C DIM 19 - Ne crains rien petit troupeau


 

 

Comment recevez-vous toutes ces sentences ? Ne vous sentez-vous pas peut-être comme moi, un peu noyés sous cette avalanche de recommandations qui ont l’air même parfois contradictoires ?

Ça commence par : « Sois sans crainte petit troupeau ! Votre Père a jugé bon de vous donner le Royaume. » Aaaah ! Génial, on est rassuré ! Tout ira bien…

…Et à peine quelques lignes après : « Tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra », avec cette histoire de voleur qui s’introduit dans la maison en perçant les murs… et un serviteur qui reçoit des coups de bâtons parce qu’il n’a rien préparé en attendant le retour de maître mais s’est laissé vivre.

Pfff ! Douche froide ! On est tenté de tourner la page et de passer à autre chose. Décidément, Jésus a le chic pour décourager les bonnes volontés. Vous parlez d’une récompense !

 

Ce qu’il faut toujours se demander quand on lit un évangile, c’est : à qui Jésus s’adresse-t-il ?

Eh bien, ce n’est pas le même auditoire au début et à la fin de ce texte qui regroupe plusieurs péricopes, c’est-à-dire des morceaux de discours assemblés par l’évangéliste Luc :

Au tout début, « sois sans crainte petit troupeau », c’est à la foule des disciples en général que Jésus lance cette déclaration (un peu comme Jean-Paul II au balcon le jour de son élection : « N’ayez pas peur ! »).

C’est dans la perspectives de l’arrivée imminente du Royaume, c’est-à-dire le règne de Dieu qui clôture l’histoire en remettant tout dans l’ordre que Jésus invite ensuite ses auditeurs à vendre ce qu’ils possèdent pour se faire un trésor dans le Royaume – « là où le voleur n’approche pas et où la mite ne détruit pas ». « Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur », conclut-il.



On est dans une perspective eschatologique évidente. Les gestes et les miracles posés par Jésus l’attestent, les signes des temps qui s’accomplissent sont là. C’est pourquoi Luc a jugé bon de coller à ce passage un autre ensemble de discours de Jésus portant sur l’attitude à avoir de la part des disciples qui attendent le retour de leur maître, appelé le Fils de l’homme – clairement, le retour du Christ à la fin des temps. Ce passage est rythmé par cette promesse à ceux que le maître à son arrivée (qui peut être tardive : minuit, trois heures du matin…) trouvera en train de veiller et non pas endormis : « Heureux sont-ils ! » Que du bonheur ! Il apporte la joie des noces.

Avec cet avertissement : « Tenez-vous prêts, pour ne pas laisser percer le mur de votre maison vous aussi » (ce qui arrive à ceux qui sont insouciants et ne se préoccupent pas de la -ou des- venues de leur maître).


C’est alors qu’arrive la troisième partie, la plus difficile pour nous, mais Luc, en se servant d’une question de l’apôtre Pierre, va préciser à quel public ce passage-là s’adresse en particulier : « Est-ce pour nous que tu dis cette parabole Seigneur, ou bien pour tous ? » De façon intelligente, Luc fait rebondir Jésus sur la question de Pierre en mettant en scène deux intendants (c’est-à-dire responsables de l’ensemble du personnel de maison, on vise donc clairement les apôtres et leurs successeurs, les bergers du troupeau.

Ces deux intendants présentés successivement dans la parabole ont un comportement bien différencié : L’un, « fidèle et sensé », fait tout le nécessaire pour que les habitants et le personnel de la maison aient tout ce qu’il leur faut « en temps voulu ». Celui-là est récompensé et déclaré heureux. L’autre, au contraire, profite de l’absence du maître pour prendre sa place, abuser de sa fonction en détournant pour lui les avantages et en brutalisant ses subordonnés. Evidemment, lui aussi sera surpris par le retour inopiné de son maître mais à l’inverse du premier intendant, il sera écarté, mis à l’écart, séparé de la béatitude d’être avec le Seigneur pour connaître le sort des infidèles, c-à-d dans l’optique du message évangélique : ceux qui se sont coupés eux-mêmes de l’amour de Dieu.



La dernière partie, réservée pareillement aux responsables – mais peut-être également d’une manière plus globale à tous ceux et celles que le Seigneur a appelés à un service dans son Eglise et dans la société c-à-d un peu chacun de nous –, cette dernière partie est un avertissement salutaire elle aussi, même si le Christ utilise l’image des « coups » donnés au serviteur qui n’a rien préparé – image courante dans le monde juif et gréco-romain de l’époque, où les relations maître-esclaves pouvaient comporter parfois des coups. Pour nous aujourd’hui cela nous semble choquant, mais c’était on ne peut plus banal à l’époque de Jésus.

Seulement, la pointe de cette nouvelle histoire comparative n’est pas dans les coups qu’il faudrait considérer comme une simple menace, comme si l’enfer pointait déjà son nez, mais la véritable pointe qui permet de comprendre le sens est dans la conclusion : « À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on demandera davantage. »     

Voilà la pointe explicative. Il ne s’agit pas tant et surtout d’agir par peur d’un châtiment, mais par reconnaissance pour la générosité et la confiance reçues du maître, et par sens des responsabilités qui répond à ces dons et à cette confiance : « vous avez reçu gratuitement – donnez gratuitement », s’exclamera ailleurs Jésus (Mt 10,8) – donnez par débordement d’amour et de joie…


Si nous avons conscience – et moi le premier – que l’héritage spirituel, la foi, le témoignage, l’exemple et la vie chrétienne évangélique que nous avons reçus de nos parents, de nos éducateurs et des chrétiens rencontrés sur notre route qui nous l’ont fait goûter et découvrir, …QUE C’EST CELA MON PLUS GRAND, MON VRAI TRESOR qui unifie toute ma vie ; et que c’est grâce à eux et à Toi Seigneur que je suis ce que je suis aujourd’hui, humble et pauvre serviteur mais si heureux de pouvoir Te servir en servant mes frères ! – si donc je suis conscient de cela parce que j’y ai mis mon cœur, et bien alors je ne peux pas faire autrement que de le rendre, de le faire partager à d’autres, à tous les autres vers qui Tu m’envoies… Et cela doit être vrai pour chacun de nous. « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur ! »


 
Comme Abraham, au début de notre vie chrétienne à chacun, nous partons sans savoir où nous allons, où le chemin nous conduira. Nous faisons confiance à une promesse qui est une promesse de bonheur faite par Dieu lui-même. Quelles que soient les difficultés rencontrées en chemin, les erreurs, les échecs ou les pertes, les deuils, et même notre péché, « Dieu est fidèle à ses promesses » écrit l’auteur de la lettre aux Hébreux en donnant l’exemple d’Abraham et de Sara.

C’est lui, Dieu, qui rend nos vies finalement fécondes, à nous qui sommes des voyageurs, des pèlerins d’espérance, étrangers par rapport aux soi-disant valeurs de ce monde, mais frères de tous. Il nous est demandé seulement de veiller, d’être vigilants en répondant à notre vocation personnelle et ne pas laisser notre cœur s’alourdir dans la futilité, la recherche de plaisir égocentrique. Heureux le serviteur que le maître trouvera en train de veiller !

 

Oui, sois sans crainte petit troupeau à qui Dieu a jugé bon de donner le Royaume : ton trésor est en toi, dans ton cœur ! Amen.



 

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