B DIM 19 - La vie est bonne !
Qu’est-ce que la vie ?
Il y a quelques temps, j’ai eu la joie de baptiser une petite
fille que ses parents avaient prénommée « Zoé » (comme la voiture,
mais cela n’a rien à voir).
Lors de la préparation, les parents avaient été étonnés
et heureux d’apprendre que ce prénom « Zoé », d’origine grecque,
signifie « la vie » - le ou la vivante. C’était un très bon choix !
Zoè a donné en français aussi le terme zoologie, la
science du vivant.
Mais qu’est-ce que la vie ?
Peut-on la définir uniquement par l’absence de son contraire, la mort ?
La vie est assurément quelque chose auquel nous tenons –
à moins d’être comme Job, qui maudit le jour qui l’a vu naître et qui aurait
préféré qu’il ne fût jamais.
La vie peut parfois être insupportable à certains
moments, dans certaines conditions – quand on la subit, comme un cortège de
malheurs incessants dont on ne voit pas la fin…
Mais, fondamentalement, je pense que la vie
est bonne. Même si on s’en plaint, si on récrimine comme les
hébreux jadis. Toute vie humaine connaît des difficultés, des moments de vide
qui peuvent parfois vous aspirer, tirer vers le fond de l’abîme. Cependant je
crois que la vie, engrammée au fond de nous-même, est généralement la plus
forte, à laquelle se sont accrochés même les détenus des camps de la mort.
La première lecture relate un épisode difficile de la vie
du prophète Elie (Rois,). Pourchassé par la reine Jézabel qui lui en veut à
mort de l’avoir humiliée, Elie a fui au désert, avec un fort sentiment d’échec.
On ne l’écoute pas. Il est découragé, aujourd’hui on dirait qu’il fait une
dépression. Et là, dans sa traversée du désert, il n’en peut plus, il se couche
et demande à mourir.
« Je ne vaux pas mieux que mes pères. C’en
est trop. Reprends ma vie ! » Et il s’endormit, de ce
sommeil qui ressemble à la mort…
Il a fallu alors l’intervention de Dieu qui, par son ange,
par deux fois lui dépose de la nourriture et de l’eau, le touche et lui ordonne
de se lever et de manger « car il est long, le chemin qui te reste ».
Ceux qui sont passés par la dépression savent que le
relèvement est très progressif, et qu’il s’appuie sur des gestes simples qui
renouent lentement avec la vie… Heureusement, dans cette traversée du désert,
on peut rencontrer des ‘anges’ qui ont la patience, la douceur et l’énergie
nécessaire pour vous remettre en route ! …Et parfois, il nous est donné d’être
nous-même cet ange pour quelqu’un d’autre (angelion veut dire ‘envoyé’).
Dans mon bureau, j’avais une petite icône d’Elie couché et de l’ange qui lui
montrait la cruche d’eau et le pain…
Oui, la vie est précieuse, elle est bonne, mais ce n’est
pas toujours évident nous le savons bien. Mais de quelle vie parle donc
Jésus quand il dit que « celui qui croit en lui a la vie éternelle »,
et que « celui qui mange de ce pain -qu’il est lui-même, vivra pour
toujours » ?
Spontanément, avec nos notions de catéchisme, nous
pensons à une vie après la mort, une ‘seconde vie’ une fois que le
Christ nous aura ressuscités. Et ce n’est pas faux, bien entendu. De plus, tout
l’enseignement des évangiles et de l’Eglise semble converger vers ce but :
acquérir la « vie éternelle ».
Cependant, nous pourrions nous tromper (et beaucoup
le font) : La vie éternelle telle que la foi chrétienne la présente à la suite
des évangiles n’est pas une « seconde vie » interminable !
Comme si on rejouait un karma, une deuxième « mi-temps »…
Comme le suggère Paul dans sa lettre aux Ephésiens, nous
avons été marqués -à notre baptême- du sceau du Saint-Esprit en vue du
jour de notre délivrance (de notre corps). Dès ce moment, la vie éternelle
était commencée, qui est la vie dans l’Esprit, la vie selon la Grâce
divine.
Et celle-ci s’appelle « Zoè » (49 X chez
saint Jean). On parle ici de ce qui a trait à la vie spirituelle, du souffle divin
qui anime l’être vivant et qui est donné par Dieu – par opposition au « Bios »,
autre nom pour la vie en grec, mais qui ne concerne que ce qui a trait au fonctionnement
biologique de l’espèce (2 usages chez saint Jean).
En ce sens la vie éternelle n’est pas la vie qui vient
après la mort. Elle est la Vie elle-même, la vraie vie dès maintenant,
celle que rien ni personne ne peut détruire.
Comment vivre de cette vie surabondante ici
et maintenant ? Comment vivre pleinement au lieu de se contenter d’exister ?
Jésus nous met sur la voie dans sa grande prière sacerdotale : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jean 17, 3). Et Benoît XVI précise : « L’homme a trouvé la vie, quand il s’attache à Celui qui est lui-même la vie. » C’est la relation avec Dieu en Jésus Christ qui donne cette vie qu’aucune mort n’est en mesure d’enlever. Voilà ce vers quoi tend l’espérance chrétienne.
