DIMANCHE 29 JUIN - Pierre, Paul et les presbytres
Le 29 juin est une date spéciale pour nous les prêtres :
La fête de ce jour, « la saints Pierre et Paul »,
tout comme celle de dimanche dernier, celle du Corps et du Sang du Christ (qui
tombe aussi généralement en juin), sont pour une grande proportion d’entre nous des
moments-clés hautement symboliques où nous avons été un jour ordonnés au service
de l’Eglise.
D’où l’envie qui me prend de me pencher un peu sur ces deux apôtres
appelés « colonnes de l’Eglise », en les abordant du point de vue des
prêtres. Je pense que cela peut vous intéresser, car vous le savez la prêtrise
est en crise (ou du moins les vocations) et le prêtre aujourd’hui cherche un
peu sa place dans un monde et une Eglise qui ont radicalement changé.
Je partage aussi cette réflexion en hommage à tous mes confrères aînés, qui ont traversé toutes les crises frappant l’Eglise de plein fouet, toutes les réformes pastorales, les mutations ecclésiologiques et sociétales, qui ont vu leur territoire paroissial s’élargir de plus en plus au fil du temps, cumulant mission sur mission, alors qu’en même temps le vivier des bénévoles et des forces vives s’amenuisait progressivement… Certains, usés par cette exigence d’adaptation constante mais aussi parfois par le manque de perspectives ou de soutien de la part de leurs ouailles ou de leurs supérieurs, ont quitté la prêtrise. Beaucoup d’autres sont restés, accrochés à leur mission comme une moule à son rocher (surtout, ne dites jamais : ‘fonction’, mais bien seulement ‘mission’, celle qu’ils ont reçue du Christ par l’intermédiaire de l’évêque !) - heureux de servir jusqu'à tant que leurs forces le permettront.
Donc, Pierre et Paul : Étaient-ils prêtres ? En tout
cas, pas à la manière du sacerdoce de l’Ancien Testament, qui était héréditaire
et uniquement tourné vers le culte du Temple de Jérusalem où ils étaient
chargés à tour de rôle d’offrir les sacrifices au Dieu d’Abraham et des
patriarches.
C’est très clair pour Paul : Paul n'était pas prêtre au sens où on
l'entend dans le christianisme actuel. Il était un apôtre, un évangélisateur,
mais pas un membre du clergé ordonné. Il n'a pas reçu de sacrement de l'ordre,
comme le confirment les Actes des Apôtres et ses propres écrits. Saint Paul
était un apôtre, un témoin privilégié du Christ envoyé pour annoncer
l'Évangile. Il a joué un rôle majeur dans l'expansion du christianisme, mais il
l'a fait en tant qu'apôtre, non en tant que prêtre. Il a fondé et dirigé
des communautés chrétiennes, mais il n'a jamais été un prêtre ordonné selon
notre conception actuelle.
Le cas de Pierre est plus délicat. Chef des apôtres, la tradition voit
en lui le premier pape et évêque de Rome. Mais tout comme pour Paul, il n’a pas
reçu d’ordination sacerdotale formelle ; seulement l’ordre de Jésus lors
de sa dernière apparition au bord du lac de Galilée, réitéré trois fois : « Pais
mes brebis, prend soin de mes agneaux », lui donnant ainsi la charge de l’Eglise.
En tout cas, pas de mission cultuelle comme la pratiquaient les prêtres du
Temple de Jérusalem. La théologie catholique qui s’est développée après la fin
du Nouveau Testament a identifié plus tard l’épisode de la Dernière Cène où
Jésus a institué l’Eucharistie en précisant : « Faites cela en
mémoire de moi », à une sorte d’ordination qui a fait de tous les
apôtres présents des prêtres. À partir de là s’est développée toute une
théologie du sacerdoce qui débouchera sur l’image que la plupart des
catholiques ont aujourd’hui et qui voit dans le prêtre « l’homme des
sacrements ». L’épître aux Hébreux a elle aussi essayé de relier le
sacerdoce du Christ, unique médiateur auprès de Dieu, avec le sacerdoce juif du
Temple, tout en les différenciant. N’empêche que si cette comparaison a influencé
la conception et le rôle des prêtres tels qu’ils sont compris aujourd’hui, ce n’était
pas le cas au temps de Pierre et des apôtres.
On pourrait dire de Pierre et de Paul qu’ils ont inventé une forme
nouvelle de prêtrise, liée surtout aux besoins de l’Eglise qui s’inventait
elle-même au même moment. Les ministères, les services à la communauté
naissaient assez spontanément et se formalisaient petit à petit : on cite
les apôtres, bien sûr, témoins du Christ, les épiscopos (‘surveillants’)
devenus les évêques, les diacres et diaconesses, et les presbuteroi c’est-à-dire
‘anciens’ en grec, et encore quelques
autres ministères moins définis. Les anciens ou presbytres étaient des
responsables de communauté, institués à cette place par les apôtres pour veiller
au bien-être et à la croissance de la communauté chrétienne. Ce sont eux qui
plus tard ont été identifiés à des prêtres, le mot lui-même ‘presbytre’ ayant
évolué en ‘prêtre’ – il en reste aussi le nom de son logement, le ‘presbytère’.
Donc, le prêtre ne serait pas avant tout l’homme du culte et des
sacrements, en tout cas à l’origine. Il y a eu un glissement progressif vers le
modèle sacrificiel qui reste encore présent actuellement mais qui n’est pas le
seul.
