C CAR 04 - De pire aveugle

 

Homélie 4è dim. carême A (19/03/2023) – « Pas de pires aveugles… »


Antoine de Saint-Exupéry faisait dire au Petit Prince dans son conte que « l’essentiel est invisible pour les yeux. » Le livre de Samuel dit : « Les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur. »

Saint Jean, lui, nous démontre dans le récit de la guérison de l’aveugle-né qu’apparemment, on ne voit que ce qu’on a envie de voir, et on ne voit pas ce qui nous gène dans notre vision du monde

Les Pharisiens ont choisi de ne pas voir.

C’est un fait. Et les faits sont têtus, comme le rappelle l’expression anglaise. Plus têtus qu’un Lord-maire.

Pourtant, l’habitude de tordre les faits en les dénaturant ou en les déguisant, de tordre la réalité pour qu’elle corresponde à notre façon de voir les choses, cette habitude est bien ancrée dans l’humanité, et donc – même s’il nous en coûte de l’avouer, aussi en nous dans une certaine mesure. Un même évènement rapporté par deux journalistes pourra avoir une signification complètement différente selon l’interprétation qui en est faite.

C’est un peu comme si nous portions tous des lunettes déformantes… En fait, nous voyons tous la même chose, mais c’est notre cerveau qui interprète ce que les yeux voient. Et cette interprétation se fait avec une grille qui nous est personnelle, mais aussi en partie collective.

Savez-vous que, selon un sondage récent, il y a encore 12 millions d’Américains qui croient dur comme fer que la terre est plate ? Ne vous moquez pas : en Europe, le chiffre des « platistes » avoisine les 7 % !

Il y a à peu près 10 ans de cela, ma maman âgée alors de 86 ans était tombée brusquement alors qu’elle se promenait au bras de mon papa dans leur rue. Conduite aux urgences à l’hôpital (je ne vous dirai pas lequel), après avoir fait un scanner, le médecin gériatre diagnostiqua une obstruction intestinale. J’allais la voir tous les jours et après son réveil je la trouvai changée : des difficultés d’élocution et une vision déformée (elle voyait les ouvriers du chantier voisin de l’hôpital en double).

J’allai donc trouver le médecin gériatre, et lui demandai : « N’avez-vous pas pensé à un AVC, docteur ? » Il m’a répondu sans aucune aménité : « Ce n’est pas votre affaire ! », et il a tourné les talons.

Bref, il était passé à côté du véritable problème, et il a refusé catégoriquement de le reconnaître. Evidemment, les dégâts d’un AVC après plusieurs jours (et même plusieurs heures) sont irréversibles… Et une forme de démence s’est développée chez ma maman suite à cet accident, qui finalement conduira à son décès deux ans plus tard.

Pour pouvoir la faire passer en régime handicapé (la Vierge Noire), j’avais besoin d’un rapport médical de l’hôpital, or on refusait de me le fournir ! Je suis allé moi-même dans le bureau de la secrétaire du gériatre, en l’absence de ce dernier, et j’ai menacé d’appeler la police si on ne me donnait pas immédiatement ce rapport médical, que la secrétaire m’a finalement remis. En fait, j’aurais pu porter plainte…

Mais bien sûr, il n’y a pas que des médecins qui refusent de reconnaître leurs erreurs… Est-ce que vous vous souvenez du président Georges Bush, jurant la main sur le cœur, que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive, pour justifier l’invasion de l’Irak par les troupes de la coalition ? 



Le mensonge a toujours été l’arme favorite des violents. Des régimes politiques entiers ont été construits et continuent de l’être sur la seule base du mensonge, porté à un niveau idéologique. Qu’on pense aux énormités proférées par un président russe Poutine, un chinois Xi Jinping, sans oublier bien sûr le favori toutes catégories M. Donald Trump… !

Le pire est que ça marche ! Enfermées dans ces systèmes de pensée étroitement contrôlés dans un environnement coercitif et répressif, les peuples se soumettent sans trop se poser des questions à la vision commune, dispensée par le Grand Leader. Ils suivent aveuglément le « pravda », la « vérité » incarnée par le chef qui les envoie se faire trouer la peau en Ukraine.