La vie éternelle de notre Évangile n’est pas l’immortalité transhumaniste qui prétend que les progrès de la science feront en sorte que l’on arrivera à supprimer la mort (pour les gens fortunés, évidemment !) ; la Vie dont parle Jésus, c’est cette densité de relation que l’amour, la beauté, l’art, la gratuité nous font parfois côtoyer dans des moments privilégiés, et non le simple fait d’exister pour toujours.
Nous connaissons parfois de ces moments où le temps est aboli, où la communion est réelle, où le bonheur d’être à l’autre transcende toutes les limites. Ces moments nous font déjà goûter l’éternité ! À côté de cela, l’immortalité selon le transhumanisme apparaîtrait solitaire et sans amour, une éternité malheureuse et triste en définitive… La vie éternelle, c’est d’aimer, aujourd’hui, demain, éternellement !
Que préférons-nous ?
-Notre petite vie centrée sur nous-mêmes et qu’on cherche à prolonger le plus longtemps possible, car « après nous les mouches » ;
-ou bien une
éternité d’amour dans l’oubli de soi, car comblés de ce que nous recevons à
chaque instant en nous donnant nous-mêmes à Dieu, à nos frères, « comme
un parfum d’agréable odeur » ? (Eph 5,2)
« Celui qui croit - qui aime, a la vie
éternelle » : prenons au sérieux cette déclaration de
Jésus.
En venant communier à l’autel, laissons le Christ devenir
notre trait d’union avec le Père, dans la communion d’amour de l’Esprit. Cette
communion nous fait vivre en lui.
Dès maintenant. Intensément. C’est-à-dire :
éternellement.
« Lève-toi, mange, car ton chemin est
encore long » !
POUR ILLUSTRER CETTE MEDITATION SUR "LA VIE", JE VOUS LIVRE CE TRES BEAU PASSAGE D'UN ROMAN DE JACQUES NEIRYNCK QUI MET EN SCENE UN PAPE FUGITIF DU VATICAN (EMMUNUEL) ET UN CLOCHARD PHILOSOPHE (JEAN) :
Le
jour se levait tout doucement. On entendait vaguement le ressac de la mer au
loin. Il soufflait un bon vent du nord qui chassait toute brume. Jean s'assit
sur les marches de la chapelle de la Miséricorde et proclama:
« La vie est bonne. »
Emmanuel eut un faible sourire en
s'asseyant à côté de son compagnon de misère:
« Pour
l'instant, je la trouve plutôt saumâtre. Pourquoi répètes-tu aux pires moments
que la vie est bonne? C'est un peu facile, non? »
Jean
se mit à parler d'une voix qu'Emmanuel ne reconnut pas :
«La
vie est bonne, parce qu'elle est une histoire écrite par le doigt de Dieu,
notre histoire à chacun de nous, toujours différente de celle des autres. Seul
un écrivain divin peut imaginer plusieurs milliards de vies, sans que deux
d'entre elles soient interchangeables, sans qu'une d'entre elles soit dénuée de
sens.
«
Nous envions toujours la vie du voisin et il envie la nôtre, alors que la vie
est pareille à une partie de cartes: le but n'est pas de regretter en vain les
cartes que nous avons en main et de croire que nous jouerions mieux avec celles
des autres. La vie consiste à jouer le mieux possible avec les cartes dont nous
disposons. Car le but n'est pas de gagner
puisque, à la fin de la partie, nous perdons de toute façon. Le plus
important est de participer et d'apprendre en jouant.
«
De même la vie ressemble à un solo de violon que nous sommes obligés de jouer
en public alors que nous n'avons jamais étudié l'instrument et qu'il faut en
faire l'apprentissage tout en jouant. Ou encore apprendre à dessiner sans
posséder de gomme et conserver sur une seule feuille toutes les maladresses du
début: une vie est un tableau fait de retouches superposées. Ou encore un
oignon dont nous enlevons une couche à la fois, en pleurant de plus en plus
mais en comprenant enfin que la nature de l'oignon est de faire pleurer et
qu'il n'y peut rien.
«À
un moment donné, la vie peut paraître totalement absurde mais, si nous
regardons en arrière, nous commençons à distinguer que notre organisme poursuit
obstinément un but et qu'il va dans une certaine direction. Chaque vie a son
mystère, qui est ignoré de tous, sauf de l'acteur principal. À un moment donné,
il découvre celui qu’il est. À cet instant, celui-Ià, qui est perdu dans le
labyrinthe, comprend le plan et se dirige vers la sortie. »
Emmanuel
ne répondit pas. Quelques instants plus tard, une cloche se mit à sonner. Emmanuel
sortit du monde qu'il venait de découvrir et il rentra dans celui qu'il
connaissait depuis toujours.
(cité de Jacques Neirynck, « la prophétie du
Vatican »)
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