Que peuvent nous enseigner saint Pierre et saint Paul sur les prêtres d’aujourd’hui (et
donc sur nous-mêmes les chrétiens qui sommes l’Église) ? Je vous invite à écouter
attentivement tout à l’heure la préface de la prière eucharistique : «
Tu nous donnes de fêter en ce jour – dit la Préface – les deux apôtres Pierre
et Paul. Celui qui fut le premier a confessé la foi : Pierre ;
et celui qui l’a mise en lumière : Paul. Pierre qui constitua
l’Église en s’adressant d’abord aux fils d’Israël, et Paul qui fit
connaître aux nations l’évangile du salut. L’un et l’autre ont travaillé chacun
selon sa grâce à rassembler l’unique famille du Christ ».
Voilà : on a là dans cette Préface les éléments
fondamentaux du ministère des prêtres aujourd’hui encore : rassembler,
confesser la foi, la mettre en lumière, constituer l’Église, l’ouvrir aux
nations. Remarquons d’emblée que les deux, Pierre et Paul,
sont complémentaires, avec chacun son charisme : On ne sait donc pas être totalement
prêtre tout seul, on a besoin des autres, prêtres mais aussi laïcs car chacun
possède une part des charismes qui lui sont donnés par l’Esprit Saint.
Regardons de plus près :
- Rassembler l’unique famille du Christ : C’est bien ce
que l’on attend des prêtres : qu’ils soient des rassembleurs, au-delà des
clivages qui ne devraient pas avoir cours dans l’Église, au-delà des légitimes
différences de sensibilité de tous ordres, les prêtres, inlassablement, font
retenir l’appel de Dieu à la communion qui culmine dans la communion
eucharistique, bien sûr, mais c’est toute la mission des prêtres que de faire
en sorte que les gens se parlent, se pardonnent, apprennent à s’aimer
d’avantage. C’est cela « rassembler l’unique famille du Christ » !
- Confesser la foi de l’Église : Comme Pierre qui proclame « Tu
es le Messie », les prêtres initient à la foi de l’Église, pour que
les baptisés se laissent porter par cette foi, cette confiance en un Dieu
communion d’amour, Père, Fils et Esprit saint. Cela passe par la première
annonce de la foi, puis la catéchèse, à tout âge de la vie, des petits enfants
ou personnes âgées, en passant par les fiancés, les adolescents, mais cela
passe aussi par toute la vie des prêtres.
- Mettre la foi en lumière : Comme Paul, qui débat, argumente, explicite, écrit, avertit, dénonce les dérives. Le christianisme lui doit sa colonne vertébrale théologique. Pour les prêtres, mettre en lumière la pertinence de la foi pour aujourd’hui cela passe notamment par le ministère de l’homélie du Dimanche, mais aussi par l’écriture, la formation des laïcs, la prédication de retraites, la participation aux débats contemporains, dans les médias, radios, Internet, réseaux sociaux, universités, etc.
- Constituer l’Église : La grande passion des prêtres,
c’est de servir l’engendrement du Corps du Christ à travers tout cela. Tels des
sages-femmes – et saint Paul se compare souvent à une sage-femme – ils guettent
les signes d’une nouvelle naissance du Christ possible en chacun. Ils accompagnent
l’émergence de nouvelles manières de vivre en Église. Ils constituent cette
Église, en célébrant les sacrements, en créant des équipes de chrétiens, en
appelant chacun à devenir responsable, là où il est, dans sa communauté
chrétienne et dans la société.
- Enfin, cinquième et dernier élément de la Préface : Ouvrir
l’Église aux nations. Pierre a accueilli le centurion romain Corneille, il
a reconnu que l’Esprit saint « ouvre les portes de la foi aux
païens », selon ses mots. Paul – lui – a sillonné la Méditerranée jusqu’à
l’Europe, pour maintenir grandes ouvertes ces portes de l’Église à toutes les
cultures, langues peuples et nations. Ce souci de l’ouverture à l’universel,
à la catholicité de l’Église, anime toujours le ministère des prêtres.
Empêcher une Église locale de se refermer sur elle-même, la mettre en communion
avec la grande Église de tous les temps et de toutes les cultures, c’est cela
la Tradition vivante. Les prêtres y participent à leur manière, en maintenant
ouvertes ces portes que l’Esprit a déverrouillées et par lesquelles il nous donne
des nouveaux chrétiens venus d’ailleurs, aujourd’hui encore. Ils doivent
également être attentifs aux nouvelles Pentecôtes qui – comme à Jérusalem –
ouvrent des chemins inédits d’évangélisation et de communion…
Voilà pourquoi le ministère des prêtres nous est si précieux. Voilà
pourquoi il est vital de recevoir les prêtres qui nous sont donnés de la part
de Dieu, appelés et ordonnés par et pour l’Église qui les donne à son tour au
monde.
Les ministres ordonnés ne sont pas des gens privilégiés ou supérieurs,
mais des personnes qui sont données à toute l’Église afin qu’elle devienne ce
pour quoi elle est faite, afin qu’elle accomplisse sa mission dans le monde. Le
Concile Vatican II dira même que le ministère presbytéral (=des prêtres
ordonnés) est au service du sacerdoce commun des fidèles : pour que les
fidèles eux-mêmes fassent de leur vie une offrande et un service.
En ce 29 juin, fête des saints apôtres Pierre et Paul tous deux morts
martyrs, puissions-nous apprendre toujours davantage à nous recevoir les uns
les autres – quelle que soit notre vocation – comme de vrais cadeaux que
Dieu nous fait pour accomplir le ministère entier de l’Église, la Mission reçue
du Christ : « Allez, et de toutes les nations faites des
disciples… »
Amen !
Chant sur la chaîne YouTube Rodolphe infos : cliquez sur la vidéo =>
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