B DIM 27 - Accueillir un enfant


 

Je voudrais, avant de commenter l’Evangile, revenir sur un sujet d’actualité. Une phrase certainement maladroite du pape François dans l’avion qui le ramenait dimanche dernier à Rome a fait bondir pas mal de monde : Le pape, interrogé par les journalistes qui voyagent avec lui, a comparé l’avortement à un homicide, et a ajouté que les médecins qui s’y prêtent sont, selon son expression, « des tueurs à gage ».

Cela a relancé la polémique sur le sujet de l’interruption de grossesse, d’autant plus que le pape venait d’annoncer l’ouverture de la cause de béatification du roi Baudouin qui avait refusé de signer la loi de dépénalisation de l’avortement.

Il faut bien reconnaître que le sujet divise les catholiques eux-mêmes. Tous ne partagent pas cette sorte d’intransigeance de l’Eglise qui met les droits de l’enfant à naître au dessus du droit de la femme à disposer de son propre corps. Cela est perçu dans les milieux féministes en particulier comme un mépris des femmes que l’Eglise voudrait, selon eux, réduire à être des « pondeuses d’enfants » - et le discours du pape à l’UCL Louvain, a encore renforcé cette impression. Partisans comme détracteurs de l’avortement ne font pas souvent dans la nuance, hélas. Et l’on se regarde en chiens de faïence, les ‘pros’ comme les ‘antis’, peu disposés à écouter les arguments de l’autre.

Le problème du pape, c’est qu’il évolue dans des milieux où il n’est presque jamais contredit, et où il ne risque guère d’entendre d’autres sons de cloche que ceux de la bonne parole catholique. Il ne s’est donc pas méfié, et a répondu à l’emporte-pièce aux journalistes qui n’attendent que ça. Or, la position et le discours de l’Eglise concernant l’avortement est beaucoup plus nuancée que cette espèce de « cri du cœur » d’un pontife sans doute effrayé et profondément attristé par l’avalanche actuelle des avortements chez nous et dans le monde. (voir les statistiques en bas de page)

On sait tous, et le pape aussi, qu’un avortement, qu’il soit volontaire ou subi, n’est jamais une partie de plaisir pour la femme (et je dirais aussi pour les médecins pour qui ce n’est pas un simple acte technique banal). Il y a beaucoup de souffrances psychologiques et parfois de déchirements derrière cette décision. Et même si on ne reconnaît pas que l’embryon humain est déjà une personne, comme l’affirme l’Eglise, qui peut dire que l’acte de supprimer cette vie à naître est un « bien » ? Tout au plus peut-on reconnaître que, dans certaines conditions évidemment, l’IVG est un « mal nécessaire », ou un « moindre mal » : un mal pour éviter un mal plus important encore… Or c’est souvent sur ces conditions que l’on diverge et s’affronte.

 Il est bon aussi de rappeler qu’en dernier ressort, la décision, le choix appartient à la femme ; cela, même l’Eglise catholique le reconnaît quand elle affirme qu’en matière de morale, c’est en fin de parcours la conscience de chacun qui doit guider les actes. Mais, ajoute-t-elle, la conscience doit toujours être éclairée. Et que la personne qui doit prendre la décision soit accompagnée positivement, humainement, psychologiquement et spirituellement, pour la résolution de son choix ; pas seulement médicalement.

Il est sain d’avoir des débats. Il ne faut pas en avoir peur. Surtout quand il s’agit de sujets aussi importants que la vie humaine à son commencement ou à sa fin. Car on touche à ce qui est le plus essentiel ; le respect de l’humain, sa dignité, l’encadrement et le soutien dû aux personnes en état de fragilité ou de détresse qui vivent ces situations, la protection des plus faibles...

C’est l’honneur d’une société démocratique d’en débattre, à condition que cela se fasse dans le respect des personnes et par des arguments fondés rationnellement et non pas seulement émotionnels. (De ce point de vue, traiter des médecins de « tueurs à gage » est injustifié.)