Mais nous-mêmes, n’aimons-nous pas voir (et donc croire) ce qui au fond nous arrange ? Même en matière religieuse, j’observe depuis des années un glissement progressif des contenus de foi (les dogmes chrétiens) qui sont enseignés par exemple en catéchèse, mais aussi dans les prédications et les articles dans les journaux chrétiens. ...On dira qu’il ne s’agit que de l’emballage, que ce n’est que la présentation qui évolue dans un sens plus moderne et pédagogique. Sans doute. Mais pour ne prendre que l’exemple des « fins dernières » telles qu’elles sont évoquées lors des célébrations de funérailles, il est certain que les discours qui sont tenus aujourd'hui par les célébrants n’ont plus grand-chose à voir avec ceux de leurs homologues des années 50 ou 60, où les concepts de paradis, d’enfer et de purgatoire, de péché et de pardon,  tenaient une place principale.

Et il en va de même pour les notions de « salut », de « résurrection », de « pénitence » ou « conversion » (mourir à soi-même pour revêtir le Christ) qui ont beaucoup évolué. Quant aux miracles, beaucoup de nos contemporains n’y croient plus.  

Peut-être cela a-t-il une incidence sur la fréquentation d’un lieu comme Lourdes, dont le nombre de pèlerins a diminué de 24 % en 5 ans selon l’AFP. Les miracles ne font apparemment plus recette…

Croit-on ce que l’on voit ou voit-on ce que l’on croit ? Nier la réalité ne change pas la réalité mais la perception que nous en avons.

L’aveuglement des pharisiens est de toutes les époques et de toutes les cultures, hélas !
Le pauvre aveugle de naissance a beau leur fournir son dossier médical, la preuve de son opération par Jésus, et son état actuel de voyant, les pharisiens n’en démordent pas : Jésus n’est qu’un pécheur, donc il ne peut pas guérir, encore moins un jour de shabbat, donc soit l’aveugle n’est pas vraiment guéri, soit il n’était pas vraiment aveugle.


Dans cette scène, les témoins tournent comme des girouettes au gré de leurs croyances : « C’est lui, le mendiant ! » « Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble ! » Les parents de l’aveugle restent prudents : ils se contentent de constater les faits, mais refusent de les interpréter, par peur d’être pris à partie. « Interrogez-le, il est assez grand pour s’expliquez lui-même ! » Finalement, les pharisiens affirment qu’il savent, eux, et donc ils nient les faits ou les tordent pour qu’ils correspondent à leur vision a priori. « Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur ».

Décidément, il y a pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir ! D’où le constat amer que fait Jésus à la fin :
 « Je suis venu en ce monde pour une remise en question : pour que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient (qui croient voir) deviennent aveugles ».

La remise en question apportée par Jésus nous concerne chacun et tous.


Dans quels domaines est-ce que je préfère ne pas voir certaines choses, les réalités qui me dérangent ou qui m’interpellent ? Réalités de la société où je vis et à laquelle je participe par la consommation, l’exclusion de certaines personnes ou catégories, l’exploitation des ressources de peuples lointain, la pollution… Ce peut-être aussi à côté de chez moi des problèmes de violence conjugale, ou d’assuétude, alcool ou drogue, mendicité, décrochage scolaire de jeunes, maltraitance de personnes âgées…

Parfois on préfère ne pas savoir, ou ne pas voir ces problèmes, pour ne pas devoir s’impliquer. Des personnes deviennent transparentes, invisibles. Pour s’informer, par exemple sur la situation que vivent les populations du Brésil, les petits paysans face aux grandes multinationales agro-alimentaires qui leur volent leurs terres, eh bien cela demande un effort. On doit sortir de notre confort. Encore davantage pour modifier notre façon de vivre et de consommer pour ne pas contribuer aux systèmes basés sur l’injustice.

C’est à ce niveau qu’Entraide et Fraternité nous interpelle aujourd’hui au travers de sa compagne de carême, avec pour thème le Droit à la Terre. Oserons-nous voir et analyser ces réalités qui ne sont pas si lointaines comme nous pourrions le croire, parce nous sommes concernés dans cette chaîne de profit ? Et, dans le troisième temps, voir juger puis agir, en devenant acteur de changement chez nous, et en participant par le partage aux actions de solidarités qui nous sont proposées comme la collecte du carême ?

Aujourd’hui, Jésus nous invite – nous provoque à une remise en question.

Comme l’aveugle-né de l’évangile, nous avons besoin d’un traitement de choc, un traitement de Siloé : La boue sur les yeux signifie une nouvelle Création comme à la Genèse où Dieu créa l’homme à partir de la boue. Apprendre à se lever pour devenir autonome et ne plus dépendre des opinions des autres, et enfin, plonger dans la piscine -càd dans la Foi, la confiance dans la Parole du Seigneur pour enlever ce qui nous empêche de voir et d’agir.





Le chemin chrétien est un chemin d’illumination : Sur notre route vers la Pâques, devenons des « voyants » ! Amen.

 


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LES HOMELIES - ANNEE A