ses coutumes, sa langue, sa cuisine, son quartier, ses propres lois ! Et les burkas, les djellabas, les boubous soulignent l’appartenance à sa communauté et sa séparation des autres. (D'une certaine façon, même la soutane ou le "col romain" eccésiastique peuvent exprimer ce désir de séparation - surtout, comme disait un confrère, chez ceux qui ont ce col romain dans leur tête et en deviennent rigides!)
Il est dit pourtant que « le
Seigneur ne fait pas de différence entre les hommes » (Ac 10,34 ;
15,9), mais ceux-ci sacralisent ces différences au point de les ériger en murs
infranchissables.
N’avons-nous pas nous-mêmes certains
préjugés envers les autres cultures ou les autres religions ? Quand j’étais petit, on se
moquait devant nous des italiens « macaronis » qu’on disait paresseux et
profiteurs ; on disait que les arabes, les juifs sentaient mauvais – ce que
je n’ai jamais constaté. Ils se lavent aussi bien que nous.
Aujourd’hui d’autres préjugés
stigmatisants visent les migrants, les réfugiés, les étrangers en général… ou
les voisins de palier. D’une communauté à l’autre on se regarde en chiens de
faïence. L’Europe elle-même est victime de ces tiraillements et du regain des
nationalismes en son sein.
Pour Paul, prêcher le Christ, c’est
refuser tout séparatisme, qu’il soit juif ou païen. Laisser libre et ne rien
imposer, sinon le respect de l’autre. Les premiers chrétiens ont appris à cohabiter
entre hébreux, grecs, romains et phéniciens, entre esclaves et hommes libres,
entre hommes et femmes. Ça n’a pas toujours été simple, mais ils l’ont fait ;
sinon le christianisme serait resté une petite secte orientale au lieu d’être,
plus qu’une religion mondiale, une communion universelle de frères et de sœurs.
Mais je repose la question :
Jésus a-t-il échoué à établir cette fraternité universelle entre les nations, à
rassembler tous les enfants de Dieu dispersés ? Son sacrifice n’aurait-il
servi à rien ?
On ne peut pas dire cela. Si la
communion universelle n’est pas encore achevée, c’est que cette conversion est
lente et difficile. Elle prendra encore peut-être des siècles, car l’humain écoute
plus volontiers ses démons intérieurs que la voix de Dieu. Pourtant, des
progrès notables existent, même s’ils restent toujours fragiles et sujets à
des retours en arrière possibles : la construction européenne sur des
valeurs démocratiques partagées entre les nations après tant de guerres et de
murs entre elles, en est un des meilleurs exemples.
En fait, ce que Jésus a accompli
par sa mort sur la croix en tant que Fils de Dieu et Fils de l’Homme, c’est qu’il
a délégitimé la violence et la haine au nom d’une race, d’une religion, d’une
politique… quelle qu’elle soit, et rendu inopérante et sans valeur toute
justification aux murs qu’érigent les hommes.
L’écriteau apposé par Pilate sur la croix, qui proclame « Le
roi des Juifs » en trois langues : hébreu, latin et grec, l’atteste
définitivement.
Suis-je, par mon comportement,
mes discours, de ceux qui construisent ou qui détruisent, abattent ces murs ?
...
Merci Seigneur, tu es venu annoncer
la bonne nouvelle de la Paix, la paix pour ceux qui étaient loin, la paix pour
ceux qui étaient proches. Puisque dans l’Esprit nous avons accès au même Père,
fais-nous aimer tous comme des frères ! Amen.
« Au sein
de notre humanité encore désunie et déchirée, nous savons et nous constatons
que tu changes les cœurs et les prépares à la réconciliation. Ton Esprit
travaille le cœur des hommes : pour que les ennemis se parlent à nouveau, que
les adversaires se tendent la main, et que les peuples cherchent à se
rencontrer. Oui, c’est ton œuvre, Seigneur, quand l’amour l’emporte sur la
haine, quand la vengeance fait place au pardon, et la discorde se change en
amitié » (Préface
de la prière eucharistique pour la réconciliation II).
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