C DIM 22 - Heureux les invités !
Un de mes confrères curés, en
voyant ses paroissiens se masser dans le fond de son église tandis que les
premiers rangs demeuraient vides, avait un jour souligné avec humour qu’ils
avaient trop bien assimilé cette page évangile où Jésus invite ses auditeurs à
se mettre à la dernière place… Quelle humilité chez les chrétiens ! 
Mais nous savons que c’est un
phénomène universel : les églises sont comme les bouteilles, elles se
remplissent toujours par le fond. 😉
Humour mis à part, l’enseignement
de Jésus dénote et dérange encore une fois. Jamais la course pour les premières
places dans notre société (occidentale) n’a été aussi âpre et impitoyable.
« Bouge-toi de là, écrase-toi, c’est moi qui passe avant toi. » 
C’est même un pilier de
l’éducation : « Ne te laisse pas marcher sur les pieds, pousse-toi en
avant, prend la place qui te revient puisque tu es le meilleur. Si tu veux
sortir du lot, tu dois passer par-dessus les autres qui ne sont plus des
camarades, des égaux, mais des concurrents. » 
Le système capitaliste a érigé la
concurrence en axiome. Tout, désormais, se mesure à cette aune : être le
meilleur, dépasser les autres, prendre la meilleure place et si possible toute
la place. J’entends des mères seriner cela à leur progéniture dès le plus jeune
âge. Et s’il faut pour cela taper, tape ; mais surtout ne te laisse pas
faire.
=> Alors quand le Christ propose de se mettre au bout de la table, cela semble à côté de la réalité de notre jungle sociale – à moins que ce soit un calcul intéressé et dans ce cas cela induirait une attitude hypocrite : Jouer faussement celui qui est humble, à la façon de l’acteur Louis de Funès, pour se faire encenser et honorer davantage. On voit mal Jésus jouer à ce genre de petit jeu malsain.
Alors, quoi ? Est-ce une simple
leçon de politesse et de savoir-vivre – car c’est ainsi qu’on explique le plus souvent ce passage d’évangile :
Il faut être gentil et laisser les autres qui sont plus importants passer avant
moi… 
Moi, j’y vois bien plus que cela.
Et cet enseignement improvisé au
cours d’un banquet peut, je crois, nous aider à résoudre bien des frustrations,
voire des conflits, sur des questions de reconnaissance ou de manque de reconnaissance,
des questions d’image de soi et de valeur personnelle, et tant de problèmes égotiques
qui agitent notre psychè personnelle et relationnelle.
En premier lieu, il nous faut
prendre conscience dans la façon dont nous interagissons dans notre
environnement social, familial, professionnel etc., de ce que nous
ressentons par rapport aux hiérarchies établies ou spontanées. Peut-être
l’amertume de ne pas être suffisamment reconnu à sa valeur, le sentiment de ne
pas trouver sa place, la culpabilité ou le dénigrement de soi (je ne vaux rien
ou pas grand-chose) ; ou au contraire je suis sûr de moi et de ma
valeur et j’attends que mes semblables s’inclinent devant elle ; je désire
marquer ma supériorité et qu’on me considère en m’octroyant dans mon cercle la
place la meilleure… en tout cas, m’arrange pour être incontournable et je ne
supporte pas ceux qui accèdent à mes privilèges sans le mériter. 
Depuis notre plus tendre âge, en
effet, nous sommes confrontés à des hiérarchies (p.ex. la fratrie) où nous
essayons de trouver notre place… et ensuite, de la défendre ou de l’améliorer. Elle
nous est le plus souvent imposée au départ. C’est aussi le cas dans la plupart
des espèces animales. Avec le monde divin, avec Dieu, nous avons aussi conçu
des hiérarchies en projetant sur lui notre vision du monde. L’Eglise institutionnelle
en est le reflet d’ailleurs. Mais est-ce comme cela que Dieu fonctionne ?
Notre conception hiérarchisante
du monde et de son organisation sociale en strates (castes) occasionne toujours
aujourd’hui bien des souffrances et des tensions conflictuelles, des « déclassements »
et des exclusions. La jalousie, l’envie s’infiltrent comme des poisons dans
notre vie relationnelle, avec des blessures narcissiques. On peut devenir des
petits Trumps ou des paillassons. 
L’Evangile intervient dans cette
blessure originelle comme un contre-poison et un remède.
Le mot-clé est : « invité ».