Le rôle de l’Eglise devrait être, en matière éthique, de proposer seulement des principes généraux, comme le fait Jésus dans l’Evangile quand il dit que le divorce (la répudiation) n’est pas un bien – et qui pourrait le contester ? – mais elle devrait davantage laisser les personnes confrontées à ces choix pouvoir prendre elles-mêmes ces décisions sans les juger. Qui sommes-nous pour cela ? N’empêche que nous avons besoin de balises pour éclairer nos choix.  

 

Pour revenir à l’Evangile, on a l’impression qu’on est à nouveau face à des paroles tranchantes de Jésus, comme dimanche dernier quand il suggérait de couper sa main ou d’arracher son œil plutôt que de se laisser entraîner au péché…

"Ce que Dieu a uni, que l’humain ne le sépare pas." Quelle exigence formulée en quelques mots! Comment entendre aujourd’hui cette affirmation, alors qu’il existe des violences, dénoncées à juste titre, dans certains couples ? Alors que nous savons qu’il vaut mieux partir, s’éloigner, pour ne plus se risquer dans une relation toxique et pour échapper à l’emprise d’un manipulateur ? Il arrive que la situation, mortifère, nécessite impérativement un éloignement salutaire. J’ose croire que Jésus est dans cette visée-là et défend le plus faible, c’est-à-dire en l’occurrence, la femme.

Il ne faut pas perdre de vue le contexte dans lequel la question est posée. Il s’agit de tendre un piège à Jésus, pour le mettre en porte-à-faux avec la loi de Moïse ou le faire se contredire sur ses beaux principes de miséricorde et d’humanisme (le genre de truc qui vous arrive régulièrement si vous êtes pape ou évêque !)  Jésus choisit de remonter non pas à la Loi, mais à l’origine du couple, c-à-d à l’amour : l’idéal inscrit dans la chair de l’humain par sa différence homme-femme. Nous sommes faits pour aimer, c’est indiscutable, même si on n’y arrive pas toujours, ou mal. L’humain peut défaire ce que Dieu a prévu, car il est pécheur. C’est hélas sa liberté. Mais j’espère que tous les jeunes couples qui viennent demander le sacrement de mariage à l’église ne le font pas en pensant : « Heureusement, il y a la possibilité de divorcer ». Je crois qu’ils écoutent seulement leur cœur à ce moment-là en tout cas, et pas le code civil.

La loi, parce qu’il en faut, intervient seulement en cas d’échec, de « dureté de cœur » (sclérocardie), c’est ce que rappelle Jésus. Mais là aussi, il prend la défense du maillon faible en proclamant que le fait de répudier son conjoint dans le but d’épouser une autre est un adultère – conjoint qui était déjà copieusement trompé sans doute avant la répudiation. Dans cette situation où le divorce n’est pas mutuellement consenti, le fait de se servir de la loi pour forcer la rupture est une violence faite à l’autre.

Au temps de Jésus, les hommes pouvaient répudier leur épouse d’une simple parole prononcée publiquement. Les femmes non, évidemment. Jésus prend leur défense en affirmant l’égalité, et que la femme peut divorcer de son mari, mais il dit aussi que cela pourrait consister en un adultère, si l’intention était en premier, après l'avoir trompé, de convoler avec un autre.  

 

En conclusion, "Laissez les enfants (in-fans, celui qui ne sait pas parler) ; laissez les enfants venir à moi, car le Royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent." Où est le Royaume ? : Non pas du côté de la polémique et de considérations générales arbitraires, ni d’un cœur dur. De qui est-il proche, ce Royaume? N’est-ce pas de l’inconsidéré, de la personne faible, de la femme ou de l’enfant qui n’a pas les mots pour se dire ou se défendre? N’est-ce pas plutôt de ce côté-là que la radicalité de l’Evangile est à chercher?


Complément d'info : 

En 2022, le nombre d'IVG en France a atteint 234 300, en augmentation de 7,2 % par rapport à l'année précédente. La même année, le nombre de naissances a décru de 2,2 % pour un total de 726 000 naissances. Cela signifie qu'une grossesse sur quatre (24,4 %) est interrompue volontairement par une IVG.

 SOURCE : Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiquesur drees.solidarites-sante.gouv.fr (consulté le )

Je n'ai pas trouvé de statistiques pour la Belgique, mais les tendances doivent être grosso modo comparables.

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