« Quand tu es invité… »
Laissons retentir, en
nous, ce beau mot d’« invité ». 
Etre invité… 
Je suis invité par
quelqu'un qui me désire pour partager avec lui un moment de joie, de
convivialité, de communion…  Je me sens
honoré, concerné. J'existe et je me sens reconnu par la personne qui
m'invite. 
N’est-ce pas la parole qui
retentit aussi à chaque Eucharistie au moment de la Communion : « Heureux
les invités au repas du Seigneur » ?
En fait, pour guérir de nos
relations malades et de nos blessures narcissiques induites par la structure
hiérarchique, nous devons redécouvrir notre statut ou qualité d’ « invités ».
Nous sommes tous des invités sur
cette terre. Nous ne la
possédons pas, même si nous l’exploitons et la pillons honteusement à cause de
notre vision hiérarchique qui la soumet à nous. Cela se retourne d’ailleurs
actuellement contre nous ; alors que nous aurions pu vivre en harmonie
avec elle (cf. le reportage « Rendez-vous en Terre inconnue avec
Thomas Pesquet chez les Kogis de la sierra Nevada » - émission de Frédéric
Lopez à revoir sur la RTBF Auvio). https://auvio.rtbf.be/live/rendez-vous-en-terre-inconnue-avec-thomas-pesquet-chez-les-kogis-639917.
Les relations humaines subissent
la même distorsion fatale à cause de ces rapports dominants-dominés qui s’instaurent
à chaque niveau. Cette vision sous-entend que ceux qui dominent ont plus de valeur
que ceux qui sont dominés, inférieurs hiérarchiquement. Le système capitaliste
est entièrement construit sur cette discrimination. 
Or, pour qu’une relation soit équilibrée et saine, source de santé pour chacun, il faut qu’elle soit construite non sur un rapport de pouvoir, un rapport de force mais sur une dynamique d’accueil réciproque. Pour cela, la notion d’ « invité » est capitale : si je me considère non pas comme un conquérant ou un compétiteur qui évalue sa position par rapport à celle de l’autre dans une échelle hiérarchique, mais comme un « invité » dans une relation d’égalité et de gratuité, la relation sera harmonieuse et enrichissante des deux côtés, quel que soit le rôle ou l’origine sociale de chacun. Je suis invité dans ton lieu, ton domicile, ton intimité. J’en suis honoré, et invité du même coup à la réprocité. Au lieu de vouloir chacun de son côté tirer avantage personnel de la relation, on va vouloir enrichir l’autre, le valoriser. Le faire monter à la meilleure place.
C’est alors une relation construite sur l’amour et le respect de l’autre, et la vraie humilité. On n’est plus dans le « deal », qui repose sur du « donnant-donnant » : on est dans la gratuité et la générosité. Et cela est guérisseur, réparateur pour le monde et la société, la planète toute entière.
Si une hiérarchie est parfois nécessaire, dans ce cas elle doit être comprise uniquement comme un service (à la collectivité, l'Eglise...) et non comme une prérogative.
Ainsi fonctionne Dieu : Dieu est humble. Vous connaissez le chant : « Regardez l’humilité de Dieu » ? Il ne veut pas jouer de supériorité dans sa relation avec nous. Il nous invite sans que nous puissions lui rendre la pareille, et c’est lui qui nous élève jusqu'à lui, qui nous rend dignes, chacun, chacune, de partager son bonheur, sa vie. Ce n’est pas nous-mêmes, nous ne méritons rien, nous sommes comme ces pauvres malodorants, ces estropiés grimaçants, boiteux et aveugles peu ragoûtants qu’il ne craint pas d’inviter à sa table : C’est lui, et lui seul qui nous rend dignes en se mettant à notre niveau.
Devant Dieu, nous ne sommes pas bons par la place que nous détenons ni par le bien que nous faisons ; ce n'est pas nous qui le méritons : c'est Dieu qui nous fait bons en nous invitant à jouir de sa compagnie et de sa table.
Voilà ce qui est la source de la véritable humilité : Savoir que tout est grâce, que si je suis enfant de Dieu, si j'aime Jésus et si je suis fils de l'Eglise, membre de cette « assemblée des premiers-nés dont les noms sont inscrits dans les cieux », c'est un pur don, un cadeau gratuit et immérité.
Alors, dit Dieu, tu seras heureux de mon bonheur !   Amen.   
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